Je pense qu'il n'est pas immérité à ce stade de remercier les intervenants de ce fil de discussion, et en particulier Dieu,JCD et Oncle Joe pour leurs éclairages respectifs concernant notre "douloureux problème du droit d'auteur"...et ses exceptions

.
LA REPRODUCTION NUMÉRIQUE & ses obscurités
Je voudrais profiter du dernier rebondissement de l'actualité numérique (les négociations en cours entre la BnF et Google Books) pour évoquer plus précisément un sujet qui semble encore confidentiel : le livre, et plus largement,
l'édition numérique.
La question de la
reproduction numérique des documents graphiques, des oeuvres artistiques et littéraires a sucité une nombreuse littérature. 2 thèses circulent sur le net et se retrouvent jusque dans les écrits professionnels dont je donne les références ci-après.
1 . Le raisonnement par analogie
La première veut que la communication électronique se voit appliquer par "
analogie" les règles déjà existantes pour les médias traditionnels. Cette thèse développée dans l'article de Maître Éolas est admise par des professionnels de la numérisation comme Alain Jacquesson. Selon ce dernier, « rendre publiquement accessible un fichier numérique sur Internet est comparable à la publication par impression d'exemplaires multiples, la numérisation d'un document analogique n'[étant] pas différente de la reproduction par photocopies ou microfilms. »
Rappellons que la loi DADSVI du 1er Août 2006 ne modifie pas le délai fixé par l'article L. 122-3 du CPI (1992) qui précise que les oeuvres soumises au droit de la propriété littéraire et artistiques ne peuvent être librement reproduites sans autorisation des ayants droit dans un délai de 70 ans après la mort de l'auteur.
2 . Une gestion des droits laissée à l'éditeur ?
Si le document reproduit est un manuscrit d'archives, il faut en obtenir l'autorisation directement auprès des ayants droit ou par l'intermédiaire de leurs représentants (Trident Media pour l'Herbert L.P.). Les correspondances privées font également intervenir des droits liés au respect de la vie privée (accord des destinataires).
Si le document reproduit est un document publié, c'est souvent à l'éditeur qu'est confiée la gestion de ces droits. En France, la plupart des éditeurs sont groupés au sein du CFC (Centre français d'exploitation) qui dispense des autorisations de reproduction et perçoit des redevances à ce titre.
Contrairement à d'autres sociétés de gestion de droits en Europe ou aux États-Unis, le CFC, en vertu de la loi du 3 Juillet 1995, n'est pas habilité à accorder des autorisations de copie numérique, son mandat ne s'étendant qu'à la reprographie, c'est-à-dire "la reproduction sous forme de copie sur papier ou support assimilé par une technique photographique ou d'effet équivalent permettant une lecture directe". Il faut donc s'adresser directement à l'éditeur -papier- du document dont on souhaite établir une copie numérique.
3 . Le problème du "droit de la preuve"
Certains auteurs, comme Jean-Yves Prax et Simon Larcher, soulignent néanmoins que la copie électronique est un document difficilement comparable à l'image ou au texte reprographié parce son immatérialité le rend inassimilable à ces documents en termes de pérennité (le doc numérique est altérable), d'autonomie (il ne peut être diffusé indépendamment du dispositif qui l'a produit), de "matérialité" (le code n'est pas un caractère), et d'opposabilité (il n'est pas authentifiable sauf par filigrane électronique). Tous ces éléments (sans compter le problème de la "délocalisation" sur des sites étrangers à la législation moins contraignante comme en Europe de l'Est) sont décrits comme autant de limites au principe d'analogie invoqué précédemment.
N'ayant pas eu d'échos d'une jurisprudence en la matière, je ne me prononcerai pas sur la valeur respective de ces arguments, même si le "droit de la preuve" me semble relever d'un contorsionnement juridique un peu périlleux. Les expériences et avis des uns et des autres seront sans doute plus éclairants que ces textes théoriques...
4 . Interrogations diverses autour des "born-digital", "databases" et pratiques du "fair use" :
Pour rendre le problème encore plus difficile qu'il ne l'est, notons que la plupart des auteurs s'accordent à dire, y compris Alain Jacquesson, que les oeuvres numériques "natives" ne peuvent relever de la législation actuelle, compte tenu de l'impossibilité technique de distinguer une copie d'un exemplaire autorisé (sauf implémentation de marquages spécifiques). Ce qui nous promet de longues réjouissances pour les futures hyperfictions...
Autre petit problème à l'égard de la citation -courte- dans le cas des bases de données. Un livre dont les notes de bas de page ou les annexes seraient truffées de trop larges citations est facilement repérable et attaquable en justice...Mais qu'est-ce qu'une base de données ? Peut-on l'assimiler à une oeuvre de l'esprit ? Peut-on la considérer comme un ensemble fini relevant de l'autorité d'un "auteur" justiciable des tribunaux en cas d'abus ? Qu'est-ce qu'une "courte citation" quand un livre se voit morcelé en plusieurs milliers de fragments dispersés dans autant de fichiers indépendants dont le rassemblement ne se fait qu'à la volée via un formulaire relationnel ? Un dictionnaire, une concordance ou une encyclopédie qui prendrait l'initiative de commenter paragraphe par paragraphe un livre au travers de plusieurs milliers de fichiers indépendants pourrait-il se voir attaquer en justice ? Sur quelle base ? Sachant que la granularité de l'information (c'est-à-dire l'impossibilité de discerner de manière irréfutable le tout de ses parties) règne sur le web, c'est là un combat perdu d'avance pour les éditeurs. Heureusement pour eux, il n'y a pas beaucoup de gens assez fous et téméraires pour se lancer dans ce genre de réalisations dantesques...
Tout cela nous ramène aux enjeux du "fair use" et de l'usage professionnel ou amateur de la citation. Mais la loi de 2006, loin de clarifier les choses, n'a semble-t-il qu'ajouté de l'imbroglio à une question déjà épineuse. Un acteur du chantier des UNT disait :"la seule formulation de cette mesure parle d'elle-même et pourrait prêter facilement à plaisanterie".
Un exemple shadockien :(messieurs les censeurs à vos réglettes ! )
L’exception de citation permet de reprendre un bref passage d’une œuvre (...) Il faut insister sur la condition de brièveté de l’emprunt à l’œuvre protégée : la citation doit être courte. Cette exigence s’apprécie en tenant compte de la longueur de l’œuvre citée et mais aussi de l’œuvre citante . Ainsi, reprendre cinq lignes d’un texte qui en compte dix ne permet pas de prétendre qu’il s’agit d’un bref extrait. En revanche, reproduire cinq lignes d’un texte de dix pages satisfait à l’exigence légale. Mais encore faut-il, ensuite, que ce passage soit inséré dans une œuvre qui sera elle-même suffisamment longue. Par exemple, si ces cinq lignes sont introduites dans un texte qui fait au total dix lignes, l’exception de citation ne s’appliquera pas. En revanche, si l’extrait s’insère dans un texte de dix pages, on pourra admettre la citation. (...) l’application [de ce principe] aux images, animées ou non, pose plus de difficultés. Pour autant, on doit considérer que l’exploitation d’une partie de l’œuvre est possible. Par exemple, un zoom sur une partie d’une photographie peut relever de l’exception de citation sous réserve du respect du droit moral de l’auteur. Mais il y a également une autre condition sur laquelle il faut s’arrêter : l’extrait doit être intégré dans une œuvre qui sera elle même protégée par le droit d’auteur. On s’assure ainsi qu’il ne sera pas exploité pour lui même mais bien pour permettre l’exercice de la liberté d’expression.
Voussa comprendro le coeff de citation de l'ouvrage cité rapporté à la masse du document citant ? Mais un fichier n'étant pas plus l'équivalent d'une page qu'une BDD celui d'une monographie, ce n'est pas très grave....pompons, pompons, pompons !
Bibliographie pour aller plus loin :
ANDRÉ (Jacques) & CHABIN (Marie-Anne) /dir.
Les documents anciens, Numéro spécial de Document numérique, vol. 3, numero1-2,
Paris : Hermès [diff.], 1999.
LE MOAL (Jean-Claude) & HIDOINE (Bernard) /coord.
Bibliothèques numériques (Cours INRIA 9/13 octobre 2000, La Bresse)
Paris : ADBS Éditions/INRIA (coll. SI série Etudes & techniques),2000,246 p.
BURESI (Charlette) et CÉDELLE-JOUBERT (Laure) /dir.
Conduire un projet de numérisation
Paris : Tec et Doc (La boîte à outils),Villeurbanne, 2002, 326 p.
WESTEEL (Isabelle) & AUBRY (Martine) /coord.
La numérisation des textes et des images : techniques et réalisations.
Villeneuve-d’Ascq : Presses de l’université Charles de Gaulle - Lille III, 2003,190 p.
SALAÜN (Jean-Michel) & VANDENDORPE (Christian)
Les défis de la publication sur le Web : hyperlectures, cybertextes et méta-éditions
Villeurbanne : Presses de l’Enssib, 2004, 289 p.
LÉNART (Michèle)
La gestion documentaire : évolutions fonctionnelles et description de dix logiciels
Paris : A.D.B.S. Editions / Tosca Consultants, 2004, 185 p.
PRAX (Jean-Yves) & LARCHER (Simon)
La gestion électronique documentaire
Paris : Dunod, 2004, XVI-341 p.
PAPY (Fabrice) /dir.
Les Bibliothèques numériques
Paris : Hermès Science Publications (Traité IC2), 2005, 220 p.
JACQUESSON (Alain) & RIVIER (Alexis)
Bibliothèques et documents numériques : concepts, composantes, techniques et enjeux
Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 2005, 573 p
CHARTRON (Ghislaine) & BROUDOUX (Évelyne) /dir.
Document numérique et société. Actes de la conférence organisée dans le cadre de la Semaine du document numérique à Fribourg (Suisse) les 20 et 21 septembre 2006.
Paris : ADBS éditions, 2006, 342 p.
CALDERAN (Lisette), HIDOINE (Bernard) & MILLET (Jacques) /coord.
Pérenniser le document numérique. Séminaire Inria : 2-6 octobre 2006, Amboise
Paris : ADBS éditions, 2006, 206 p.
PAPY (Fabrice) /dir.
Usages et pratiques dans les bibliothèques numériques
Paris : Hermes science publications/Lavoisier, 2007, 364 p.
PÉDAUQUE (Roger T.) [pseudo-auteur coll.]
Le Document à la lumière du numérique. Forme, texte, médium : comprendre le rôle du document numérique dans l’émergence d’une nouvelle modernité.
Paris : C&F Éditions, 2006, 226 p.
BROUDOUX (Évelyne) & CHARTRON (Ghislaine) /dir.
Traitements et pratiques documentaires : vers un changement de paradigme ? Actes de la deuxième conférence "Document numérique et société", Paris, Cnam, 17-18 novembre 2008
Paris : ADBS Éditions, 2008, 456 p.