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par Anne » jeu. févr. 09, 2006 10:36 pm
C'est là où je ne suis pas d'accord.
D'un côté, tout écrit peut être assimilé à un message et certains messages sont dangereux (sans devoir être interdits, je le souligne). Si on se base sur la critique du XXeme, la biographie rentre dans l'analyse de la bibliographie et l'écrit devient porteur des idées de son auteur, même lorsque le support n'en a pas la fonction.
D'un autre, le roman est un genre tout à fait à part, assimilé à un monde parallèle où la parole devient porteuse de sens artistique et non obligatoirement social.
Céline écrivait comme un dieu et ses propos antisémites choquent mais les nier revient à nier toute une partie de son oeuvre. On a le droit d'être antisémite et même de le dire. Ce qui est devient problématique, c'est quand le message a une fonction de propagande. Et c'est là que la frontière devient difficile à définir.
Lewis Carroll était considéré comme un pédophile (certes passif) et des générations d'enfants l'ont lu, sans voir ce que nous voyons, adultes familiarisés avec sa biographie: ces enfants-objets qui ne doivent pas grandir et cet auteur omniprésent et vampirique qui se nourrit d'eux.
Doit-on arrêter de lire Céline et Carroll?
Doit-on idéaliser les écrivains? Sont-ils immunisés à la connerie ou à la haine?
Et surtout, ont-ils systématiquement une fonction sociale bienveillante et positive?
Je pense qu'on a tort d'assimiler l'écriture à la fonction sociale. A part au XVIIIeme et à la seconde moitié du XIXeme et du XXeme (et encore...), les auteurs n'ont jamais eu spécialement à coeur de dénoncer. Ou du moins, il n'y a pas obligatoirement de mouvements dont c'était la fonction ou qui le permettaient (les Lumières, certains naturalistes...)
On s'extasie encore sur la parole romantique alors qu'elle développe une image de la femme absolument dégueulasse (meurs en crachant tes poumons dans ton mouchoir de batiste, Joséphine...) qui a empêché son évolution au XIXeme. Les romantiques étaient d'affreux petits bourgeois qui fuyaient dans l'imaginaire (et oui, déjà) pour oublier l'instabilité politique et les conséquences des guerres napoléoniennes. Leurs idées vont proprement à l'encontre de toute évolution sociale. La femme est un petit objet magnifique et statique.
Alors, je suis d'accord, le cas de Céline est à part, puisqu'il dénonçait et que ses écrits peuvent donc s'inscrire dans une logique politique. Pour prendre un autre auteur du XXeme: Boris Vian qui était franchement misogyne et dans la dénonciation également. Il n'empêche que ses Vernon Sullivan sont des petits bijoux de noirceux et d'humour. Et qu'il a écrit le deserteur (même si c'est Mouloudji qui en a fait une chanson pacifiste, en l'influençant).
Le problème n'est pas, à mon avis, de surestimer ou pas l'écrivain mais de ne pas sousestimer son lectorat. Je doute que le faf de base s'extasie sur Céline et s'il le fait (il y a des cons cultivés, sinon, le monde serait plus simple), son cas est de toutes façons perdu pour l'humanité.
L'acte de lire implique que l'on sache ce qu'on lit et également que l'on puisse s'armer contre certaines idées.
Que l'on lise en toute connaissance de cause. C'est là que la lecture, même antisémite, même facho, devient une véritable nourriture, à mon avis.
(Et sinon, j'adore Wagner. Et Niesztche. C'est sa soeur Elizabeth qui me pose un vrai problème).