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par Gérard Klein » mer. juin 03, 2009 5:47 pm
"Dans l'intérêt de la raison, distinguez."
Ainsi nous exhortent deux esprits aussi différents qu'Alfred Korzybski et Pierre Bourdieu.
Lorsqu'Érion, de qui je partage pour l'essentiel le point de vue, rapproche la taxonomie du vivant, ébauchée de manière systématique au 18ème siècle, et celle de "genres" littéraires, il me semble bien clair qu'il propose une analogie ou une comparaison mais ne prétend aucunement qu'il s'agit de domaines de même nature.
Toutefois, cette analogie est féconde. De même qu'avant le cladisme, la classification des espèces a été conduite selon des critères d'apparence et qu'il a fallu parfois sérieusement la retoucher quand on a eu accès à des critères génétiques, il est possible de distinguer entre des formes de littérature en retenant des critères de forme ou de structure.
C'est pourquoi j'ai proposé, sans grand succès populaire jusqu'ici, de parler d'espèces littéraires plutôt que de genres, réservant ce dernier terme aux genres classiques, poésie, théatre, roman, etc, sous peine de confusionnisme généralisé.
Il est tout à fait possible de distinguer sur des critères objectifs ou du moins quantitatifs, pour répondre au vœu d'un intervenant, entre les romans de Marc Lévy et ceux de Victor Hugo, en tenant compte par exemple de la longueur des œuvres, de celle des phrases et de la richesse du vocabulaire, toutes choses qu'un programme simplet dans un ordinateur inintelligent saura départager. En étendant un peu la démarche, il sera possible de classer dans des domaines différents, d'un côté Lévy, Chrichton et Harlequin, et de l'autre Hugo, Proust, Nerval, Rimbaud et Thomas Mann ou Goethe, sans même faire intervenir les époques, les écoles et les circonstances d'édition.
Je suis convaincu qu'une analyse même grossière du vocabulaire permettrait de distinguer sur des critères quantitatifs roman policier, roman érotique et science-fiction, par exemple. Bien entendu, des textes échapperaient à ce crible. Et il serait alors intéressant de les examiner.
D'autant que je considère que les systèmes de reconnaissance de formes dont sont équipés les humains sont bien plus puissants que les cribles quantitatifs évoqués.
Une sorte de cladisme est même possible puisque nous connaissons en général les dates des œuvres et que nous pouvons y repérer des thèmes. Ainsi le Frankenstein de Mary Shelley est non seulement l'ancêtre possible de la science-fiction, mais celui du roman judiciaire et celui du roman familial, entre autres. De même que chez Poe…
Et il me semblerait curieux d'évacuer les intentions des auteurs, souvent clairement exprimées dans un commentaire ou un paratexte, les pratiques des éditeurs et les attentes manifestes des lecteurs. Si les éditeurs ont une pratique de classement en collections, ce n'est ni par perversité obsessionnelle, ni par souci tout militaire d'encadrer le consommateur, mais c'est en suivant la demande souvent explicite des lecteurs, des libraires et même des critiques. Cela confère à nos espèces littéraires une certaine objectivité et même une objectivité certaine.
Fort étrangement, je viens d'observer dans mon supermarché que les vins et les jus de fruits étaient disposés dans des rayons différents bien que leur origine soit de même nature, que le beurre et les yaourts étaient également séparés bien qu'il s'agisse de produits laitiers et que même, les rosés, les rouges et les blancs étaient disjoints, de même que la viande de boeuf et celle de veau. Et pourtant, tout cela est de la nourriture.
(à suivre.)