thomasday a écrit :Pour moi, c'est une réelle fierté d'être publié chez eux. Et ils m'ont fait retravailler mon texte comme ça m'est rarement arrivé, à part chez Lehman ou Bifrost, Quand on descend à ce niveau de détails, c'est qu'on sait pertinemment ce qu'on publie et c'est bien plus rare que ce qu'on croit.
Je suis totalement d'accord, et j'en rajoute une couche.
Dès le début, Angle Mort m'a paru animé d'une ambition et d'une rigueur littéraire qui tranchait de manière évidente avec le paysage ambiant. Comme Gilles, ils m'ont publié après m'avoir fait bosser - et je leur en suis profondément reconnaissant. Ils ont complété avec une des meilleures interviews de ma vie, qui m'a obligé à poser mes choix et à retracer le parcours du texte que j'avais écrit. J'ai lu chez eux des textes coups-de-poing et des histoires admirables. Bref, je les considère désormais comme indispensables. C'est un label que je donne très rarement.
Et je reviens sur leur éditorial, avec lequel je suis globalement d'accord, et qui provoque chez moi diverses réflexions :
D'abord, j'ai l'impression que la SF est en train de perdre une certaine avance esthétique qu'elle possédait jusqu'à peu. Le Steampunk reste très actif, mais le travail sur les formes de base dans les années 50, les illustrateurs SF inspirant les formes de certains gratte-ciels ou d'objets du quotidien, tout cela a disparu. La génération des outils smartphones/tablettes, les esthétiques/structures des outils numériques comme Facebook, voire l'allure des nouveaux sextoys, ne nous doivent pas grand-chose (en tout cas rien de vraiment revendiqué) et ils sont en train de fixer une esthétique du futur immédiat dont nous avons été dépossédés sans nous en apercevoir. Il n'y a guère que certains films (Minority report est un bon exemple) qui m'ont donné l'impression d'apporter une vision désirable de notre environnement futur.
A titre personnel, je poursuis une réflexion sur diverses tendances du monde qui m'entoure, en particulier numérique. Lors du dernier colloque de Peyresq, où certains d'entre vous étaient là, j'ai parlé d'un phénomène que j'ai baptisé "la matrice attentive. Je disais, dans la partie introductive :
Parmi les progrès technologiques de ces dernières années, l’apparition des capteurs et senseurs (dotés d’une capacité d’action limitée, basée sur le traitement du signal capté) associés à des moyens – de type wi-fi – de communication quasi instantanés et à des Intelligences Artificielles de bas niveau, banalisées, a permis de créer les conditions initiales pour que naisse la matrice attentive. Je parle d’une matrice personnelle, d’un cocon interactif dans lequel nous flottons, en général limité dans l’espace et dans le temps. Pour l’instant…
Quelles sont les caractéristiques d’une telle matrice ? Il s’agit d’un environnement qui peut être totalement ou partiellement artificiel, par exemple un jeu vidéo immersif ou un lieu comme Second Life. Mais pas seulement. C’est, avant tout, une couche d’interface avec la réalité qui la rend attentive à nous. C’est-à-dire que, dans la matrice, l’individu est :
1. Reconnu par l’environnement
2. Individualisé (« tu es spécial »)
3. Marqué (« les autres savent qui tu es »)
4. Isolé/protégé des autres – non pas vis-à-vis de l’aspect « sécurité » au sens strict, mais, par exemple isolé phoniquement et acoustiquement, protégé de sollicitations non désirées, etc.
Ces quatre aspects se retrouvent, plus ou moins accentués, dans beaucoup d’environnements de notre vie, et la tendance est à l’omniprésence de la matrice. C’est en particulier le cas des environnements mobiles, nomades, ou des moyens de transport modernes (avions, voitures).
L'article fait plusieurs pages, peut-être sera-t-il publié un jour par Peyresq. Je suis en train de le retravailler et de l'approfondir, car la situation évolue rapidement dans ce domaine.
Toutefois, cela pose un problème, à mon avis. Pour moi, auteur de SF avant tout, ce genre de réflexion théorique, s'il ne s'incarne pas par un texte de fiction, demeure un exercice stérile. Je suis en train d'y réfléchir et je ressens l'éditorial d'Angle Mort comme un aiguillon me poussant à me hâter. Ce rôle-là fait d'eux des acteurs incontournables de mon environnement d'imaginaire. Ils sont, je le crois, l'équivalent d'une revue comme New World. Et je pense qu'ils seront aussi fécondants.
En tout cas, pour moi, ils le sont. Et je les en remercie.