Message
par henri » mar. juin 08, 2010 10:37 am
Ah merde, je savais bien que j'arriverais pas à ne pas répondre...
Bon…
Alors…
1 – @ Fabrice : d’abord, tu me dis « tes interventions stériles à mon endroit commencent sérieusement à me gonfler. » et là, je pense que tu te fous un peu de ma gueule. Comme dirait l’autre, « C’est toi qu’a commencé, con ! ». Un, sur ce thread, tu balances un message en nous opposant toi et moi, en disant clairement que « le style j’en ai rien à foutre », sous-entendu que j’écris comme de la merde… J’appelle ça chercher la baston, frangin. Deux, tu as créé sur Internet un site sur lequel tu te fous ouvertement de ma gueule. Tu aurais pu faire un site rigolo, m’appeler et me dire « Eh, Riton, le prends pas mal, on fait une parodie de la Ligue, on va bien s’marrer, viens voir. ». Et, tu me connais, je me serais marré. Mais non. Tu t’es publiquement et collectivement foutu non pas seulement de la ligue en tant que collectif, mais bien de ma gueule en particulier. Alors sois gentil, moi, je n’ai jamais fait ce genre de trucs, je ne me suis jamais publiquement foutu de ta gueule (et je pourrais le faire), mais permets-moi au moins, quand tu parles de moi sur un forum, de venir te dire toute la tendresse que je garde pour ces grands moments de notre amitié.
Ensuite, tu me dis « La prose de Guyotat, de Chevillard, de Claro, de Faulkner, de Brautigan, me bouleverse. Est-ce que ta prose bouleverse quelqu'un ? ». En fait, j’ai compris le problème. Je pense que tu n’es pas conscient de la suffisance démesurée qu’il faut pour sortir une phrase pareille. Relis-toi.
2 - @ Eric et Jérôme :
Comment expliques-tu ton succès ? Comment travailles-tu ?
Je pourrais te répondre par la seule phrase logique : mon succès s’explique par le fait que beaucoup de gens achètent mes livres, en France et dans une quinzaine de pays… Point final.
En dehors de ça, le succès ne s’explique pas. Et quand on tente de l’expliquer, si c’est dans le but de le reproduire, ça ne fonctionne pas. En outre, le succès n’est pas vraiment le sujet le plus intéressant dont j’ai envie de parler, concernant mes livres. Je préfèrerais qu’on parle de mes livres, mais ça, je ne peux le faire qu’avec les gens qui les ont lus, et donc très peu d’entre vous… L’avantage que j’ai sur Fabrice Colin, c’est que moi j’ai lu pas mal de ses livres, et je peux donc témoigner d’une chose que nous avons en commun (ayant lu les miens aussi) : en dix ans, on a fait des progrès, mec.
Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’écris avec mes trippes, que j’essaie de ne pas tricher, ni avec moi, ni avec mes lecteurs, et que chacun de mes romans est pour moi un bout de ma vie que j’essaie de partager avec des lecteurs dans ma hantise de l’incommunicabilité. Vous dire que j’essaie, contrairement à ce que pense Fabrice, de bouleverser les gens comme ils me bouleversent. Et visiblement, mes romans trouvent, d’année en année, un petit peu plus de gens qui sont, ne lui en déplaise, « bouleversés »… Mais il faut relativiser. Le mot succès me fait marrer. Mes livres se vendent à 25 000 ex. en grand format, 40 000 en poche et 60 000 en club. Ça fait 125 000 personnes à chaque fois, un peu plus si on considère que les livres circulent. Soit. C’est mortel et j’aurais jamais rêvé pouvoir toucher autant de monde. Mais à côté des dizaines de millions de personnes qui font un box office du cinéma, le succès d’un livre est ridicule… Ça devrait forcer la modestie.
Tiens, vous voulez savoir pourquoi j’écris. Je l’ai dit dans mon dernier roman, par la bouche de l’un de ses personnages : « (…) Car même si je suis l’un des plus célèbres, je ne suis que copiste quand j’aurais voulu être auteur, quand j’aurais voulu dire le plus intime lien qui nous unit tous, quand j’aurais voulu dégager, par les mots, l’harmonie de nos différences, cette harmonie qui fait l’humaine condition ; quand j’aurais voulu être un Chrétien de Troyes, une Christine de Pisan. Lui, ce visionnaire qui, sous cette forme nouvelle et pleine de promesses, montra combien les légendes, même les plus merveilleuses, sont de justes miroirs de nos pauvres vies ; et elle, cette érudite qui sait montrer aux hommes combien ils se trompent en refusant de prêter aux femmes une âme au moins égale à la nôtre…
L’un et l’autre auront tant laissé.
Et moi ? Que vous aurai-je laissé ? Tout ce que les mots ne livrent pas est perdu. C’est l’angoisse de cette perte qui nous pousse à écrire, les uns après les autres, comme si nous devions nous transmettre une vérité originelle que seul le silence pourrait détruire.
Je remplirai, bientôt, mon devoir de parole.
(…) Je crois pouvoir dire que mon métier me donne quelque faveur dans la connaissance de la nature humaine. Après tout, je ne fais rien d’autre qu’écouter mes semblables, les regarder et reporter sur des pages ces petits bouts de vie qu’ils me dictent, qu’ils me confient aveuglément. À l’écrivain que je suis on livre sans pudeur ses peurs, ses espoirs, ses envies, et même ses mensonges, parfois.
Depuis le temps que j’observe les hommes, je crois pouvoir dire que je les connais fort bien. Je sais leurs défauts, leurs qualités, leurs forces et leurs faiblesses. Et s’il est indéniable que ce sont leurs différences qui les rendent intéressants, leurs ressemblances, avec le temps, me les ont rendu plus attachants.
Avec les horreurs que certains m’ont fait, avec toutes les calomnies que Pernelle et moi avons dû essuyer, j’aurai pu céder au mépris et poser sur mes contemporains un regard critique, nourri de rancœur et de haine. Et pourtant, je les aime bien plus que je ne saurais vous le dire.
J’aime les hommes, non pas pour ce qu’ils ont de meilleur, mais pour ce qu’ils ont de pire. Il n’y a d’ailleurs aucune autre façon de les aimer. J’aime le menteur et la menteuse, j’aime le lâche, j’aime l’égoïste et le manipulateur, j’aime la cruauté de l’adulte comme celle de l’enfant qui arrache ses pattes à la fourmi, j’aime le cynique, j’aime le fou, je les aime tous car tous sont un petit peu moi. Allons, ne te mens pas à toi-même, mon cher lecteur. Il y a en chacun de nous tout à la fois un menteur, un lâche, un égoïste, un manipulateur, un cruel, un cynique et un fou. Savoir le reconnaître chez soi autant que chez autrui est salvateur car cette communauté de faiblesses a ceci de formidable qu’elle efface nos solitudes.
Si la naissance comme la mort sont deux expériences qui ne se partagent pas, si notre entrée et notre sortie dans ce monde doivent être marquées du sceau d’un inévitable isolement, autant chérir ce qui, entre les deux, nous lie les uns aux autres, même si ce n’est pas ce qu’il y a de plus beau chez l’homme.
Si je suis écrivain, c’est pour reconnaître et éclairer chez vous ces faiblesses qui, à mon grand soulagement, me confirment que nous sommes frères. »
Es-tu d'accord ou non avec les critiques négatives ?
Je n’ai pas à l’être. Toutes m’instruisent. Certaines sur ce que je pourrais améliorer dans mes romans. D’autres sur la bêtise humaine. Les dernières sur ce que la jalousie peut produire de méchanceté.
Pourquoi la ligue de l'imaginaire et comprends-tu que certains s'y opposent ?
Parce que j’aime le vin chilien et les potes avec lesquels je l’ai fondée. Parce que, comme beaucoup ici, j’ai envie de défendre les littératures de l’imaginaire dans les médias… Le pire, c’est que les seuls qui nous foutent vraiment sur la gueule, ce sont ceux qui prétendent avoir le même combat que nous mais qui, en réalité, en se déchirant et en s’enfermant, font tout pour que cette littérature continue d’être considérée comme de la merde… Les critiques les plus dures viennent toujours de ceux dont, à l’origine, tu partageais le combat. C’est marrant, en ce moment, je bosse sur un nouveau projet avec Renaud – le chanteur, pas les bagnoles. Hier, il me racontait comment, après son troisième disque, qui a été le début de son énorme succès, il s’était fait soudain défoncer par une partie de son public des débuts, qui, en somme, ne supportait pas l’idée qu’il pût gagner du blé avec ses chansons… populaires. J’y ai retrouvé tous les clichés de ce que je vis, moi, dans le milieu SF, depuis quelques années. Et la douleur de Renaud, comme la mienne, ont beau être stériles et ridicules, on n’arrive pas à ne pas les éprouver… L’essentiel étant que, parfois, on en rigole, et puis aussi, on s’en branle un peu la plupart du temps.
As-tu vraiment l'impression d'être ignoré des médias "parisien" ?
Oui, comparé à certains autres auteurs, mais je ne m’en plains pas tant que ça. Ça m’énerve parfois, mais comme je le disais dans ce débat aux Imaginales, que vous pouvez ré-écouter, ça ne me choque pas qu’un journaliste estime plus important de faire découvrir à ses lecteurs des auteurs qui n’ont pas eu la chance, eux, de rencontrer le succès. Au contraire. Ce qui me gonfle VRAIMENT, ce sont les gens qui ne lisent pas mes livres et les descendent, souvent en utilisant un pseudonyme… Ça, vraiment, ça me gonfle.
3 – Pour finir – et après faut vraiment que je retourne écrire ma prochaine merde pour le grand-public – je suis on ne peut plus d’accord avec toi, Msieur Wagner. Je ne comprends pas l’opposition que font Fabrice et d’autres entre histoire et style (sans compter, encore une fois, que la notion de style me semble bien subjective…). Pour moi, l’un et l’autre sont nécessaires et inséparables. Les romans qui me touchent le plus sont ceux qui ne négligent ni l’un ni l’autre, qui mettent l’autre au service de l’un et l’un au service de l’autre. Le maître en la matière, pour moi, est Romain Gary. Il n’y a pas une phrase de Gary qui ne soit au service de son histoire, et la plupart d’entre elles me fout les poils. Du Gary sans style, ça me toucherait moins, et du style Gary sans histoire, pareil. Du Colin avec une histoire, ça pourrait me faire bande. Oh, ça va, Fabrice…
L'infâme Henri Loevenbruck