MF a écrit :
Il faut tenir compte aussi de la multiplication, absurde voire indécente, du nombre de titres nouveaux sortis chaque année...
ce n'est qu'une conséquence de la concentration oligopolistique ; quand tu intègres dans le même groupe économique l'éditeur, le diffuseur et le distributeur, l'éditeur n'est plus qu'un moyen de production au service du diffuseur/distributeur.
N'est-ce point Gallimard qui a mis en place la fonction de "vendeur" dont la mission est de diffuser le catalogue Gallimard dans les librairies. Il n'y a plus de livre, individuel ; il y a un catalogue...
Le système des offices y pousse qui finance les éditeurs sur le dos des libraires.
Temporairement, car les retours sont rapides et massifs. Des taux de retour de 50% et plus ne sont pas rares alors que naguère au dessus de 20% on était franchement inquiet.
C'est tout un système qui est devenu fou, une bulle de papier qui n'en finit pas d'éclater.
ce n'est pas de la folie ; juste un changement de paradigme de l'économie de l'édition qui fait que l'on ne comprend plus la réalité en essayant de l'expliquer avec les anciens paramètres...
Mais recommander à un éditeur de réduire sa production, c'est le condamner à perdre du linéaire, de la présence, d'où une permanente fuite en avant. En dehors des best-sellers, la durée effective de vie d'un livre s'établit entre trois semaines et trois mois au mieux. Dans un domaine de vente lente et régulière comme a toujours été la science-fiction, ça ne peut être que la catastrophe, les réassorts étant insignifiants.
Si les réassorts sont insignifiants, un système de production basé sur la mise en place de seulement 50 % des produits car 50 % sont des déchets (pilon) est inadapté !
C'est fou ce que les idées fausses ont la vie dure.
D'abord la relation éditeur-diffuseur-distributeur est très ancienne. Elle remonte au moins à l'après-guerre et probablement avant. Donc le "paradigme" est préhistorique.
Pendant longtemps, Hachette jouissait d'un quasi monopole de la distribution.
Lorsque dans les années 1960, Gallimard s'est séparé de son entente avec Hachette, ça a été pour créer son propre système de distribution. Le Rayon fantastique a été une victime collatérale de ce divorce.
Pierre Seghers a créé vers 1950 une société de diffusion distribution très efficace, Forum (à moins que ça soit l'Inter, je confonds toujours. Lorsque Robert Laffont a racheté Seghers au début des années 1970, ça n'a pas été par amour de la poésie mais pour Forum qui, joint à l'Inter, a donné Inter-Forum. Tous les grands groupes ont été obligés de se doter de moyens propres de distribution.
La diffusion est généralement restée l'affaire des moyens et grands éditeurs qui ont leur propre équipe de représentants pour des raisons évidentes.
D'autre part, la diffusion-distribution pousse plutôt à limiter le nombre de titres, car comme ils sont payés en gros au pourcentage et qu'un livre qui se vendra à 3000 si tout va bien et un autre qui fera 500 000 représente pour eux à peu près les mêmes efforts et les mêmes coûts de base, ils se passeraient très volontiers du premier. Si on les écoutait, on diviserait les programmes par deux ou trois ou quatre.
Je ne suis du reste pas du tout certain que ce secteur soit dans une situation enviable. La montée irrésistible d'Amazon et autres distributeurs par le net leur coupe l'herbe sous les pieds. Donc, ce n'est pas du tout la vache à lait que certains imaginent.
Pourquoi les éditeurs publient-ils autant de titres et ont-ils en particulier multiplié le nombre global de titres par deux et plus en vingt ans.
C'est complexe.
D'abord, comme déjà dit, ça fait de la trésorerie à court terme, de trois mois à six mois. La croissance de certains éditeurs ne s'explique pas autrement avec évidemment le risque de chute à l'effondrement de la pyramide de Ponzi à la fin.
Il y a aussi le côté prise de risque nécessaire. On peut considérer à la louche qu'un livre sur dix rapporte de l'argent et que trois ou quatre au mieux couvriront leurs frais au final. Mais au départ, on ne sait pas lesquels. Autant demander aux joueurs de loto pourquoi ils y reviennent régulièrement alors que eux sont sûrs et certains de perdre, statistiquement.
Il y a la pression des éditeurs passionnés comme moi et quelques autres qui acceptent bien des sacrifices pour que leur projet subsiste.
Il y a un certain côté sentimental: aucun responsable suprême d'une maison d'édition n'aime arrêter brutalement une collection qui a connu son heure de gloire et de prestige. Il y a toujours l'espoir que ça redémarre. Il y a l'admiration sincère pour un travail d'éditeur et pour des textes dont on se dit que c'est vraiment trop injuste que le public ne s'y intéresse pas.
Mais c'est comme ça dans toutes les entreprises. Ainsi dans la banque, que j'ai un peu fréquentée, quand on regarde les comptes, on dit parfois, mais pourquoi continuez-vous à faire crédit à cette entreprise, elle est débitrice depuis dix ans et ses bilans ne sont pas fameux. Et votre interlocuteur qui a pourtant la réputation de n'être pas un tendre, lève les yeux, voire les bras, au ciel et laisse échapper un faible je sais, puis continue.
Quant à ce que les lecteurs ont envie de lire, j'ai un sérieux doute. Anathem par exemple, si publié, il fait 1000 ventes, ce sera le bout du monde.N'ayant pas de chapeau, je ne le mangerai pas s'il faisait les 10 000 nécessaires à son équilibre. Moi, j'ai carrément détesté.
Mon immortalité est provisoire.