ITW de Maurice G. Dantec dans Le Matin Dimanche
Posté : jeu. sept. 20, 2007 2:09 pm
Maurice G. Dantec: «Je me suis confronté à mon propre instinct diabolique»
Avec son dernier opus «Artfact. Machine à écrire.01», l'écrivain met en scène la trinité de l'homme, écartelé entre figure christique et prince des enfers. Une messe noire sur fond de 11 septembre 2001 et de fin des temps. Interview
Anne-Sylvie Sprenger - 16 Septembre 2007
Le Matin Dimanche
Il est 10 h 30 du matin, Maurice Georges Dantec émerge. Il arrive au rendez-vous en retard, il tourne en rond, stressé, absent. Il s'assied, se relève aussitôt. Part passer sa tête sous l'eau. L'écrivain n'aime pas les réveils brutaux. Pourtant, il a le look dès le matin. Blouson en cuir, lunettes noires, doigts bagués de gros bijoux noir et argent, croix catholiques, ici et là. Drôle de rocker, que ce Maurice Georges Dantec revenu de tous les excès, écrivain polémique et apocalyptique, théologien fou et surdoué. La pensée est poussée, parfois fumeuse aussi, le propos virulent.
Le 11 septembre 2001 et le 16 février 2004. Autres réveils dans la vie de Dantec: le commencement de la fin du monde et sa conversion au catholicisme, tous deux au coeur de «Artefact. Machines à écrire 1.0», son dernier ouvrage. Un triptyque qui met en scène la trinité de l'homme, écartelé entre la figure christique et le prince des enfers. Dans la première partie, un humanoïde venu des étoiles sauve une petite fille du chaos du World Trade Center. Dans la dernière, un homme, rendu fou de douleur, devient l'exterminateur intérimaire du diable. Au centre, le moment du choix. Du basculement. Interview.
Dans ce livre, où vous vous interrogez sur l'identité, vous allez jusqu'à demander au lecteur s'il est vraiment «une personne»...
Parce qu'à mon avis la question mérite d'être posée. Sommes-nous encore des personnes? Quand on connaît la signification de ce terme, on commence à en douter et à se demander si on n'est pas de simples Replicant. On est entré dans une époque où les concepts prennent la place des choses, les discours et les symboles prennent la place de la chair. On est dans le Verbe, dans le mauvais sens du terme. Il suffit de voir un type du magazine Les Inrocks à la télé et puis on a compris...
Vos livres, bien qu'érudits, manquent quant à eux parfois de clarté...
Celui-ci est plus «posé», mais ce n'est pas «Olive à New York» non plus! Je ne me dis pas: «Bon, je vais faire simple pour que ce pauvre lecteur comprenne.» Quand je lis un auteur du XIIIe siècle, je me dis que la pensée a quand même nettement reculé... Hegel et tous les autres, ce sont des bambins, ils peuvent retourner à l'école par rapport aux grands écrivains catholiques!
Comme eux, vous traitez Dieu et la science sur le même plan, ce qu'on ne fait plus...
Ça dépend. Heureusement, il reste des chrétiens intelligents, notamment ceux qui s'intéressent à ce qu'on appelle l'«Intelligent design evolutionism», dans lequel l'évolutionnisme biologique n'est plus en contradiction avec la religion chrétienne. Quant aux scientifiques athées, ils ont toujours été de grands comiques.
Le Pardon est la clé de votre roman. C'est le fondement du christianisme, justement. Vous faites de l'évangélisation?
Non, je ne suis pas un prosélyte. Il se trouve juste que le coeur de ma pensée est ce que j'appelle la science chrétienne. Ça ne me semblait pas cohérent de laisser cette figure diabolique s'en sortir. Il fallait que je montre que le diable n'était jamais qu'un ange déchu. A la fin, il est vaincu par le Christ. Et comme je ne pense pas que le Christ soit un superhéros avec des pouvoirs électromagnétiques...
Votre manière de traiter du christianisme est pour le moins déroutante...
Je ne supporte pas la bigoterie et les bas-bleus. Les grands écrivains catholiques du XIXe siècle étaient aussi des cogneurs, aux prises avec les milieux catholiques de l'époque parce qu'ils ne rentraient pas dans les cases de la littérature bien-pensante. Je suis dans une situation semblable: ceux qui ne croient pas me considèrent comme un ovni, quant aux catholiques bon teint qui ont été baptisés à la naissance, ils trouvent que je ne rentre pas dans les cases. Mais je n'en ai rien à faire de leurs cases.
C'est un livre chrétien hardcore en fait...
Je ne pouvais pas faire autrement. J'ai eu beaucoup de doutes au moment de l'écriture de la dernière novela, parce que je savais qu'elle est particulièrement hardcore. Mais si j'avais écrit un texte sur Auschwitz, ce ne serait pas spécialement la bibliothèque rose non plus. Je me suis confronté à mon propre instinct diabolique, parce qu'on a tous ça en nous. Il faut «voir le monstre en face», comme disait Nietzsche. Sinon ça ne sert à rien d'écrire.
Et c'est quoi ce monstre?
Aujourd'hui, le diable c'est une certaine forme d'indifférence. Le 11 septembre 2001 marque la fin du monde, parce qu'on n'est plus dans la nuit et le brouillard d'Auschwitz, mais dans le spectaculaire. Dans quelques années, un groupe de terroriste balancera des couches neurotoxiques qui tueront des dizaines de milliers de personnes, mais ce sera sur France 3 Limousin. Le mal devient de plus en plus omnipotent, à mesure qu'il se banalise.
Vous décriez aussi le règne de la machine, pourtant vous êtes plus cyber qu'écolo...
Je ne suis pas technophobe. Mais si on coupe la raison de la foi, la raison devient folle. C'est ce qu'on a fait à partir des Lumières. Résultat des courses: on a une science de plus en plus technicienne, on est passé à un stade «bricolette». Je n'ai pas un discours contre la technique, à condition que la technique ne soit pas en train de devenir le monde. Nier Dieu, c'est perdre toute crédibilité.
Explications de texte en quatre concepts
Postreligion en kit
«Le spirituel, ça ne veut malheureusement plus dire grand-chose. C'est aujourd'hui la grande foire à la spiritualité. Tu fais ton marché, tu vas prendre un peu de bouddhisme que tu vas mélanger avec un morceau de statuette aztèque, et pourquoi pas une tunique de raélien en prime? La grande tragédie, c'est que, désormais, on nous fait croire que toutes les religions se valent. Ce qui est quand même légèrement contradictoire...»
Battre les nombres
«Les nombres sont une invention divine, comme le verbe. Mais à partir du moment où vous les mettez au service de la non-pensée technique, ils deviennent des matricules qu'on peut imprimer sur des peaux. Les logos, c'est pareil. Le nazisme et le communisme ont complètement mécanisé le langage, pour pouvoir faire en sorte que leurs programmes d'extermination ou d'oppression soient totalement intégrés par la pensée. Le but? Tuer l'identité.»
Contre-culture subventionnée
«Aujourd'hui, n'importe quel abruti se réclame de la dissidence. Je vais encore me faire mal voir par le magazine Les Inrocks, mais la subversion est devenue le slogan même de la bourgeoisie. C'est la modernité qui s'est mise en tête de renverser les modèles établis. Mais pourquoi? C'est quoi le problème? Platon ne vous plaît pas? C'est trop compliqué pour vous?»
Psychopathe, mot-valise
«Ça a commencé avec le système soviétique où tout dissident, soit on le mettait au goulag direct, soit il était interné en hôpital psychiatrique sous l'appellation de schizophrène. C'est le bon vieux renversement classique: si vous osez dire que le monde est en train de devenir cinglé, c'est que vous n'êtes pas bien dans votre tête. Quand on veut piquer son chien...»
Avec son dernier opus «Artfact. Machine à écrire.01», l'écrivain met en scène la trinité de l'homme, écartelé entre figure christique et prince des enfers. Une messe noire sur fond de 11 septembre 2001 et de fin des temps. Interview
Anne-Sylvie Sprenger - 16 Septembre 2007
Le Matin Dimanche
Il est 10 h 30 du matin, Maurice Georges Dantec émerge. Il arrive au rendez-vous en retard, il tourne en rond, stressé, absent. Il s'assied, se relève aussitôt. Part passer sa tête sous l'eau. L'écrivain n'aime pas les réveils brutaux. Pourtant, il a le look dès le matin. Blouson en cuir, lunettes noires, doigts bagués de gros bijoux noir et argent, croix catholiques, ici et là. Drôle de rocker, que ce Maurice Georges Dantec revenu de tous les excès, écrivain polémique et apocalyptique, théologien fou et surdoué. La pensée est poussée, parfois fumeuse aussi, le propos virulent.
Le 11 septembre 2001 et le 16 février 2004. Autres réveils dans la vie de Dantec: le commencement de la fin du monde et sa conversion au catholicisme, tous deux au coeur de «Artefact. Machines à écrire 1.0», son dernier ouvrage. Un triptyque qui met en scène la trinité de l'homme, écartelé entre la figure christique et le prince des enfers. Dans la première partie, un humanoïde venu des étoiles sauve une petite fille du chaos du World Trade Center. Dans la dernière, un homme, rendu fou de douleur, devient l'exterminateur intérimaire du diable. Au centre, le moment du choix. Du basculement. Interview.
Dans ce livre, où vous vous interrogez sur l'identité, vous allez jusqu'à demander au lecteur s'il est vraiment «une personne»...
Parce qu'à mon avis la question mérite d'être posée. Sommes-nous encore des personnes? Quand on connaît la signification de ce terme, on commence à en douter et à se demander si on n'est pas de simples Replicant. On est entré dans une époque où les concepts prennent la place des choses, les discours et les symboles prennent la place de la chair. On est dans le Verbe, dans le mauvais sens du terme. Il suffit de voir un type du magazine Les Inrocks à la télé et puis on a compris...
Vos livres, bien qu'érudits, manquent quant à eux parfois de clarté...
Celui-ci est plus «posé», mais ce n'est pas «Olive à New York» non plus! Je ne me dis pas: «Bon, je vais faire simple pour que ce pauvre lecteur comprenne.» Quand je lis un auteur du XIIIe siècle, je me dis que la pensée a quand même nettement reculé... Hegel et tous les autres, ce sont des bambins, ils peuvent retourner à l'école par rapport aux grands écrivains catholiques!
Comme eux, vous traitez Dieu et la science sur le même plan, ce qu'on ne fait plus...
Ça dépend. Heureusement, il reste des chrétiens intelligents, notamment ceux qui s'intéressent à ce qu'on appelle l'«Intelligent design evolutionism», dans lequel l'évolutionnisme biologique n'est plus en contradiction avec la religion chrétienne. Quant aux scientifiques athées, ils ont toujours été de grands comiques.
Le Pardon est la clé de votre roman. C'est le fondement du christianisme, justement. Vous faites de l'évangélisation?
Non, je ne suis pas un prosélyte. Il se trouve juste que le coeur de ma pensée est ce que j'appelle la science chrétienne. Ça ne me semblait pas cohérent de laisser cette figure diabolique s'en sortir. Il fallait que je montre que le diable n'était jamais qu'un ange déchu. A la fin, il est vaincu par le Christ. Et comme je ne pense pas que le Christ soit un superhéros avec des pouvoirs électromagnétiques...
Votre manière de traiter du christianisme est pour le moins déroutante...
Je ne supporte pas la bigoterie et les bas-bleus. Les grands écrivains catholiques du XIXe siècle étaient aussi des cogneurs, aux prises avec les milieux catholiques de l'époque parce qu'ils ne rentraient pas dans les cases de la littérature bien-pensante. Je suis dans une situation semblable: ceux qui ne croient pas me considèrent comme un ovni, quant aux catholiques bon teint qui ont été baptisés à la naissance, ils trouvent que je ne rentre pas dans les cases. Mais je n'en ai rien à faire de leurs cases.
C'est un livre chrétien hardcore en fait...
Je ne pouvais pas faire autrement. J'ai eu beaucoup de doutes au moment de l'écriture de la dernière novela, parce que je savais qu'elle est particulièrement hardcore. Mais si j'avais écrit un texte sur Auschwitz, ce ne serait pas spécialement la bibliothèque rose non plus. Je me suis confronté à mon propre instinct diabolique, parce qu'on a tous ça en nous. Il faut «voir le monstre en face», comme disait Nietzsche. Sinon ça ne sert à rien d'écrire.
Et c'est quoi ce monstre?
Aujourd'hui, le diable c'est une certaine forme d'indifférence. Le 11 septembre 2001 marque la fin du monde, parce qu'on n'est plus dans la nuit et le brouillard d'Auschwitz, mais dans le spectaculaire. Dans quelques années, un groupe de terroriste balancera des couches neurotoxiques qui tueront des dizaines de milliers de personnes, mais ce sera sur France 3 Limousin. Le mal devient de plus en plus omnipotent, à mesure qu'il se banalise.
Vous décriez aussi le règne de la machine, pourtant vous êtes plus cyber qu'écolo...
Je ne suis pas technophobe. Mais si on coupe la raison de la foi, la raison devient folle. C'est ce qu'on a fait à partir des Lumières. Résultat des courses: on a une science de plus en plus technicienne, on est passé à un stade «bricolette». Je n'ai pas un discours contre la technique, à condition que la technique ne soit pas en train de devenir le monde. Nier Dieu, c'est perdre toute crédibilité.
Explications de texte en quatre concepts
Postreligion en kit
«Le spirituel, ça ne veut malheureusement plus dire grand-chose. C'est aujourd'hui la grande foire à la spiritualité. Tu fais ton marché, tu vas prendre un peu de bouddhisme que tu vas mélanger avec un morceau de statuette aztèque, et pourquoi pas une tunique de raélien en prime? La grande tragédie, c'est que, désormais, on nous fait croire que toutes les religions se valent. Ce qui est quand même légèrement contradictoire...»
Battre les nombres
«Les nombres sont une invention divine, comme le verbe. Mais à partir du moment où vous les mettez au service de la non-pensée technique, ils deviennent des matricules qu'on peut imprimer sur des peaux. Les logos, c'est pareil. Le nazisme et le communisme ont complètement mécanisé le langage, pour pouvoir faire en sorte que leurs programmes d'extermination ou d'oppression soient totalement intégrés par la pensée. Le but? Tuer l'identité.»
Contre-culture subventionnée
«Aujourd'hui, n'importe quel abruti se réclame de la dissidence. Je vais encore me faire mal voir par le magazine Les Inrocks, mais la subversion est devenue le slogan même de la bourgeoisie. C'est la modernité qui s'est mise en tête de renverser les modèles établis. Mais pourquoi? C'est quoi le problème? Platon ne vous plaît pas? C'est trop compliqué pour vous?»
Psychopathe, mot-valise
«Ça a commencé avec le système soviétique où tout dissident, soit on le mettait au goulag direct, soit il était interné en hôpital psychiatrique sous l'appellation de schizophrène. C'est le bon vieux renversement classique: si vous osez dire que le monde est en train de devenir cinglé, c'est que vous n'êtes pas bien dans votre tête. Quand on veut piquer son chien...»