Des nouvelles d'Alain Damasio

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. juil. 10, 2007 8:04 am

Patrice a écrit :un style "sujet - verbe -complément".
Pas tout à fait, et c'est là la grande subtilité.

Bon, allez, je me fends d'une ch'tite explication avant d'aller baxteriser.

J'ai longtemps considéré Peter Randa comme un tâcheron, ou un scribouillard. Il faut dire que ses histoires et son idéologie ne plaidaient pas en sa faveur.

Et puis, un jour, j'en ai relu un, juste pour voir. Et j'ai été frappé par le style. Parce qu'il n'est pas plat ou inexistant comme chez, au hasard, Daniel Piret ou Gabriel Jan. Il est minimaliste. Peu d'auteurs savent poser un décor — même cliché — ou décrire une action — même sans intérêt — en si peu de mots. Par moment, ça confine à l'épure. C'est pour ça que j'ai évoqué Giono, même si le but servi n'est pas du tout le même.

Mais, bien sûr, Peter Randa étant un auteur populaire fasciste, il ne pouvait pas avoir réfléchi ne fût-ce qu'un tant soit peu à quelque chose d'aussi élevé que le style. Chacun sait que les auteurs populaires n'ont aucune culture littéraire.

Un petit jeu amusant consiste à prendre un livre de Peter Randa et un livre de son fils et de les comparer. La différence d'écriture est flagrante. L'un sait ce qu'il fait, tandis que l'autre copie servilement sans comprendre le fond du truc. (Et puis, bon, pour ce qui st de l'idéologie, Peter Randa donne froid dans le dos alors que son fiston donnerait plutôt envie de rire.)

La prochaine fois, je vous parlerai du style de Jimmy.
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Tony
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Message par Tony » mar. juil. 10, 2007 8:04 am

Mon avis ne va pas faire avancer le schmilblick mais le sujet est intéressant alors je me lance ! Je suis assez d'accord avec RCW sur le fond je ne répéterais donc pas ce qu'il a déjà dit ! Je voulais juste ajouter deux, trois choses...

J'aime beaucoup ce que fait Alain Damasio et si on lit l'interview en entier on (enfin c'est comme ça que je l'ai compris) comprend qu'il défend finalement sa conception de l'écriture bien faite... après dire en gros que ses petits camarades qui font de la SF ne travaillent pas leur style, la formulation est peut-être un peu maladroite, ou volontairement polémique...

D'autant que le "style" n'est pas uniquement une histoire de sonorités, de choix des mots... il me semble que chaque auteur a une "voix" qui lui est propre et qui résonne ou pas chez le lecteur... chaque auteur a ses techniques, une vision de l'écriture, c'est normal de la defendre et je crois qu'il y a autant de visons de l'ecriture que d'écrivains (ou de bouquins?)... mais considérer sa façon de faire comme la meilleure est une chose, dénigrer les autres façons de faire en est une autre... je dis ça mais éviter de dire des généralités c'est dur ^^;

Alain Damasio fait un vrai travail sur la phrase, la syntaxe et la phonétique qui donnent corps a l'univers du bouquin, et c'est très bien comme ça ! Les autres auteurs (RCW aussi) ont leur façon de faire, un "style", une "voix" propre qui n'est pas moins valable que celui d'Alain Damasio ! Et heureusement on s'ennuyerait ferme si tous les bouquins étaient écrits pareils !

D'ailleurs si tous les auteurs mettaient trois ans à écrire un bouquin, ça ferait long... mais à chacun son rythme ! La qualité d'une oeuvre tient davantage au talent de l'auteur (un bon conteur est un bon styliste), pas au temps passé à l'écrire, enfin il me semble.

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. juil. 10, 2007 8:13 am

Tony a écrit :après dire en gros que ses petits camarades qui font de la SF ne travaillent pas leur style, la formulation est peut-être un peu maladroite, ou volontairement polémique...
Ouaip, il a dit une connerie. Ça ne lui serait sans doute pas arrivé s'il avait lu ses collègues.

(N'empêche qu'être accusé deux fois de bâcler dans la même semaine, ça fait beaucoup pour un seul homme.)

Sinon, d'accord avec toi pour le reste. Enfin quelqu'un qui aime ce que fait Damasio et qui garde le sens des proportions. (Non, je plaisante, j'en connais d'autres.)
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Virprudens
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Message par Virprudens » mar. juil. 10, 2007 8:32 am

Tony a écrit :Les autres auteurs (RCW aussi) ont leur façon de faire, un "style", une "voix" propre qui n'est pas moins valable que celui d'Alain Damasio ! Et heureusement on s'ennuyerait ferme si tous les bouquins étaient écrits pareils !

D'ailleurs si tous les auteurs mettaient trois ans à écrire un bouquin, ça ferait long... mais à chacun son rythme ! La qualité d'une oeuvre tient davantage au talent de l'auteur (un bon conteur est un bon styliste), pas au temps passé à l'écrire, enfin il me semble.
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Sur ce, je m'en vais. Je sais même pas pourquoi je parle en fait. J'ai pas lu Damasio.
Mais ça m'empêche pas d'avoir un avis - d'ailleurs, je vais écrire une jolie chronique 'pourquoi je déteste Damasio en cinq points clés'. Que j'enchainerai avec 'pourquoi je déteste RCW en trois points (clés aussi)'. Avec plein de bouts de clichés dedans, des trucs pas vrais, polémiques, tout ça tout ça.
Voilà. Comme ça. Pour me payer un auteur (deux même). Gratuitement. Pour faire genre. Pour me la péter. Pour me sentir important.
(petite précision à l'usage de certains : ce qui précède a été écrit avec une légère dose de second degré - histoire de relativiser un peu tout ça - de prendre du recul - de se calmer - d'aller boire une mousse tous ensemble)
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Arnaldus
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Message par Arnaldus » mar. juil. 10, 2007 8:42 am

Virprudens a écrit :
Tony a écrit :Les autres auteurs (RCW aussi) ont leur façon de faire, un "style", une "voix" propre qui n'est pas moins valable que celui d'Alain Damasio ! Et heureusement on s'ennuyerait ferme si tous les bouquins étaient écrits pareils !

D'ailleurs si tous les auteurs mettaient trois ans à écrire un bouquin, ça ferait long... mais à chacun son rythme ! La qualité d'une oeuvre tient davantage au talent de l'auteur (un bon conteur est un bon styliste), pas au temps passé à l'écrire, enfin il me semble.
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Sur ce, je m'en vais. Je sais même pas pourquoi je parle en fait. J'ai pas lu Damasio.
Mais ça m'empêche pas d'avoir un avis - d'ailleurs, je vais écrire une jolie chronique 'pourquoi je déteste Damasio en cinq points clés'. Que j'enchainerai avec 'pourquoi je déteste RCW en trois points (clés aussi)'. Avec plein de bouts de clichés dedans, des trucs pas vrais, polémiques, tout ça tout ça.
Voilà. Comme ça. Pour me payer un auteur (deux même). Gratuitement. Pour faire genre. Pour me la péter. Pour me sentir important.
(petite précision à l'usage de certains : ce qui précède a été écrit avec une légère dose de second degré - histoire de relativiser un peu tout ça - de prendre du recul - de se calmer - d'aller boire une mousse tous ensemble)
Où ça, la mousse ?
Ce sont ces mises en phase, ma petite Laureline, ça me ravage je t’assure … (Mézière - Christin)
So, you wanna be a SFF writer ? http://cocyclics.org

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. juil. 10, 2007 8:50 am

Virprudens a écrit :Pour me payer un auteur (deux même).
Si tu veux, mais tu n'étais pas visé par cette remarque.

Bien fraîche, la mousse ?
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systar
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Message par systar » mar. juil. 10, 2007 8:51 am

Arnaldus a écrit :Où ça, la mousse ?
Là: http://www.procrastin.fr/blog/images/alcool/biere2.jpg

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Arnaldus
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Message par Arnaldus » mar. juil. 10, 2007 8:54 am

systar a écrit :
Arnaldus a écrit :Où ça, la mousse ?
Là: http://www.procrastin.fr/blog/images/alcool/biere2.jpg
"Erreur 403", ça veut dire que je suis trop petit pour aller boire avec les grandes personnes ?
Ce sont ces mises en phase, ma petite Laureline, ça me ravage je t’assure … (Mézière - Christin)
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Message par systar » mar. juil. 10, 2007 8:57 am

Arnaldus a écrit :
systar a écrit :
Arnaldus a écrit :Où ça, la mousse ?
Là: http://www.procrastin.fr/blog/images/alcool/biere2.jpg
"Erreur 403", ça veut dire que je suis trop petit pour aller boire avec les grandes personnes ?
Ah merde le lien fonctionne pas pour toi?? argh...
Essaie ici, alors:
http://brouette-de-bieres.com/bieres/fo ... imay-Bleue

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Message par systar » mar. juil. 10, 2007 11:08 am

Alors, pour ceux qui n’ont pas encore lu la Horde, je vais essayer de prendre une page du livre et d’expliquer comment, selon moi, le livre peut avoir un effet sur le lecteur à la lumière des procédés mis en jeu dans la page… C’est, à mon avis, seulement en s’interrogeant ainsi sur le style qu’on pourra dire quelque chose d’intéressant et réfléchir ensemble (je fais ici écho à Jérôme, qui souhaitait qu’on pose la question du style, plus haut dans le thread).
Prenons, si vous le voulez bien, l’exemple de Steppe, personnage attachant de la Horde, qui devient peu à peu un végétal (mais je ne vous dis pas comment il finit).
Parvenus au camp Boban, les personnages de la Horde retrouvent leurs parents dont ils ont été séparés dès l’enfance.

« Vous avez déjà vécu ces moments qui sont, hey, tellement joyeux ? J’eus pendant cinq mois à portée de rires et de baisers le plus beau jardin vagabond dont je puisse rêver, et il ne comportait pourtant que deux bosquets et une source, qui s’appelaient Siphaé ma mère, Fuschia ma petite sœur et Aoi, mon amour léger, mon ruisseau clair que j’aimais laper en serval les nuits de petite chaleur.
Ma mère, toute de bagout, la faconde haute, me parla des jours entiers de son jardin de Camp Bờban. J’étais fasciné par l’ampleur de son parc, sa compulsion à bouturer et à greffer sans cesse, sa quête bourgeonnante qui me semblait si proche de la mienne. Puis elle m’annonça, avec des flammes dans l’iris, l’existence d’un vallon abrité, au sol riche préservé de la soif, où elle avait planté ses graines les plus rares – je lui montrai les miennes, je lui sortais du traîneau mes sachets précieux et elle frissonnait de retrouver en moi les mêmes goûts pour les graminées hautes et pour les couvrantes coriaces qui allongent leur tapis dans le lit du vent. Ce vallon, elles y avaient consacré ces dernières années, avec Fuschia, tout ce que leurs mains contenaient d’intelligence végétale, de pulpe et de toucher. Elles l’avaient baptisé « la Steppe ». Tout simplement ! Depuis qu’elles avaient appris que j’étais ressorti vivant de la flaque de Lapsane, elles n’avaient plus douté de me revoir. Elles avaient alors intensifié leurs efforts, gorgées d’enthousiasme, et m’avaient paysagé ce cadeau germinal et mouvant d’un parc secret qui poussait dru, qui grandissait arrosé à l’amour en attendant que mes pieds foulent sa terre, que mon nez flaire les arômes bruissants et que ma main taille à son tour les fruitiers… Un parc qui n’attendait plus que j’y choisisse ma cabane parmi l’archipel de petites maisons perchées dans les arbres, en bord de canyon ou à cheval sur la rivière que les mômes du camp, fous du projet, avaient décidé – d’eux-mêmes, insistait ma sœur – de fabriquer pour ma venue. Pour l’instant, ils venaient y jouer et parfois y dormir afin de guetter à l’aube le passage d’un puma ou d’un cerf hélicé. Aoi était émerveillée par la perspective de découvrir et d’habiter ce jardin. Elle buvait le petit lait de ma mère et de ma sœur à longueur de journée, sans jamais se rassasier. Elle se formait du vallon l’image la plus riche possible, elle se projetait déjà là-bas… »

Premier petit paragraphe : structure en émergence/expansion, si je puis dire : l’interrogation toute de joie (interjection), la joie du personnage qui déborde vers le lecteur en l’interpellant (marrant, d’ailleurs, ce procédé, quand il est finement distillé : le personnage s’adresse à vous sans miner la cohérence du monde qui vous est donné à voir : on vous parle, mais vous croyez encore à l’existence autonome du monde imaginaire, il demeure vraisemblable).
Ensuite il faut étudier la progression de la phrase : alors on a un schéma que je vais quantifier pour faire simple, en nombre de syllabes : ça nous fait 1/4/9/8/5, jusqu’à « dont je puisse rêver » (en prose, on ne prononce pas les e de milieu de phrase). Bref on a une sorte de symétrie, incomplète certes, mais significative : naissance/épanouissement, ascension/descente du rythme. A cette coulée profonde, qui donne le rythme global, se surajoute le jeu de sonorités : comme on l’entend nettement, c’est le « i » qui est le son le plus perçant ; il est ici accompagné de sonorités claires (é), qui contribuent à susciter le sentiment de joie et d’harmonie dans l’esprit du lecteur. Voilà comment, inconsciemment, Damasio crée une sorte de musique sur plusieurs plans : le plan profond de la syntaxe, qui donne le rythme, et le jeu plus libre, plus aérien, des sonorités, qui vous donneront les sensations les plus aiguës. La démonstration de l’alliance entre les deux plans de construction de la langue de Steppe pourrait être réitérée pour l’ensemble du livre, je n’ai pas le temps de le faire ici.
Etudions ensuite dans cette phrase, le jeu des thèmes : on a : le temps, rires et baisers = gestes et processus physiques touchant le narrateur, jardin vagabond : extériorisation/ réification du sentiment de joie par la métaphore du jardin, prise ici au pied de la lettre puisque Steppe devient lui-même un végétal dans le roman, extension de la métaphore à la description des femmes proches de Steppe, qui elles-mêmes deviennent (mais cette fois-ci sur le mode de l’image) des végétaux. Autrement dit, le mouvement global de cette phrase est celui d’un devenir : Steppe devient jardin en vivant dans un jardin, et les femmes qui l’entourent deviennent elles-même jardin à son contact. Toute la prose de Damasio est saturée de ces processus de devenirs, qui d’ailleurs, comme Deleuze l’a très bien expliqué, ne sont pas exprimables en deux termes (A devient B), mais en 3 termes (A devient B qui, du coup, devient C). Autrement dit, par le jeu de la métaphore (qui est en littérature la manifestation des « devenirs »), le jardin lui-même devient monde, foyer, matrice, terre promise, tandis que et parce que Steppe devient jardin.
Le fait que les sonorités engagent d’emblée toute une conception du monde et provoquent en nous des émotions profondes et durables est particulièrement patent lorsqu’on prononce les noms des femmes, à commencer par Aoi, qui oblige à fermer progressivement la bouche, et donne une impression mentale de déclinaison tranquille des choses, d’une douceur sur le mode de l’atténuation. Et en même temps, c’est un personnage piquant du fait même qu’elle comporte, une fois encore, ce « i » magique que l’on repère toujours plus que les autres voyelles.
Noter ensuite la gradation rythmique : structure en deux cellules, puis trois, puis quatre, la dernière signifiant l’expansion de l’amour que Steppe porte à Aoi en voyant combien elle l’aime :
« et il ne comportait pourtant/ que deux bosquets et une source/ [structure binaire], qui s’appelaient Siphaé ma mère/, Fuschia ma petite sœur/ et Aoi/ [structure ternaire, qui met en valeur le nom d’Aoi, bref, contrastant avec les noms structurés avec des consonnes de la famille de Steppe], mon amour léger/, mon ruisseau clair/ que j’aimais laper en serval/ les nuits de petite chaleur » [structure en 4 temps, qui permet le déploiement en éventail du sentiment, et comme toujours chez Damasio la mise en scène de micro-devenirs : Aoi devient ruisseau, Steppe devient serval…]
Ensuite déploiement global de la description, avec retour à la maman : noter la façon dont Damasio a souvent tendance, dans ce pragraphe, mais la chose est vraie pour le roman, à aller chercher des impropriétés de la langue pour les rendre presque naturelles à l’oreille : « m’avaient paysagé ce cadeau germinal », par exemple, ça fonctionne, alors que ça ne veut rien dire, si l’on est terre-à-terre, ça fonctionne parce que le g, le i, le a se recombinent, se disséminent de paysage à germinal, qu’il en ressort un effet jubilatoire très fort, et que la langue elle-même nous permet d’entendre une efflorescence, une germination. C’est l’ensemble du paragraphe qui fonctionne sur le mode « germinatoire ». A cet effet, il faut noter la fréquence importante des appositions : « Elles avaient alors intensifié leurs efforts, gorgées d’enthousiasme », où l’apposition peut d’ailleurs être rétrojetée ou éloignée sans perdre son sens, telle un pollen parti au loin provoquer des germinations. Les effets d’échos/relance : « Ce vallon, elles y avaient consacré… » donnent également une tonalité qui n’est bien sûr pas celle de l’éloquence aérienne et desséchée, mais une fois encore celle du foisonnement. Le style devient ici une corne d’abondance où les mots bourgeonnent et s’engendrent les uns les autres.
« qui grandissait arrosé à l’amour » : je parle de germination, on a ici encore une image de la nutrition maternelle, donc de la croissance biologique, mais le procédé stylistique est ici celui de l’ellipse logique ; en effet, si l’on complétait pour être tout à fait clair, on dirait « qui grandissait parce qu’il était arrosé à l’amour », mais ce lien de causalité est lissé, effacé et, d’un mode syntactique vertical, est rabattu sur le plan paratactique, ce qui augmente la fluidité narrative en gommant les traces de discursivité qui sont pourtant nécessaires à l’architecture d’un récit (discursivité = rapports de concession, de consécution, de concaténation, de déduction, etc. à opposer à la narrativité, qui est le mode de la succession temporelle d’événements).

Bon, il est l’heure d’aller manger, là. Alors si j’ai le courage, je pondrai d’autres analyses, sur cet extrait dont je n’ai pas épuisé le sens bien sûr, ou bien sur d’autres du livre… Mais il me semble qu’au moins, comme ça, on sait de quoi on parle quand on parle de « style » chez Alain Damasio…

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. juil. 10, 2007 11:26 am

« mômes » ?…
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Virprudens
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Message par Virprudens » mar. juil. 10, 2007 11:26 am

Wow...
Maintenant je comprends pourquoi j'avais toujours des notes de merde en explication de texte. Sur un passage comme celui-là, j'aurais pu (au mieux) dire 'bah, le mec, là, Steppe, il retrouve sa famille tout ça, et y'a un jardin. Joli le jardin, sympa'.

En tout cas, c'est intéressant. Si y'a une suite, je prends.

Et bien sur, je voudrais bien le symétrique avec Randa (par exemple sur : "Je sortai mon fulgurant et tirai. Le Xressien hurla de douleur et s'effondra. Il avait eu ce qu'il méritait" - je cite au hasard, de mémoire, et en plus c'est pas une citation wa-ah-ah!!!)
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Message par Nébal » mar. juil. 10, 2007 11:30 am

Petite remarque d'un non-auteur, non-critique, mais lecteur quand même, non mais ho d'abord.

Tout ça me paraît bien compliqué, et du coup pas vraiment convaincant... Le schéma en nombre de syllabes, franchement, je suis doute ; qu'il y ait une musicalité, d'accord, mais qu'elle soit aussi mécanique (et surtout délibérément mécanique)... La métaphore "qui est en littérature la manifestation des "devenirs" ", c'est probablement que je ne comprends pas, mais ça me paraît une généralisation un peu hasardeuse, quand même...

Et ça :
systar a écrit :Ensuite déploiement global de la description, avec retour à la maman : noter la façon dont Damasio a souvent tendance, dans ce pragraphe, mais la chose est vraie pour le roman, à aller chercher des impropriétés de la langue pour les rendre presque naturelles à l’oreille : « m’avaient paysagé ce cadeau germinal », par exemple, ça fonctionne, alors que ça ne veut rien dire, si l’on est terre-à-terre, ça fonctionne parce que le g, le i, le a se recombinent, se disséminent de paysage à germinal, qu’il en ressort un effet jubilatoire très fort, et que la langue elle-même nous permet d’entendre une efflorescence, une germination.
Ca me paraît franchement tiré par les cheveux. Pas besoin d'aller jusque là, non ? Même si le mot n'existe pas, il est directement évocateur, et son incongruité (bouh le vilain mot) contribue à renforcer l'effet (a fortiori, certes, s'il participe harmonieusement de la musicalité de la phrase). C'est une pratique après tout courante en poésie (mais j'avoue que je n'y connais pas grand chose :oops: ), ainsi que chez les adeptes du "mot rare" (là, je pense à Huysmans, par exemple, pour évoquer un grand styliste à l'écriture parfois franchement boursouflée, mais qui produit généralement un effet phénoménal - en tout cas, sur moi, ça marche... :) ).

Enfin, pour revenir sur l'extrait choisi, y me paraît un peu lourd, quand même... Faudrait voir à pas m'écoeurer, c'est que je suis censé le lire prochainement ce bouquin, moi ! (Histoire de comprendre pourquoi il y a tant de haine entre damasiophiles et damasiophobes...)

Sur ce, je reprends mon inculture sous le bras :oops: , et je sors... :arrow:

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Message par Virprudens » mar. juil. 10, 2007 11:31 am

Roland C. Wagner a écrit :« mômes » ?…
Moi. Moi. Moi.
(Disait-il en sautillant sur son siège)
M'dame, m'dame. Je sais, je sais. C'était pour pas mettre 'gônes' ou 'pitchounes'.
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Message par Roland C. Wagner » mar. juil. 10, 2007 11:52 am

Virprudens a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :« mômes » ?…
Moi. Moi. Moi.
(Disait-il en sautillant sur son siège)
M'dame, m'dame. Je sais, je sais. C'était pour pas mettre 'gônes' ou 'pitchounes'.
Tu as entendu parler d'un truc qui s'appelle le niveau de langage ?

Ça aide, des fois.

Pour le reste, je n'ai jamais été convaincu par les explications de texte. Pour peu que l'auteur (de l'"explication") ait du bagout et de l'aplomb, il te fait passer du Delly pour le fin du fin en matière de littérature.

Au Go, ça s'appelle jouer abusif.

Mais quand même, « mômes »…
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