Message
par silramil » jeu. nov. 20, 2008 10:29 am
Le côté café du commerce de ce fil vient aussi en partie de la généralité des propos qui y sont tenus. Chaque professeur parle de son expérience individuelle, mais est conduit à généraliser parce que chaque année, chaque classe, chaque séance même, est un peu différente des autres. Et de cette généralisation ne sortent que des tendances sans substance réelle. Et pourtant, que dire d'autre que "des fois ça marche, des fois ça ne marche pas"?
Réciproquement, les personnes qui parlent des enseignants en sont réduits à des généralisations abusives, alternant avec des expériences individuelles. Y a des profs mauvais, y en a des bons, moi, mon prof de latin de première il m'a ouvert les yeux sur la beauté du vers latin, etc.
Un long et beau sujet, pourtant, que l'éducation et l'enseignement.
Que sont les professeurs ?
ce sont des fonctionnaires, dans leur grande majorité, et dont une grande proportion s'engage dans une carrière contraignante, lente et sans grand espoir de valorisation, parce qu'ils croient y trouver l'occasion de rendre service à la société en général, et aux enfants et adolescents en particulier.
Une fois établis dans un poste donné (ce qui n'est pas toujours facile, et les premières années de galère usent les bonnes volontés), ils s'aperçoivent que leur mobilité professionnelle est très réduite et que leurs efforts individuels compteront peu dans leur avancement. Certains commencent alors une grève du zèle, d'autres sont heureux de trouver une telle stabilité et en profitent pour multiplier les activités pédagogiques parallèles, la majorité s'efforce de se tenir à niveau et de s'améliorer face aux élèves.
En conclusion ici, je dirais que l'éducation nationale, dont un des objectifs est de garantir une égalité des chances aux élèves, cherche à obtenir cette égalité des chances en stabilisant le sort de son personnel, pour éviter la trop grande médiocrité, au risque d'étouffer le génie de certains professeurs.
Quelle est leur situation sociale?
Les enseignants jouissent/souffrent d'un statut ambigu, qui complique leurs relations avec tous leurs interlocuteurs.
Ils ne sont pas responsables de la bonne marche de l'établissement, ni de la constitution des classes. Ils n'ont pas d'obligation de résultat, à part les bornes statistiques que constituent le brevet et le bac. Personne ou presque ne vient mettre le nez dans leurs cours (même si tous les parents d'élèves et les élèves eux-mêmes se considèrent capables de juger si leur enseignement est bon ou mauvais).
Cette absence de responsabilité directe est compensée par une très lourde charge morale et psychologique, à laquelle s'ajoute un contrôle social très fort. Le mauvais prof est méprisé, chahuté, critiqué et il souffre (à sa manière - et il s'endurcit) autant que ses élèves de l'ennui. Inversement, le bon prof n'a pour récompense de ses cours que la satisfaction du devoir accompli et de bonnes relations avec ses élèves.
Un professeur n'est pas un employé, ni un ouvrier, ni un technicien. Il ne sert à rien de le comparer avec des gens qui produisent ou vendent des objets, qui réparent des choses ou les conceptualisent.
Un professeur aide des êtres humains à s'améliorer. Pour cela, il ne peut pas suivre une série de protocoles, de gestes médicaux ritualisés; il ne peut pas s'aider de tests scientifiques réduisant le corps ou le cerveau humain à leur matérialité organique.
Le professeur se rapproche du psychiatre, du psychologue... gens dont on conteste sans cesse les compétences et dont on regrette, en fait, qu'ils ne puissent fournir des résultats chiffrés.
Combien de temps faut-il avant qu'une initiation au latin provoque un déclic dans l'esprit d'un enfant ? L'adolescent ou l'adulte qui reconnaît une référence dans un texte, un film, une émission, et dont le cerveau est stimulé par cette reconnaissance, se rendra-t-il compte que son esprit a bénéficié des cours de latin qu'il détestait?
Le savoir dispensé dans les écoles est inutile, et indispensable en même temps. Chaque élève pourrait se développer tout seul et trouver une place dans le monde. Le but d'un prof est de semer dans les cerveaux des germes qui fructifieront ou non.
Faut-il interdire le plaisir à l'école ?
pour en revenir au sujet SF, est-il bien raisonnable d'introduire dans l'école, ce lieu de stérilisation des élans juvéniles, ce qui fait le plaisir à l'extérieur ?
Ben, c'est un faux sujet. Bien sûr qu'on s'ennuie en classe, quel que soit le sujet, même si le prof fait tout pour atténuer cet ennui ; et inversement, il arrive que les élèves oublient qu'ils sont censés s'ennuyer et s'amusent énormément (c'est rare, mais avec l'expérience, le prof sait favoriser ces instants de grâce).
la question est plutôt : quels textes allons-nous sacrifier pour qu'un maximum d'élèves ait des chances de mieux lire les suivants, ceux qu'ils aborderont par eux-mêmes?
S'il faut éventrer une nouvelle de Lovecraft pour qu'ils aient une chance de lire Jean ray avec plaisir, soit. S'il faut dévorer le coeur palpitant des Oms en série pour qu'ils aient une chance de s'intéresser à Gandahar, que le destin s'accomplisse.
Ce qui est certain, par contre, c'est que plus on étudie de livres de SF et de fantastique à côté des classiques habituels, plus il y a de chances que la génération suivante considère que ce sont des lectures valables passé un certain âge.
(Incidemment, je fais étudier la Planète des singes à une classe pour leur apprendre ce qu'est une satire et leur parler de contes philsophiques ; ils auront de la science-fiction après, quand ils seront prêts à la lire... je sacrifie donc Pierre Boulle en espérant que Gérard Klein passera mieux après).