Voici mon opinion sur le sujet parue dans la revue Présences d'Esprits n°79 du printemps 2014, page 50
Je suis bien loin de l'opposition ville campagne, mais il me paraît évident que ceux qui vivent dans les termitières on plus besoin d'imaginaire que ceux qui "bénéficient" de la "vraie" nature. Il ne faut pas en vouloir aux ruraux, ils n'ont pas besoin de rêver.
Remarques sur la littérature de Science-Fiction
L’abandon progressif du lectorat pour la SF est palpable et ce ne sont pas les ouvrages qui paraissent sous ce qualificatif qui vont faire augmenter les ventes et le plaisir des lecteurs. Les titres des ouvrages actuels incitent à les considérer comme des contes de magie, d'occultisme, de vampirisme et autres Fantasy du même genre, ce qui est le cas lorsqu'on les lit. Ainsi en est-il des titres des quarante sept éditeurs cités dans la lettre 109 du Club Présences d'Esprits (décembre 2013). Citons au hasard : La pierre des ténèbres, l'Héritage du serpent, Le Protectorat de l'ombrelle, Les Vampires de Chicago, Le Tournois des Ombres, L'Épée de vérité, etc..
La plupart des éditeurs on renoncé aux termes de Space Opera, Espace, Anticipation. Même la revue Galaxie, dont le titre est plus que symbolique, publie du Space Opera si rarement que ça en devient indigent.
Effectivement, l’attrait de la technique s’affaiblit chez une population à qui l’on rabâche jour et nuit que la technologie ne permettra pas de faire face à l’avenir. La mode est à la « désolance » quand ce n’est pas au renoncement ce qui explique le retour à la « magie », seul procédé susceptible aujourd’hui de résoudre les problèmes de l’homme, comme aux temps les plus reculés.
Cependant cet attrait existe encore et devrait permettre de diffuser de vraies œuvres de SF, si leurs auteurs et les éditeurs y croyaient eux-mêmes, et évitaient ces œuvres tarabiscotées vendues presqu’au poids qui vous collent une bonne indigestion mentale. Souvenons-nous de la remarque d'Isaac Asimov indiquant qu'il était rétribué à la ligne et devait sortir coûte que coûte ses romans.
Ainsi, Perry Rhodan, qui a depuis longtemps épuisé le gigantisme industriel et scientifique pacsé à une super dose de fantastique, se lit encore, probablement grâce à sa pseudo base scientifique.
Comment expliquer l'accueil des actuelles publications si éloignées de la Science.
Un certain hypnotisme mental dissimulé au travers du récit et du style agit probablement sur les lecteurs, le même qui accompagne les spectacles, divertissements, délassements, distractions diverses. Dans son livre "L'Espérance Folle" (Chapitre 12, le rêve et l'hypnose), paru chez Robert Laffont en 1987, le compositeur chanteur Guy Béart, parle d'asservissement momentané des esprits. Dans l'écriture, comme en musique ou en paroles, il souligne qu'en soulageant la pensée et la mémoire, une certaine redondance conduit à une discrète allégeance mentale. Le lecteur s'en rend-il compte ? Probablement un peu puisqu'il va en redemander. C'est bien ce que les éditeurs recherchent au travers de l'écriture de leurs auteurs.
D’autres auteurs présentent la lecture comme un exutoire où débordent à qui mieux-mieux, la violence gratuite, le sexe à tout niveau et ce qu’on appelait jadis les péchés capitaux, provoquant cette orientation d’écriture « à la mode » imparable : toujours plus. Combien y a-t-il d’ouvrages où l’écrivain s’est manifestement transformé en tâcheron de basse besogne ?
Les difficultés que rencontre la diffusion de la SF – nous apprenons tous les jours de tristes nouvelles comme l'abandon de collections, la fermeture d'éditeurs – proviennent en grande partie du fait que ce terme a été galvaudé, cuisiné à toutes les sauces pour faire passer tous les ésotérismes imaginables, jusqu’au fantastique et au magique poussé à la sorcellerie, fictive pour le moment.
La pauvre Science n’a dû son salut qu’à la fuite, encore que la lecture de revues comme Pour la Science ou La Recherche laisse souvent pantois par leur faiblesse, leur fiction sinon leur « romance ».
On y note une dilution de l'information capitale dans un flot de redites connues ou de "portes ouvertes" qui brouillent les exposés et ne se rattachent que de loin à l'objet de l'article. Ainsi, dans le Pour la Science de janvier 2014, dans un article intitulé "Les traces numériques du crime", page 52, 12 colonnes, 30 000 signes, on "apprend" que pour préserver les données (le terme informations serait plus approprié) d'un ordinateur ou d'un téléphone chacun des secteurs (de la mémoire) doit être copié et stocké (pourquoi pas dupliqué ?) sur un autre ordinateur. Et ainsi de suite… À croire que le lecteur doit réapprendre le b a ba de la conservation des objets, des textes, des nombres, etc… Pourquoi ne pas expliquer les avantages de la photocopie quand on y est. Si le texte semble agréable à lire, presque reposant, la multitude de digressions de cet ordre, j'oserais dire littéraires, surcharge l'exposé et éloigne le lecteur d'une synthèse scientifique qui serait plus utile pour mémoriser l'essentiel. Des encarts viennent à la rescousse, pas moins de trois de différentes dimensions, et démontrent que l'exposé a besoin de simplification. Hélas, là aussi, après un premier encart dénommé "L'essentiel" qui n'est, ni plus ni moins, qu'une présentation résumée de l'article, l'auteur élargit le sujet en mixant des exemples d'enquêtes policières avec des techniques de hachage des données (je souhaite bien du plaisir aux néophytes car ce dernier texte devient subitement ardu, peut-être pour démontrer les capacités "scientifiques" de l'auteur).
À la lecture d’un seul ouvrage du type « exutoire », combien de foyers ferment leur porte aux futurs livres de SF ? En juin 2007, ce sujet a donné lieu à de vifs échanges sur le forum de Noosfere lors du refus de Fleurus de publier dans sa collection Mango (pour la jeunesse) un ouvrage de Science Fiction (ou considéré comme tel) qui comportait un viol. On imagine combien de portes se seraient définitivement fermées devant l'éditeur lorsque les parents auraient aperçu un tel sujet et développement dans les mains de leurs enfants.
Combien de fois n’a-t-on entendu affirmer d’un ton péremptoire « c’est de la SF » pour dire que c’est farfelu, d'ailleurs les revues ou journaux spécialisés ou non sont muets sur ce terme, preuve qu'il n'est pas partout accepté. Il y a même des salons du Livre où c’est carrément un terme à ne pas utiliser. On pourra observer le parcours de certains visiteurs pour éviter votre stand. Cela en deviendrait presque cocasse si ce n’était pas affligeant d'ignorance. Et de bêtise.
Il y a une grosse poignée de lecteurs français passionnés par la SF, pour les plus anciens probablement parce qu’ils ont leurs auteurs phares, mais combien y a-t-il de lecteurs potentiels pour une SF qui ne jouerait pas les casseurs et serait plus accessible à tous ?
Dans son discours prononcé lors de la remise des prix de l’Université Polytechnique de Catalogne le 26 novembre 2008, Lois McMaster Bujold, (cinq fois le prix Hugo, trois fois le prix Nebula et trois fois le prix Locus) terminait par :
« La question de base reste la suivante : une histoire doit-elle détruire la joie dans le monde... ou la créer ? Tout ce que j'espère est que quelques jeunes écrivains avec une bonne culture scientifique relèveront le gant pour cette création de joie ».
G. Bouyer.
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