caliban a écrit : La question ne me semble pas là : il ne s'agit pas d'interdire à quiconque l'accès à la littérature — qu'un gamin peut acheter sans problème dans n'importe quelle
librairie dans des collections non spécialisées, et qu'un "prescripteur" peut toujours
lui prescrire — mais de limiter la possibilité de vendre n'importe quoi sous une
couverture trompeuse le présentant comme spécialement adapté aux jeunes.
D'accord avec Caliban sur toute la ligne. Mais reste la solution ridicule, apparemment évoquée par la commission, qui consisterait à "interdire aux moins de quinze ans" un roman, certes publié en collection jeunesse - alors que les romans non destinés à un jeune public leur resteraient libres d'accès, y compris les plus violents d'entre eux (ce qui me paraît sain : limiter l'accès des gamins à la littérature serait une grave erreur ; aux parents de veiller un peu à leurs lectures). C'est donc absurde, et cependant, si ces livres sont jugés trop durs pour être prescrits aux gamins, ils ne peuvent être laissés en l'état. Viol, pédophilie, sont des sujets extrêmement délicats, qui peuvent être abordés, et le sont souvent, avec subtilité : le but n'est pas de traumatiser les jeunes lecteurs. Vous avez parlé d'image : imaginerait-on, dans une série TV destinée aux enfants, une scène de viol qui aurait l'intensité de celle d'Irréversible de Gaspar Noé ? Non, évidemment. Ce film a profondément marqué mon regard de spectateur : depuis Irréversible, je ne regarde plus les scènes de viol, et de violence en général, du même oeil. Bref, ça m'a secoué. Je me souviens avoir vu, le lendemain, un très mauvais film de JF Richet, dans lequel la belle Virginie Ledoyen se faisait violer dans sa cellule par des ripoux. Le viol, dans ce film, n'était qu'un prétexte : montrer combien les flics peuvent abuser de leur pouvoir. Autrement dit, le viol n'était qu'un élément du scénario, qui ne m'a pas arraché la moindre réaction. Là, Virginie achète du pain, ici elle court dans la rue, là elle mange un sandwich, là elle se fait violer. C'est kif-kif. Et je ne parle même pas des commissaire Navarro et autres bouses télévisuelles, où entre deux publicités pour du savon et des tampax, vous voyez une nana se faire violer dans un parking ou une ruelle sombre. Dans Irréversible, le viol vous agresse, vous révulse. C'est insoutenable. Le viol n'est pas qu'un élément du scénario, c'est un
événement indicible, une béance qui aspire le film tout entier, comme l'existence détruite de la victime et de son petit-ami joué par Cassel (c'était d'ailleurs tout le sens de la narration à rebours, et du titre). Je considère Irréversible comme un grand film, vous l'avez compris, et pourtant, le montrer à un gamin serait irresponsable (et puni par la loi : il doit être interdit aux moins de seize ans). De quoi le traumatiser à vie. Rendez-vous compte : cela pourrait être le premier contact d'une ado avec la sexualité ! Insérer une scène de viol comme celle-ci dans un programme destiné aux enfants, n'est même pas imaginable. Un film sur un taré nécrophile, avec des scènes explicites, moi ça me fait marrer, ça peut même être très beau, mais le montrer à des enfants, c'est une autre affaire, non ? Alors, pourquoi en irait-il différemment dans l'édition ?... Au nom de quel principe devrait-on systématiquement défendre la publication en collection jeunesse de romans extrêmement violents, qui décrivent des viols, ou des meurtres, de façon très réaliste ?
N'ayant pas lu les ouvrages dont il est question ici, je n'ai pas à me prononcer, ni pour les condamner, ni pour les défendre, mais il me paraissait important, après Caliban, de rappeler que le fait qu'un éditeur ou une commission (comme ici) s'interrogent sur la pertinence de telle ou telle publication pour le jeune public auquel elle est destinée, est en soi plutôt rassurant.