Compte-rendu de la conférence de Tad Williams à l'espace cours :
La fantasy et son public aux USA
Animée par Stéphanie Nicot, traduction de Lionel Davoust
Question : Quel est le public de la fantasy ? Est-ce que les amateurs de fantasy font partie du grand public ou sont-ils un public à part ?
TD : avant, quand il participait aux festivals, il aurait pu clairement décrire le public de la fantasy en général. Aujourd'hui, il ne peut que décrire son propre public :
- à peu près équivalent entre femmes et hommes
- âge allant de 12 ans à 20 ans, mais avec pas mal de lecteurs plus âgés
TD n'a pas vraiment d'idée de ce qu'est le public en France (à part qu'ils s'habillent mieux qu'aux USA !). Mais il est intéressé par l'idée évoquée par Stéphanie Nicot selon laquelle le public s'élargit vers la littérature historique. Il y a également une différence de la compréhension de la SF entre les USA et la France (voir l'exemple de Dick).
Son sentiment est que les littératures de l'imaginaire doivent encore prouver leur valeur en Europe, même si l'ouverture d'esprit semble plus prononcée en Europe (notamment en France qui a vu naître la SF avec Cyrano de Bergerac).
Aux USA, la SF/F/F, sous sa forme littéraire, est considérée comme du pur divertissement. On lui demande souvent s'il se sent méprisé par les critiques littéraires. Selon lui, ces critiques confondent les deux sens du mot fantasy :
1) une fantasy très large, qui inclut Vernes et remonte jusqu'à Homère
2) une fantasy commerciale, qui est née (en anglais en tout cas) avec le succès du Seigneur des Anneaux.
Le succès de Tolkien a eu deux conséquences importantes :
- cela a poussé les lecteurs à découvrir d'autres oeuvres, comme celles de Lord Dunsany par exemple
- cela a créé un véritable marché de la fantasy épique
Cette deuxième conséquence provient du fait que les lecteurs en voulaient plus après avoir lu le SdA. L'argent et le marché ont naturellement comblé ce vide.
Si bien que maintenant on a l'impression que la fantasy existe uniquement pour combler ce manque, pour satisfaire un besoin du marché. D'où la profusion de livres à destination de lecteurs peu exigeants. On remarque moins les bons livres.
Quand on parle de "littérature" au USA, on parle ainsi de livres qui ne se vendent pas, car choisis par les éditeurs pour leurs qualités artistiques. La fantasy est docn jugée sur 90% de la production publiée pour remplir les besoins du marché.
Question : comment la presse US réagit-elle vis à vis de la fantasy ?
TD : L'exemple le plus marquant est que le supplément littéraire duNew York Times doit faire au maximum 5 critiques de livres de SF/F/F par an (et encore, en demandant à des gens compétents de le faire pour eux...). Ces genres ne sont pas représentés de la même façon que la littérature générale, elles sont placées dans un ghetto.
Les questions qui reviennent le plus souvent lorsque TD est interviewé : "Mais alors, vous faites la même chose que Star Trek ?" ou bien "Croyez-vous aux OVNIs ?"...
TD trouve qu'en Europe les questions sont plus intéressantes. En Allemagne par exemple, il a été publié pour Autremonde par un éditeur de littérature générale. Du jour au lendemain TD est devenu respectable et a été interviewé correctement. Finalement, c'est plus la nature de l'éditeur que l'écrivain lui-même qui fait sa réputation !
Question : comment marche l'édition aux USA ?
TD : Son cas est particulier : il a le même éditeur depuis plus de 20 ans, et il s'agit d'un des derniers éditeurs indépendants (Daw Trade), vestige des années 70.
Une chose générale qu'il peut dire sur l'édition aux USA : les choses ont beaucoup changé à partir des années 90. On a tenté de faire de l'intégration verticale, les gros conglomérats ont voulu rentrer dans l'édition en pensant faire de l'argent (les fous !).
Mais ils n'avaient aucune idée de comment cela fonctionnait (fait par des passionnés, avec peu de marge). Du coup les conglomérats ont essayé de fair des maisons d'édition des structures faciles à gérer et rentables.
C'est pour ça que des auteurs comme Stephen King ont bénéficié de contrats en or, car c'étaient eux qui faisaient gagner de l'argent aux conglomérats. Pour TD, ce n'est pas bon, car l'argent doit bien venir de quelque part. De fait, il a été pris :
- aux écrivains qui vendent sans être des best sellers
- aux jeunes auteurs ou aux auteurs inhabituels, qui avaient besoin d'un vrai travail avec l'éditeur
Résultat : avant, on pouvait gagner sa vie pendant 20 ans sans faire de grand succès. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Maintenant, si on ne fait pas partie du "cercle magique" des auteurs qui vendent beaucoup, il est difficile d'y rentrer. Et ceux qui y sont peuvent écrire beaucoup de mauvais livres avant d'en sortir.
De plus, depuis que les chaînes de librairies ont informatisé leurs systèmes pour garder trace de leurs commandes, elles savent ce qui se vend ou pas et peuvent refuser de prendre un livre avant même qu'il soit publié.
De plus en plus, tout est dirigé par le marché. On classe tout dans des catégories bien définies, pour prémâcher la lecture.
Question : quel est l'état de l'enseignement de la SF/F/F dans les universités américaines ?
TD : Un des endroits aux USA où les gens sont le plus ouvert, c'est dans les universités. Tout peut s'y passer du point de vue intellectuel. Il y a par exemple en ce moment beaucoup d'intérêt pour les comics ou les séries TV.
Mais TD ne peut pas trop en parler et a même quelques préjugés, car il ne vient pas du milieu académique. Il pense qu'il faut allumer la flamme chez les jeunes de n'import quelle manière, sans chercher à diriger leur pensée.
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Tad Williams :
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