Gérard Klein a écrit :Non, Silramil, en situant La machine… et La Planète des singes dans l'utopie, tu contredis complètement l'acception du terme pour les philosophes, les historiens et le public s'il s'en trouve encore pour en lire.
A cet égard, je suis tout à fait d'accord pour dire mon emploi du terme est fautif.
Il me faudrait trouver un meilleur terme, mais je vais essayer déjà de répondre sur le fond : mon objectif n'est pas de dire que la machine à explorer le temps est une utopie, mais de mettre en valeur un caractère que j'ai dit "utopique", mais...
La Machine à explorer le temps n'a aucun caractère utopique. Wells extrapole jusqu'à un point que j'admets satirique l'opposition faite assez communément de son temps, en particulier par les socialistes, entres les aristocrates et rentiers considérés comme oisifs et les ouvriers considérés comme seuls producteurs (on retrouve à peu près cette idée dans Métropolis). Et il inverse le sens de l'exploitation. Les oisifs qui se nourrissaient de la sueur du peuple deviennent le plat de résistance des prolétaires. Rien d'utopique là-dedans, et encore moins d'eschatologique.
Je suis d'accord avec la description; et avec l'interprétation.
En ce cas, qu'est-ce que ce "caractère utopique" que je prête au texte ? Stricto sensu, pas de rapport avec l'utopie.
Ce que je pense voir dans ce type de texte n'a rien à voir avec l'utopie au sens de "qui montre une bonne loi", mais dans un sens plus lâche de "qui présente une société équilibrée, sans exemple actuel dans notre monde", cette société étant de plus "stylisée", "idéalisée" en un sens neutre, par opposition à une société dont les critères de faisabilité sont établis au moins fictivement. (ce dernier critère est très faible en l'état actuel de ma réflexion). de plus, le propos commun de ce type de texte et de l'utopie est de fournir un reflet de la société contemporaine, engageant à la réflexion (on touche ici à la satire, comme nous l'avons relevé l'un et l'autre).
Cela dit, mon propos est moins d'instaurer des catégories (la distinction proposée ne tient pas vraiment la distance) que de mettre en question des évidences et de proposer une forme d'héritage pour le questionnement utopique, dans sa dimension morale, qui ne se confonde pas avec une forme de spéculation sociale.
Je mesure la fragilité de mon hypothèse, mais reste persuadé qu'il y a quelque chose à creuser.
Une fois encore Silramil, une tradition n'est pas inventée au début du XXème siècle (celle de la science-fiction) supposément par Gernsback dans Modern electrics puis dans Amazing. Gernsback s'inscrit dans une tradition préexistante, il le sait et il est tout à fait clair là-dessus dans ses éditoriaux et dans ses choix de textes. Il invente un nom pour cette tradition parce que ça l'arrange pour les raisons déjà dites.
Prétendre le contraire reviendrait à dire que la Série Noire a inventé une littérature. Le terme, très bien trouvé qui a produit celui de roman noir pour une catégorie de romans criminels, recouvre des œuvres antérieures.
Je suis tout à fait convaincu de l'existence d'une tradition antérieure, dont gernsback s'inspire et qu'il entend continuer. Je ne nie nullement qu'il existe une littérature spéculant sur la réalité, anticipant, questionnant le monde, avant lui et parallèlement à la pratique anglo-saxonne de la science fiction.
je ne suis pas non plus simplement nominaliste, à dire que l'acte de baptême marque l'apparition ex nihilo d'une science-fiction toute casquée et armée.
je ne propose d'ailleurs pas de définition exhaustive : comme tu le proposes, je vise plutôt un examen des usages.
Pour autant, je reste persuadé que dans ce cas précis, l'apparition du nom, coordonné à une pratique plus cohérente et nombreuse, a permis la cristallisation d'un type de littérature jusque-là sans grand pôle d'organisation. Cette cristallisation a eu un tel impact sur la réception qu'on a identifié à partir d'elle (et en utilisant largement le nom) des tendances de toute sorte.
Je ne m'oppose pas, d'ailleurs, à l'identification rétrospective à la science-fiction de précurseurs et de textes appartenant à la tradition dont est issue la science-fiction. Je défends l'idée, que je crois simple mais utile, selon laquelle il faut se souvenir du cadre de publication d'un texte pour l'interpréter, et que l'absence ou la présence d'un continuum tel que celui de la science-fiction a un poids non négligeable pour ce cadre de publication et cette interprétation.
Quant à l'extension du terme anticipation (incluant la seule invention nouvelle en cadre contemporain), elle me convient tout à fait.
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.