Pour le plaisir, deux citations qui ne nous rajeunissent pas...
Alors que l'homme fait son premier pas hors de son berceau la Terre, pour commencer une conquête de l'espace qui durera l'éternité, alors que dans ce monde étroit qui est encore le sien tout s'ébranle, craque, fume et va peut-être exploser, alors que tout commence ou que tout va finir, alors que non seulement la vie de l'espèce humaine, mais la Vie elle-même, sous toutes ses formes, est mise en question, alors qu'elle va s'épandre jusqu'au fond de l'espace, se transformer mille fois ou entièrement disparaître en un instant, il se trouve encore des écrivains pour écrire que « la marquise sortit à cinq heures », et de graves professeurs et critiques pour prétendre que c'est la seule chose à écrire.
En réalité le roman traditionnel est mort. Il n'a plus de lecteurs car le monde qu'il décrit est mort lui aussi et n'intéresse plus personne. Le lorgnon de Proust a rejoint dans la tombe la barbe de Karl Marx, la cravache de Sade et la Tour Montparnasse. Nous ne construisons que du passé, L'avenir va fondre sur nous avec une soudaineté et une violence inimaginables. Tout va changer. L'hier va se détacher de la nef et nous emporter dans son épave. Demain n'admettra que les hommes de demain.
La grandeur de la littérature de science-fiction c'est d'abandonner le vain examen au microscope des cellules cérébrales ou des tranches de poils de sexe des momies périmées que nous sommes, pour essayer d'imaginer l'inimaginable, c'est-à-dire ce que seront et ce que feront nos fils.
La science-fiction n'est pas un genre littéraire. Elle les contient tous: l'épopée, la poésie, l'analyse, la satire, la métaphysique, l'érotisme, la tragédie, la farce, l'amour, le feuilleton, le génie et les barbouilleurs. Mais c'est une littérature tournée, dans tous ses genres, vers le réel, c'est à-dire vers ce qui sera. Car ce qui est et ce qui commence à être n'est déjà plus. Il est beaucoup plus difficile d'y réussir que dans la littérature classique. Il y faut non seulement du talent, mais une grande générosité de cœur et d'imagination. Il faut aimer les hommes et les étoiles et savoir l'écrire comme à une femme. Il faut être né jeune, curieux, enthousiaste, et le rester.
Quelques anonymes, bien introduits dans la confidence des augures littéraires, répètent à tout va et à tout un chacun: la science-fiction se meurt, la science-fiction est morte.
Lorsqu'ils trouvent encore digne d'en parler.
La plupart préfèrent conserver un silence décent plutôt que d'argumenter à ce propos.
Peu d'entre eux, d'ailleurs, en seraient capables, dans leur ignorance absolue de l'histoire, des hommes et des œuvres. Normal, c'est un genre qui a fait son temps, même bien plus que son temps avant d'entacher les causeries universitaires. Le ridicule salvateur a fini par tuer.
Chacun sait qu'il n'y a aucun avenir à parler de futur.
En surface donc, grâce à l'appui des journaux mal pensés, des T.V. évidées, des radios libérées, de l'ânerie officialisée, des colloques ensomnolés, tout se passe comme si, effectivement, la science-fiction n'existait plus.
Liquidée.
On évite même de prononcer le mot, ce serait risquer de mettre le pied dedans. Quelques notules en bas de pages littéraires dans la presse la moins sclérosée ou la moins snob ressemblent à s'y méprendre à des notices nécrologiques : la rédaction a le douloureux regret de vous faire part de la publication du dernier volume de la collection Machin. Point final. En ces temps de disette, il faut parfois arroser d'un commentaire les pavés publicitaires.
Cette anthologie en est le brutal démenti.
Quelques brèves dans la presse, un prière d'insérer dans ... afin de demander à de jeunes écrivains de.produire de la S.-F. Résultat: plus de 600 nouvelles déferlent en quelques mois sur mon bureau. Plus de trois fois et demie la masse de textes que j'ai reçus il y a huit ans pour .... C'est dire qu'il y a du monde à l'enterrement.
En profondeur, l'évolution du syndrome se présente d'une manière toute différente qu'elle n'apparaît au niveau médiatique. Cet afflux enthousiaste le confirme: en tant que littérature, la S.F. a toujours prouvé sa vraie vigueur grâce à constante progression de sa diffusion. Mais devant la vulgarisation massive de son image par des films de seconde zone, de clips vidéo, devant son appropriation par la publicité, elle est entrée dans la clandestinité. Un terrain de combat qu'elle n'aurait jamais dû quitter. La guérilla est déclarée. Forte de sa sous-culture, elle étend son mycélium à travers l'humus des jeunes générations. Des passionnés attendent l'heure de l'explosion. Elle jaillira. je l'espère, sous forme de champignon (nucléaire ?).
Il y a juste à retrouver les auteurs et les dates. Et constater que rien ne change derrière
La muraille Occident que j'ai parfois le sentiment d'avoir en autoréférence à une certaine forme de défense de la SF.