De retour de la Eaton Conference sur la SF
Posté : ven. févr. 18, 2011 11:47 am
Je reviens de la Eaton Conference. Il s'agit d'un colloque universitaire sur la science-fiction, organisé régulièrement par l'Université de Californie basée à Riverside. Pendant une vingtaine d'années (79-99), la Eaton Conference s'est tenue chaque année sous l'obédience de George Slusser, avec la participation active de Gregory Benford, Erik Rabkin et Howard Hendrix, en particulier. Elle a donné lieu à des actes sur des sujets divers et servi (avec d'autres groupes d'érudits/chercheurs, comme la SFRA et Science Fiction Studies) de point de structuration des études universitaires sur la science-fiction.
Cette conference est liée étroitement à la Eaton Collection, une importante collection d'ouvrages de science-fiction (livres, revues, comics, archives d'écrivains), qui sert de fonds pour les chercheurs intéressés par la science-fiction.
Pour des raisons financières, cette Conference est un peu ralentie et il n'est pas question d'actes pour le moment, mais elle reste un moment important pour les chercheurs américains, d'autant plus qu'elle est maintenant associée à un symposium (série de conférences) de la revue Science Fiction Studies, qui est, pour autant que je puisse en juger, le phare des études universitaires anglo-saxonnes.
Il y a deux séries de critères permettant de juger de l'intérêt d'un colloque, les critères scientifiques et les critères sociaux. Cete conference a de manière évidente une fonction sociale de premier plan : elle permet à des chercheurs dispersés dans les Etats-Unis de se revoir, aux grad students de déterminer l'ambiance dans laquelle ils feront éventuellement carrière et à des chercheurs non-américains (comme moi...) de rencontrer des interlocuteurs dans un contexte agréable. De ce point de vue, le fait que de tels événements aient lieu régulièrement dans un cadre institutionnel est le signe d'une autonomie réelle des études universitaires de la science-fiction. J'estime, d'après le nombre de professeurs que j'ai pu voir et le nombre d'étudiants entrant dans la carrière, que la SF est un objet d'étude valable aux Etats-Unis. J'hésiterais à dire qu'il est parfaitement légitime : mes interlocuteurs m'ont assuré qu'ils pouvaient enseigner sur les matières de leur choix, ce qui est sans doute vrai ; mais selon moi la légitimité universitaire n'est acquise que lorsqu'un sujet n'est plus considéré comme uniquement spécialisé, c'est-à-dire lorsque n'importe quel professeur est censé pouvoir enseigner ce sujet moyennant un peu d'efforts. Il y a suffisamment de chercheurs et de marge institutionnelle pour que la SF soit un sujet valide, mais pour peu que trop de chercheurs dynamiques disparaissent sans être remplacés, cela pourrait ne pas durer.
Il n'empêche que cette situation est enviable, car elle permet une réelle activité scientifique.
En ce qui concerne les aspects scientifiques, la conference elle-même m'a paru être plus un lieu de vulgarisation et d'information que de formulation théorique - je précise qu'en raison de la structure particulière des conférences (4 lieux simultanés ! il a parfois fallu faire des choix cruels), je ne peux pas juger de tout le travail qui s'est fait.
Le sujet d'ensemble du colloque était la "Global Science Fiction", ce qui a permis notamment d'évoquer des corpus de SF non-anglophones : la France (aussi bien la SF archaïque que contemporaine), la Pologne, l'Italie (enfin surtout Valerio Evangelisti), la Chine. Un constat commun à ce sujet : il existe très peu de Stanislaw Lem ; la traduction vers l'anglais est rare et peu efficace, en raison je dirais d'une indifférence structurelle marchant à de nombreux niveaux (éditeurs, lecteurs, critiques). Les universitaires américains regrettent cet état de fait et souhaiteraient disposer de traductions plus nombreuses ; l'entreprise de traduction de Black Coat Press leur plait bien à cet égard ; de ce fait, la connaissance de la SF française, et son étude, sont essentiellement centrées sur Jules Verne et la SF archaïque, même si Arthur Evans, par exemple, fait preuve d'une connaissance de première main sur la SF contemporaine.
Le caractère "global" de la SF a été le prétexte pour étudier deux auteurs non-américains, quoique anglophones, Nalo Hopkinson et China Miéville. N'ayant pas une connaissance de première main de ces auteurs (ce que je regrette à présent et vais combler dès que possible), j'ai évité les conférences les concernant - pour autant que j'aie pu juger, il s'agissait d'analyses et de réflexions sur leurs livres. Ces deux auteurs ont pu s'exprimer lors d'une table ronde finale et j'ai été impressionné par la qualité de leurs prises de position.
Les autres interventions auxquelles j'ai assisté concernaient toutes sortes de sujets, mais pas tellement la "globalisation" en soi. Cela m'a surtout permis de constater que tous ces sujets (du manga aux séries TV, en passant par le cinéma et bien sûr la littérature) étaient traités avec grand sérieux en général.
Ce qui me ramène à la fonction sociale de ce type d'événement : quoique de qualité, ces contributions n'ont pas vraiment servi un but général (la dispersion en 4 pôles indique même que ce n'était pas le but) ; elles servent surtout à assurer des rencontres, susciter des discussions personnelles et permettre de futures collaborations.
Je ne peux donc pas en donner un aperçu théorique très intéressant.
En revanche, le symposium de Science Fiction Studies qui a ouvert la conference a été très cohérent et efficace. Le sujet en était "La Singularité" : les trois orateurs ont délimité les acceptions possibles de ce concept, en ont retracé l'historique et les limites théoriques, tout en en évoquant les possibles traitements fictionnels. Là, j'ai pris des notes, on verra si j'ai le courage de les mettre en forme (c'était en anglais et un peu costaud à suivre avec mon décalage horaire). J'ai retenu une idée assez intéressante, le fait que le concept de singularité, même envisagée avec le plus grand sérieux du monde, se nourrit de fictions et est formulé en images - c'est peut-être le concept philosophique le plus SF qui soit, parce que la SF me paraît être la tentative de penser et représenter l'avènement de multiples singularités.
En définitive, au-delà de ma satisfaction personnelle, ce dont je voulais témoigner ici était de la possibilité qu'existe un dialogue consistant sur la SF au niveau universitaire. J'espère que cela pourra devenir possible à l'échelle de la France.
Cette conference est liée étroitement à la Eaton Collection, une importante collection d'ouvrages de science-fiction (livres, revues, comics, archives d'écrivains), qui sert de fonds pour les chercheurs intéressés par la science-fiction.
Pour des raisons financières, cette Conference est un peu ralentie et il n'est pas question d'actes pour le moment, mais elle reste un moment important pour les chercheurs américains, d'autant plus qu'elle est maintenant associée à un symposium (série de conférences) de la revue Science Fiction Studies, qui est, pour autant que je puisse en juger, le phare des études universitaires anglo-saxonnes.
Il y a deux séries de critères permettant de juger de l'intérêt d'un colloque, les critères scientifiques et les critères sociaux. Cete conference a de manière évidente une fonction sociale de premier plan : elle permet à des chercheurs dispersés dans les Etats-Unis de se revoir, aux grad students de déterminer l'ambiance dans laquelle ils feront éventuellement carrière et à des chercheurs non-américains (comme moi...) de rencontrer des interlocuteurs dans un contexte agréable. De ce point de vue, le fait que de tels événements aient lieu régulièrement dans un cadre institutionnel est le signe d'une autonomie réelle des études universitaires de la science-fiction. J'estime, d'après le nombre de professeurs que j'ai pu voir et le nombre d'étudiants entrant dans la carrière, que la SF est un objet d'étude valable aux Etats-Unis. J'hésiterais à dire qu'il est parfaitement légitime : mes interlocuteurs m'ont assuré qu'ils pouvaient enseigner sur les matières de leur choix, ce qui est sans doute vrai ; mais selon moi la légitimité universitaire n'est acquise que lorsqu'un sujet n'est plus considéré comme uniquement spécialisé, c'est-à-dire lorsque n'importe quel professeur est censé pouvoir enseigner ce sujet moyennant un peu d'efforts. Il y a suffisamment de chercheurs et de marge institutionnelle pour que la SF soit un sujet valide, mais pour peu que trop de chercheurs dynamiques disparaissent sans être remplacés, cela pourrait ne pas durer.
Il n'empêche que cette situation est enviable, car elle permet une réelle activité scientifique.
En ce qui concerne les aspects scientifiques, la conference elle-même m'a paru être plus un lieu de vulgarisation et d'information que de formulation théorique - je précise qu'en raison de la structure particulière des conférences (4 lieux simultanés ! il a parfois fallu faire des choix cruels), je ne peux pas juger de tout le travail qui s'est fait.
Le sujet d'ensemble du colloque était la "Global Science Fiction", ce qui a permis notamment d'évoquer des corpus de SF non-anglophones : la France (aussi bien la SF archaïque que contemporaine), la Pologne, l'Italie (enfin surtout Valerio Evangelisti), la Chine. Un constat commun à ce sujet : il existe très peu de Stanislaw Lem ; la traduction vers l'anglais est rare et peu efficace, en raison je dirais d'une indifférence structurelle marchant à de nombreux niveaux (éditeurs, lecteurs, critiques). Les universitaires américains regrettent cet état de fait et souhaiteraient disposer de traductions plus nombreuses ; l'entreprise de traduction de Black Coat Press leur plait bien à cet égard ; de ce fait, la connaissance de la SF française, et son étude, sont essentiellement centrées sur Jules Verne et la SF archaïque, même si Arthur Evans, par exemple, fait preuve d'une connaissance de première main sur la SF contemporaine.
Le caractère "global" de la SF a été le prétexte pour étudier deux auteurs non-américains, quoique anglophones, Nalo Hopkinson et China Miéville. N'ayant pas une connaissance de première main de ces auteurs (ce que je regrette à présent et vais combler dès que possible), j'ai évité les conférences les concernant - pour autant que j'aie pu juger, il s'agissait d'analyses et de réflexions sur leurs livres. Ces deux auteurs ont pu s'exprimer lors d'une table ronde finale et j'ai été impressionné par la qualité de leurs prises de position.
Les autres interventions auxquelles j'ai assisté concernaient toutes sortes de sujets, mais pas tellement la "globalisation" en soi. Cela m'a surtout permis de constater que tous ces sujets (du manga aux séries TV, en passant par le cinéma et bien sûr la littérature) étaient traités avec grand sérieux en général.
Ce qui me ramène à la fonction sociale de ce type d'événement : quoique de qualité, ces contributions n'ont pas vraiment servi un but général (la dispersion en 4 pôles indique même que ce n'était pas le but) ; elles servent surtout à assurer des rencontres, susciter des discussions personnelles et permettre de futures collaborations.
Je ne peux donc pas en donner un aperçu théorique très intéressant.
En revanche, le symposium de Science Fiction Studies qui a ouvert la conference a été très cohérent et efficace. Le sujet en était "La Singularité" : les trois orateurs ont délimité les acceptions possibles de ce concept, en ont retracé l'historique et les limites théoriques, tout en en évoquant les possibles traitements fictionnels. Là, j'ai pris des notes, on verra si j'ai le courage de les mettre en forme (c'était en anglais et un peu costaud à suivre avec mon décalage horaire). J'ai retenu une idée assez intéressante, le fait que le concept de singularité, même envisagée avec le plus grand sérieux du monde, se nourrit de fictions et est formulé en images - c'est peut-être le concept philosophique le plus SF qui soit, parce que la SF me paraît être la tentative de penser et représenter l'avènement de multiples singularités.
En définitive, au-delà de ma satisfaction personnelle, ce dont je voulais témoigner ici était de la possibilité qu'existe un dialogue consistant sur la SF au niveau universitaire. J'espère que cela pourra devenir possible à l'échelle de la France.