Eric a écrit :Elle [= la SF française] paye aussi une image soixante-huitarde qui n'a pas le vent en poupe en ce moment. Et si tu ls bien le texte d'Ugo jusqu'au bout, c'est précisément à un renouveau de ses images et de ses codes qu'il en appelle.
Je fais partie de ces gens qui ont la faiblesse de penser que nous avons sous la main, avec des gens comme Ugo justement, Xavier Mauméjean, Catherine Dufour, Jérôme Noirez, Alain Damasio, Stéphane Beauverger, Fabrice Colin, David Calvo Jean-Marc Agrati, etc... une génération de "jeunes auteurs" tout à fait à même de relever le défi. Le rapprochement qu'ils font naturellement avec les préoccupations des auteurs de la génération précédente, les Wagner, Lehman, Denis, Ecken, Berthelot, etc... est particulièrement significatif.
C'est LA question que j'ai posée récemment à Serge. Eux tous, auteurs de SF, sont-ils, doivent-ils être un groupe, assumer une identité culturelle, intellectuelle et politique, se désignant comme "les auteurs de SF français" (ancienne ou nouvelle génération) devant renouveler les images, les archétypes du genre ?
La nouvelle génération est intéressante à étudier sous l'angle de cette question de son "unité", parce que tous ces gens sont amis entre eux, la plupart du temps, ou, à tout le moins, se respectent profondément. Je me demande en quoi ces amitiés, ces fortes affinités politiques (au moins apparentes, et qui à mon sens n'en sont pas vraiment, si l'on examine auteur par auteur les convictions de chacun) mèneront chacun d'eux à bâtir des oeuvres originales, ou au contraire à n'être que l'expression d'un message collectif circonstancié, d'une pensée certes intelligente, mais trop politisée pour atteindre à la véritable littérature. (je ne dis pas que la littérature est par essence anti-politique, dés-engagée des enjeux du réel, j'énonce simplement une méfiance principielle contre l'énoncé ridicule mais souvent rencontré du "tout est politique", que même un Damasio, fer de lance de l'engagement d'Appel d'air, m'a bien volontiers concédé n'être qu'une formule pour les fats).
"Littérature de combat", oui, c'est une belle formule, que je reprendrais volontiers moi aussi pour définir la SF (au moins de façon normative), mais à condition que l'on comprenne que le combat, c'est moins celui de l'auteur contre on ne sait quelle illusion collective, ou contre des pouvoirs extérieurs subis (le plus souvent fantasmés, n'en déplaise aux défenseurs de la thèse d'une résurgence du bonapartisme français depuis cette année) que le combat qu'un livre doit susciter en chaque lecteur avec et contre lui-même. En ce sens, vous comprendrez vite pourquoi
La Horde du Contrevent fut pour moi un livre de combat: parce qu'il m'a fait entrer dans une lutte intime avec certaines de mes convictions antérieures (primat de la singularité, de l'hapax, sur le "lien", les plans, et tout ce qu'Alain appelle d'un terme un peu vague "l'immanence").
Ce que Fabrice Colin suscite en moi par ses livres n'a rien à voir avec ce que Jérôme Noirez a suscité avec les
Leçons, ni avec cette espèce d'étrange émotion à la fois douce et triste que
Le goût de l'immortalité a provoquée en moi cet automne. Sans parler de la trilogie du dépassement de l'agonistique humaine qu'a proposée S. Beauverger.
Je me limite aux oeuvres, mais quelques échanges avec ces différents auteurs m'ont convaincu que leurs opinions étaient parfois franchement incompatibles entre elles.
Je ne vois un renouvellement profond de la science-fiction que par le haut, si je puis dire, c'est-à-dire par l'esthétique. Parce que réfléchir sur le style, sur l'esthétique, sur l'acte d'écrire de l'imaginaire, c'est déjà, en même temps, réfléchir sur tout le reste (la teneur et la valeur politique du livre écrit, notamment).
Tous ceux qui ont écrit, ou tenté d'écrire, un jour, savent que l'on croit raconter une histoire qui nous tient à coeur et semble originale, mais qu'au fond, on ne fait, au moins dans un premier temps, que solliciter plus ou moins consciemment des options idéologiques, des désirs ou des souvenirs enfouis, qui resurgissent transfigurés par l'acte d'imagination. C'est à mon sens pour cela que se préoccuper uniquement d'esthétique, c'est toujours en même temps élaborer une politique, une sociologie, une interprétation globale du monde, du désir, etc. Chassez les grands discours, ils reviennent au galop. Du coup, pas la peine de nous en badigeonner à la truelle les récits en s'auto-commentant...
C'est peut-être aussi pour cela que je suis moi aussi optimiste, d'un certain point de vue. Dans la liste de nouveaux que tu énumères, Eric, je repère d'abord des gens qui ont tous posé la question du style, et qui, quoi qu'ils en disent dans les interviews, ont finalement fait primer l'esthétique pure sur le discours. Je suis frappé de voir la forte identité stylistique d'une Catherine Dufour, par exemple: j'ai commencé à analyser ses procédés, l'équilibre global du récit, les rythmes, la fusion de l'idée et de la sensation (voyez le titre de son roman GPI), tout cela témoigne d'une vraie esthétique.
Pour des types comme Colin ou Noirez, quoi qu'on ait pensé de l'intérêt ou du sens ultimes de leurs derniers romans respectifs (moi j'y ai vu du sens, mais d'autres critiques meilleurs que moi n'en ont pas vu, ou n'y ont pas vu l'expression aboutie d'un vrai sens), tout notre milieu a souligné des talents de narration, une légèreté, une fluidité, une facilité à poser des ambiances, des mondes, en deux coups de cuillère à pot, qui sont frappantes et très agréables.
Ces styles, ces "voix" singulières que tous façonnent dans leur coin, c'est cela leur véritable pensée (une pensée n'a de valeur que propre, singulière, c'est-à-dire appropriée, singularisée), et c'est là que, comme auteurs d'imaginaire, à mon sens, tous ils font réellement
acte de pensée. Et quand ça pense vraiment, comme c'est à mon sens le cas pour les Damasio, Beauverger, Dufour, Colin, Noirez, Calvo, mais aussi (et surtout?) Lehman, le sens politique de leurs oeuvres ne saurait être totalement oublié. Mieux encore: c'est parce qu'il provient d'une pensée
par l'image (en SF et fantasy: par la création de monde) que ce sens politique parvient à se dégager, à se libérer, de la version la plus niaise et la plus fatiguée, la plus médiatiquement prostituée, de l'engagement politique compris comme unique possibilité de
justifier l'homme.