Parution : Le fantastique et la SF en Finlande et en Estonie
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- dracosolis
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En passant, je me demande comment les Finlandais repèrent la SF... dans des collections spécialisées ? ou au pif, en regardant vaguement la thématique (pour ce que ça vaut...)?
Hum... bien étudier les serviettes que l'on propose dans les restos finlandais nous aiderait peut-être à avancer dans la question...
Oncle Joe
Hum... bien étudier les serviettes que l'on propose dans les restos finlandais nous aiderait peut-être à avancer dans la question...
Oncle Joe
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Je vous réponds bien volontiers en tant que coordinateur du livre dont parle ce fil.
Il y a bien des collections spécialisées en Finlande, mais elles ne concernent que quelques auteurs très typés "littérature populaire". Ils ne jouissent pas d'une grande reconnaissance littéraire, même si les revues et même les grands quotidiens ne les dédaignent pas à l'occasion.
Mais en réalité, la plupart des auteurs finlandais de fantastique et SF publient sans problème chez des éditeurs de littérature générale, et ils sont classés au rayon "littérature nationale" (par opposition à "littérature étrangère"), le principal évidemment dans les librairies finlandaises. Leena Krohn, par exemple, est unanimement considérée comme un des plus grands écrivains des 40 dernières années : elle écrit du pur fantastique, par moments de la SF, mais là-bas cela ne gêne personne. Même chose pour Johanna Sinisalo, un peu plus connue en France puisque deux de ses romans ont été traduits en français.
L'étiquette "SF" est bien entendu connotée péjorativement en Finlande comme ailleurs, mais si un livre de SF est vendu comme de la littérature générale, tant que le niveau littéraire est élevé, il n'y a aucune ostracisation. Le nom fait fuir, mais pas la chose ! La situation est bien différente de la France, où bien souvent la chose même fait fuir, quand bien même la qualité littéraire serait présente.
Il y a bien des collections spécialisées en Finlande, mais elles ne concernent que quelques auteurs très typés "littérature populaire". Ils ne jouissent pas d'une grande reconnaissance littéraire, même si les revues et même les grands quotidiens ne les dédaignent pas à l'occasion.
Mais en réalité, la plupart des auteurs finlandais de fantastique et SF publient sans problème chez des éditeurs de littérature générale, et ils sont classés au rayon "littérature nationale" (par opposition à "littérature étrangère"), le principal évidemment dans les librairies finlandaises. Leena Krohn, par exemple, est unanimement considérée comme un des plus grands écrivains des 40 dernières années : elle écrit du pur fantastique, par moments de la SF, mais là-bas cela ne gêne personne. Même chose pour Johanna Sinisalo, un peu plus connue en France puisque deux de ses romans ont été traduits en français.
L'étiquette "SF" est bien entendu connotée péjorativement en Finlande comme ailleurs, mais si un livre de SF est vendu comme de la littérature générale, tant que le niveau littéraire est élevé, il n'y a aucune ostracisation. Le nom fait fuir, mais pas la chose ! La situation est bien différente de la France, où bien souvent la chose même fait fuir, quand bien même la qualité littéraire serait présente.
Bonjour, et merci de cette réponse très intéressante!
Le cas de la France est paradoxal: pendant des années et des années, depuis le milieu des années cinquante du siècle dernier, une revue comme Fiction, d'un niveau élevé, avec un appareil critique raffiné (il suffit de lire pratiquement n'importe quel numéro des 20 premières années de la revue pour s'en convaincre), s'est livrée à une explication et une promotion du genre. Il faut croire que non seulement cela n'aurait pas eu d'effet positif, mais que même, l'effet aurait été négatif, à lire ta remarque...
Les auteurs de SF finlandais ont davantage de chance, apparemment...
Je vois aussi que le caractère "national" est fondamental, et c'est sans surprise, vu l'histoire culturelle du petit pays en question.
Dans ces conditions, je risque une question provocatrice: pourquoi chercher à "catégoriser" la SF finlandaise, si elle a sa place sans que personne ne se pose de question dans la littérature nationale finlandaise? En France, justement, il y a des voix qui insistent — je ne dis pas que je suis d'accord! — sur le fait que c'est en "catégorisant" ce qui relève de la SF que l'on contribue à l'ostratiser (je ne parle que de littérature)?
Bravo, en tout cas, et voilà un essai que, comme Georges B., je lirai avec passion !
Oncle Joe
Le cas de la France est paradoxal: pendant des années et des années, depuis le milieu des années cinquante du siècle dernier, une revue comme Fiction, d'un niveau élevé, avec un appareil critique raffiné (il suffit de lire pratiquement n'importe quel numéro des 20 premières années de la revue pour s'en convaincre), s'est livrée à une explication et une promotion du genre. Il faut croire que non seulement cela n'aurait pas eu d'effet positif, mais que même, l'effet aurait été négatif, à lire ta remarque...
Les auteurs de SF finlandais ont davantage de chance, apparemment...
Je vois aussi que le caractère "national" est fondamental, et c'est sans surprise, vu l'histoire culturelle du petit pays en question.
Dans ces conditions, je risque une question provocatrice: pourquoi chercher à "catégoriser" la SF finlandaise, si elle a sa place sans que personne ne se pose de question dans la littérature nationale finlandaise? En France, justement, il y a des voix qui insistent — je ne dis pas que je suis d'accord! — sur le fait que c'est en "catégorisant" ce qui relève de la SF que l'on contribue à l'ostratiser (je ne parle que de littérature)?
Bravo, en tout cas, et voilà un essai que, comme Georges B., je lirai avec passion !
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- bormandg
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Merci de ton intervention, Marin, mais je me permets du coup une question: quid des traductions de SF ango-saxonne? sont-elles publiées en collections spécialisées, ou dans le fourre-tout littérature étrangère? J'avoue ne pas même m'être posé la question quand j'ai visité les librairies de Turku, puisque de toute manière je cherchais seulement les livres non traduits en finnois.
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."
- Jean-Claude Dunyach
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Il y en a sur toutes les voitures, dans une étiquette ovale avec SF en noir sur fond blanc. Si, si !Lensman a écrit :En passant, je me demande comment les Finlandais repèrent la SF...
(Ca veut dire "Suomi Finland", me souffle-t-on dans l'oreillette. Tant pis

Je compte pour 1. Comme chacun de vous...
http://www.dunyach.fr/
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@bormandg : Pour les traductions, celles qui sont étiquetées SF ont tout de même de bonnes chances de se retrouver au rayon SF, justement parce que ne relevant pas de la "littérature nationale", elles ne bénéficient pas du caractère a priori valorisant de ce label. Bref, leur caractère SF l'emporte souvent sur leur mérite littéraire, et les Finlandais ont moins de scrupules à reléguer au rayon "littérature populaire" un auteur étranger qu'un auteur national.
Cela dit, c'est moins net que chez nous, car on retrouve Ballard chez des éditeurs généralistes (même pour ses classiques SF, s'entend), et le cycle Fondation d'Asimov chez le plus grand éditeur littéraire finlandais, WSOY, l'équivalent de Gallimard... En France, il me semble qu'on en est loin. Bref, là aussi, on trouve moins de préjugés qu'en France contre le genre lui-même, même si c'est moins net que dans le cas des écrivains nationaux.
@Oncle Joe : Certes, mais catégorisation ne vaut pas forcément ostracisation, et pour parler de la littérature, on est bien obligé de catégoriser les choses, c'est un processus heuristique inévitable. Une nouvelle n'est pas un roman, un alexandrin n'est pas un décasyllabe, et la SF a elle aussi des caractéristiques propres qui la distinguent des autres registres. Pour moi, les raisons de l'ostracisation sont ailleurs, mais c'est un vaste débat !
Il est cependant clair que les éditeurs (et parfois les lecteurs) français font globalement un mauvais usage de la catégorisation... qui aboutit, de fait, à une ostracisation.
Cela dit, c'est moins net que chez nous, car on retrouve Ballard chez des éditeurs généralistes (même pour ses classiques SF, s'entend), et le cycle Fondation d'Asimov chez le plus grand éditeur littéraire finlandais, WSOY, l'équivalent de Gallimard... En France, il me semble qu'on en est loin. Bref, là aussi, on trouve moins de préjugés qu'en France contre le genre lui-même, même si c'est moins net que dans le cas des écrivains nationaux.
@Oncle Joe : Certes, mais catégorisation ne vaut pas forcément ostracisation, et pour parler de la littérature, on est bien obligé de catégoriser les choses, c'est un processus heuristique inévitable. Une nouvelle n'est pas un roman, un alexandrin n'est pas un décasyllabe, et la SF a elle aussi des caractéristiques propres qui la distinguent des autres registres. Pour moi, les raisons de l'ostracisation sont ailleurs, mais c'est un vaste débat !
Il est cependant clair que les éditeurs (et parfois les lecteurs) français font globalement un mauvais usage de la catégorisation... qui aboutit, de fait, à une ostracisation.
Tu considèrerais dont la SF comme un "genre", puisqu'elle aurait des "caractéristiques propres" qui la distingueraient des "autres registres"? Je ne dis pas que je ne suis pas d'accord, mais cela nécessiterait d'être précisé. Quelles sont les "caractéristiques propres" qui permettent de reconnaître un ouvrage de SF? Ce n'est pas une question piège, ni un troll, ni un marronnier, c'est pour connaître le préalable qui a été posé au départ du travail mené (après, que l'on soit d'accord ou pas, c'est un autre problème), ce qui est d'autant plus passionnant qu'un lecteur comme moi se demande bien quelle est la perception finlandaise (et estonienne, apparemment...) de la chose.Martin Carayol a écrit :
@Oncle Joe : Certes, mais catégorisation ne vaut pas forcément ostracisation, et pour parler de la littérature, on est bien obligé de catégoriser les choses, c'est un processus heuristique inévitable. Une nouvelle n'est pas un roman, un alexandrin n'est pas un décasyllabe, et la SF a elle aussi des caractéristiques propres qui la distinguent des autres registres. Pour moi, les raisons de l'ostracisation sont ailleurs, mais c'est un vaste débat !
Il est cependant clair que les éditeurs (et parfois les lecteurs) français font globalement un mauvais usage de la catégorisation... qui aboutit, de fait, à une ostracisation.
(Sur le problème de l'ostratisation, je me bornerai juste à un ricanement, mais c'est parce que j'ai un mauvais fond...)
Oncle Joe
- bormandg
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Je m'associerais à cette question, mais préfererais employer une autre tournure que celle de Martin; pour moi la SF n'a pas des "caractéristiques propres qui la distinguent des autres registres", mais des "caractères nouveaux qui s'ajoutent à ceux des oeuvres antérieures", caractères nouveaux qui, de plus en plus, apparaissent aussi dans des oeuvres non classées SF. Certains de ces caractères, comme l'intertextualité, ont eu une existence bien plus ancienne que la "littérature SF", mais sont devenus presque systématiques en SF. Certains thèmes, certains tropes, créés ou développés par la SF, ont cessé de lui appartenir de façon exclusive. Ce qui, dans tous les cas, rend la catégorisation difficile et l'ostracisme stupide (donc généralisé dans certain pays proche
)

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- dracosolis
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euh Georgeounet, t'es estonien ? finlandais ?bormandg a écrit :Je m'associerais à cette question, mais préfererais employer une autre tournure que celle de Martin; pour moi la SF n'a pas des "caractéristiques propres qui la distinguent des autres registres", mais des "caractères nouveaux qui s'ajoutent à ceux des oeuvres antérieures", caractères nouveaux qui, de plus en plus, apparaissent aussi dans des oeuvres non classées SF. Certains de ces caractères, comme l'intertextualité, ont eu une existence bien plus ancienne que la "littérature SF", mais sont devenus presque systématiques en SF. Certains thèmes, certains tropes, créés ou développés par la SF, ont cessé de lui appartenir de façon exclusive. Ce qui, dans tous les cas, rend la catégorisation difficile et l'ostracisme stupide (donc généralisé dans certain pays proche)
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Pas plus que Martin, Oncle ou toi. D'ailleurs la Finlande et l'Estonie ne sont pas des pays proches, la preuve....dracosolis a écrit :euh Georgeounet, t'es estonien ? finlandais ?bormandg a écrit :Je m'associerais à cette question, mais préfererais employer une autre tournure que celle de Martin; pour moi la SF n'a pas des "caractéristiques propres qui la distinguent des autres registres", mais des "caractères nouveaux qui s'ajoutent à ceux des oeuvres antérieures", caractères nouveaux qui, de plus en plus, apparaissent aussi dans des oeuvres non classées SF. Certains de ces caractères, comme l'intertextualité, ont eu une existence bien plus ancienne que la "littérature SF", mais sont devenus presque systématiques en SF. Certains thèmes, certains tropes, créés ou développés par la SF, ont cessé de lui appartenir de façon exclusive. Ce qui, dans tous les cas, rend la catégorisation difficile et l'ostracisme stupide (donc généralisé dans certain pays proche)
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- dracosolis
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Non, non, tu as bien compris... Les avis de Georges sont intéressants, mais pour le coup, c'est plutôt le point de vue de Martin qui m'intéressait, dans le cadre de son travail sur le domaine finlando/estonien. comment, lui, voit le problème, comment se délimite son corpus, sur quels critères fondamentaux.dracosolis a écrit :je ne sais pas pourquoi mais j'ai cru comprendre que Joe demandait son avis à Marin en tant que spé de la question, mais je me suis sans doute fourvoyée
(On verra ensuite si ça recoupe ou pas ceux de Georges, et ceux de chacun d'entre nous, qui comptons pour une voix, ou un truc comme ça, je ne sais plus...)
Oncle Joe
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Absolument; le peu que je peux savoir sur le sujet est effectivement infime par raport à ce que sait Martin; mais comme Oncle a voulu poser ses questions par rapport à la situation dans un certain autre pays, je me suis permis, aussi, de tenir compte de celle-ci dans mes remarques.
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Désolé, j'ai tardé à vous répondre ! Pour la question des définitions en Finlande, vous trouverez beaucoup d'éléments dans le recueil qui vient de paraître. J'ai aussi écrit un article qui évoque le sujet (quoiqu'un peu rapidement), il est accessible ici : http://www.noosfere.com/icarus/articles ... rticle=595
En gros, il y a un léger flottement sur les termes, mais la "caractéristique propre" du registre SF, là-bas comme chez nous, c'est l'idée d'une extrapolation fondée sur des postulats rationnels. Les Finlandais parlent alors de tieteiskirjallisuus (littérature scientifique), les Estoniens de teadusulme (ulme scientifique, le terme 'ulme' en estonien désignant les littératures de l'imaginaire dans leur ensemble).
Voilà, je vous renvoie au livre pour des développements plus abondants, et des analyses de critiques finlandais et estoniens.
Sur la discussion théorique que vous avez entamée : évidemment, de nombreux livres classés dans la littérature générale empruntent aujourd'hui les marques du registre SF, c'est caractéristique du postmodernisme, qui mélange les genres, les registres, le haut et le bas, etc., rien de nouveau là-dedans. Il n'en reste pas moins qu'un emploi *massif* du registre SF dans un texte amène à classer l'œuvre tout entière dans la SF. Dans le cadre des études littéraires, tout du moins ! Car du point de vue éditorial, ou du point de vue des libraires, comme on l'a vu, les choses sont plus compliquées.
En gros, il y a un léger flottement sur les termes, mais la "caractéristique propre" du registre SF, là-bas comme chez nous, c'est l'idée d'une extrapolation fondée sur des postulats rationnels. Les Finlandais parlent alors de tieteiskirjallisuus (littérature scientifique), les Estoniens de teadusulme (ulme scientifique, le terme 'ulme' en estonien désignant les littératures de l'imaginaire dans leur ensemble).
Voilà, je vous renvoie au livre pour des développements plus abondants, et des analyses de critiques finlandais et estoniens.
Sur la discussion théorique que vous avez entamée : évidemment, de nombreux livres classés dans la littérature générale empruntent aujourd'hui les marques du registre SF, c'est caractéristique du postmodernisme, qui mélange les genres, les registres, le haut et le bas, etc., rien de nouveau là-dedans. Il n'en reste pas moins qu'un emploi *massif* du registre SF dans un texte amène à classer l'œuvre tout entière dans la SF. Dans le cadre des études littéraires, tout du moins ! Car du point de vue éditorial, ou du point de vue des libraires, comme on l'a vu, les choses sont plus compliquées.