Shalmaneser a écrit :Gui a écrit :
L'esprit littéraire a souvent tendance à s'emballer pour des choses qui cadrent mal avec l'aspect spéculatif des sciences (même humaines)* et des techniques (qui ont généralement pour but de servir l'humain)* du coup on se retrouve souvent avec des textes qui ont certes un coté poétique certain mais dont la teneur... disons "rationnelle" laisse souvent à désirer, au moins pour moi
A l'inverse, j'aurais plutôt tendance à considérer qu'à part dans le domaine de la Hard Science peut-être, les oeuvres de SF sont plutôt farfelues sur le plan de "l'aspect spéculatif des sciences et des techniques"... Mais n'est-ce pas le but ?
Je crois que ça dépend de ce que tu appelles "farfelu" ainsi de ce que tu appelles une oeuvre de SF. Point par point :
- le farfelu ne me dérange pas tant qu'il a une justification : je considère farfelu tout ce qui ne fait pas partie des normes, ce qui surprend, qui amuse, qui fait rêver éventuellement,... Les connexions neurales des
cyberpunks sont farfelues parce qu'elles n'existent pas (même si les développements sont plutôt en bonne voie), parce qu'elles modifient les rapports de l'humain à la machine, qu'elles les améliorent aussi (dans ce sens-là, c'est utile et intéressant, ce que je considère comme une justification, c'est-à-dire une bonne raison de proposer ce système dans une histoire). A l'opposé, les petits hommes verts martiens, tout aussi farfelus qu'ils soient, n'ont aucune justification scientifique, et c'est peut-être pour cette raison qu'on en voit plus beaucoup dans les oeuvres de SF, sauf dans les parodies et/ou les hommages : cette icône ne fait plus partie du possible mais de la culture générale du genre, il est "cool" et sympa mais n'a aucune raison de se trouver dans une histoire de SF sérieuse (encore que, on peut toujours trouver une justification mais il y aura de bonnes chances que ce soit plus un tour de passe-passe qu'autre chose...). Bref, le farfelu qui est juste ça, farfelu, ne sert qu'à amuser, éventuellement à renvoyer à des oeuvres précédentes à la manière d'un clin d'oeil (et finalement, c'est peut-être sa seule justification véritable) ou bien il fait partie de ces thèmes qui sont partie intégrante du genre depuis le départ et qu'on a conservé bien qu'ils soient invraisemblables (comme le voyage dans le temps), peut-être comme une mauvaise habitude, ou bien parce qu'il permet de ficeler des histoires intéressantes ; d'un autre coté, le farfelu qui découle d'une extrapolation sérieuse (je ne dis pas strictement rigoureuse, je veux dire simplement possible, envisageable sans recourir à une espèce de pseudo-magie vaguement basée sur des principes douteux : l'extrapolation n'est pas 100% exacte mais repose sur des idées et des lois admises comme vraies même si elle nécessite un certain arrondissement des angles pour éviter de basculer dans la névrose techno-scientifique), ce farfelu-là fait partie de la SF, c'est même une part importante de ce que j'attends d'une oeuvre de SF (mais ce n'est pas la seule...)
- ensuite, de quelle oeuvre de SF parles-tu ? La plupart des textes de
Egan sont farfelus (pour ne pas dire déjantés) mais solides sur les plans scientifiques et techniques : je crois à ses histoires, j'arrive à les envisager comme possibles, au sens large du terme et sans basculer dans la névrose techno-scientifique évoquée plus haut, même si parfois ils me paraissent plus faibles sur le plan humain (ce qui rejoint une partie de ce que je disais dans mon message précédent, mais c'est beaucoup moins préoccupant que chez certains autres auteurs, à la limite du négligeable en fait). En revanche, chez
Dick, je ne crois à rien en règle générale : ses trucs et ses gadgets servent admirablement l'histoire, l'intrigue, le thème, mais leur manque de cohérence techno-scientifique les rend aussi très peu crédibles, à la limite du foutage de gueule presque (encore que le foutage de gueule vient plutôt de ceux qui disent que
Dick est un écrivain de SF selon moi mais bon, c'est un détail) ou alors c'est un auteur de "fantastique déguisé en SF" ce qui est tout à fait respectable mais à ce moment-là appelons un chat, un chat...
Bref, un équilibre est nécessaire à une oeuvre de SF, à sa cohérence, à sa plausibilité : la suspension de l'incrédulité fonctionne jusqu'à un certain point, surtout chez le lecteur lambda que j'évoquais précédemment. Proposer des trucs et des astuces qui sont là juste pour faire "cool" ne gêne pas le récit tant que c'est subalterne, mais si ça se retrouve au coeur de l'histoire, ça commence à devenir un problème, parce que les fondements de l'histoire elle-même sont remis en question : celle-ci n'a plus de réelle raison d'être, en tous cas comme histoire de SF
Bien sûr, chacun a le droit d'écrire du fantastique, de l'allégorie, du surréalisme, et j'en oublie, mais à condition que ce soit labellisé comme tel, autrement tout est tout et on ne sait plus ni ce qu'on lit ni ce qu'on écoute ni ce qu'on regarde : comment faire un choix à ce moment-là ? Le lecteur lambda, ce nouveau public dont le genre a besoin pour "revenir à la mode" donc, lui, a besoin de pouvoir faire une différence puisqu'il ne connait pas toutes ses subtilités qui lui apparaissent certainement comme un jeu sémantique au mieux, ou bien une nouvelle méthode marketing pour lui refiler de la soupe au pire.
Un exemple : l'an dernier, je bossais chez un architecte où j'avais un unique collègue de travail, tout frais émoulu sorti de la fac' d'archi. Dans je ne sais plus quel contexte, je commence à lui parler du film
Cabale (de
Clive Barker si je me souviens bien...) et lui me répond : "Ah oui, c'est de la science fiction..." Raté, c'était du fantastique. Tu vois le problème ? Comment faire revenir à la mode un genre rendu inidentifiable parce que ses frontières sont devenues floues par toutes sortes d'amalgammes ?
Shalmaneser a écrit :Dans le cas contraire, pourquoi s'embarrasser du langage, si imprécis, si désespérément "esthétique" ? nous n'aurions pas sous les yeux des romans (tiens, des "romans", comme c'est curieux, que fait-il là, ce mot ?), mais des compilations de schémas et de formules physiques...
On s'embarrasse du langage parce que c'est ce qui permet de communiquer et on l'utilise dans des romans parce que c'est une des meilleures manières de raconter des histoires : je ne vois pas l'intérêt de la question
Quant aux "compilations de schémas et de formules physiques" c'est aussi une forme de langage, mais beaucoup trop spécialisé pour parler à ce fameux grand public où le genre a besoin de puiser un vivier de nouveaux lecteurs (encore que certains férus du genre pourraient être intéressés de jeter un coup d'oeil à ce genre de "prose", au moins pour son aspect expérimental), par conséquent il ne peut pas être la réponse au problème de la SF qui n'est plus à la mode
Et pour ce qui est de l'esthétique, je suis infographiste depuis 10 ans : il y a donc des chances raisonnables que j'en connaisse un truc ou deux. Ne te trompe pas d'interlocuteur : comme je disais dans mon message précédent, je ne dénigre pas plus l'expérimentation littéraire que je ne fais l'apologie de la
Hard Science, je déplore seulement le manque d'équilibre entre les deux
Shalmaneser a écrit :Ceux qui croient un seul instant que tout ça est crédible sur le plan strictement technique, et qui lisent les romans de SF comme des bouquins de théorie scientifique, sont comme le type qui, allant au cinéma pour la première fois, court lacérer l'écran avec son canif pour sauver la belle des griffes du méchant.
Mais qu'est-ce qui te fait croire que je lis un livre de SF comme un bouquin de théorie scientifique ? Je le disais dans mon message précédent : quand je lis de la SF, je m'intéresse au
possible, pas à la réalité, ni au savoir, ni quoi que ce soit d'autre... J'ai juste besoin d'un truc cohérent et plausible, un machin qui tient la route et qui n'est pas trop farci de détails que l'auteur a mis là parce qu'ils sont jolis et que sur le coup ça lui a plu alors que s'il avait réfléchi 2 minutes il se serait rendu compte que ça fout en l'air une partie de son histoire ou en tous cas que ça la déstabilise très sérieusement
C'est bien de dire ce qu'on a à dire, mais encore faut-il savoir de quoi on parle et être capable de le dire correctement : si le lecteur jette le livre avant la fin, la meilleure intention est perdue