J'ai pris connaissance hier soir du droit de réponse publié par Pierre-Marie Dumont. Je voudrais ici revenir sur certains points qui me paraissent intéressants.
Droit de réponse
Monsieur le Directeur de la Publication
J’ai pris connaissance de l’éditorial, du Forum et des différents articles que votre site électronique actusf a consacré au roman de Nathalie Le Gendre intitulé « Les Orphelins de Naja ».
Il me semble que la déontologie du journalisme exige de ne reproduire une information qu’après en avoir vérifié la véracité et de ne relayer une accusation lancée contre une personne, physique ou morale, qu’après avoir permis à cette personne d’exposer son point de vue. Je ne doute pas que sont bien vôtres ces exigences qui sont à la base du respect mutuel qui permet le « vivre ensemble » en démocratie. Je suis donc étonné que vous ayez publié vos communications sans prendre la peine de nous contacter pour connaître notre point de vue. Ce point de vue, il me paraît utile de le faire connaître à vos lecteurs, afin que ce soit librement qu’ils se forgent une opinion.
Touché. C'est l'une des raisons pour lesquelles je n'ai pas tenu à signer la pétition en l'état.
En revanche, je ne sais pas si les gens de ActuSF ont essayé de contacter Mango / Fleurus mais moi si. Une première conversation avec Caroline Fait (éditrice jeunesse, dit sa carte de visite) m'a permis de mieux cerner le problème ; la semaine suivante, en quête d'éclaircissements supplémentaires, j'ai rappelé : Caroline Fait m'a alors conseillé de m'adresser directement à M. Dumont, arguant du fait qu'elle n'avait plus le droit (ce sont ses termes) de parler aux auteurs. Vendredi dernier, j'ai téléphoné à l'assistante de M. Dumont, Mme Hélène Durand, qui m'a assuré qu'il me rappellerait. A ce jour, il ne l'a pas fait.
La collection Autres Mondes, dont nous sommes fiers d’être les Editeurs, est composée de publications destinées à la jeunesse. Au-delà de ses qualités littéraires, le mérite de cette collection est de permettre aux jeunes de réfléchir à des questions de société, à partir d’une histoire passionnante transposée dans le futur.
En tant qu’Editeurs, nous adhérons totalement à ce projet. Cependant, les ouvrages étant publiés sous notre marque, il nous revient de garantir qu’ils conviennent au public visé, tant sur le plan de la forme que du fond. Cette responsabilité est un élément essentiel de la déontologie de notre métier.
Ok.
Sur le papier ça a l'air bien.
Si je suis bien la première phrase de M. Dumont, ce qui l'empêche de publier ce qu'il veut, c'est la Loi de la République.
De toute façon, si nous jetions aux orties notre déontologie pour ne juger les manuscrits qu’à l’aune de critères commerciaux et financiers, la Loi de la République nous rappellerait aussitôt à nos devoirs. En effet, l’édition des publications destinées à la jeunesse est régie par la loi du 16 juillet 1949, version consolidée au 5 janvier 1988, qui édicte des responsabilités très contraignantes pour les éditeurs : « Les publications visées à l’article 1er [destinées aux enfants et adolescents] ne doivent comporter […] aucune insertion […] de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques » Or, l’on sait qu’aujourd’hui, Convention européenne des Droits de l’Homme aidant, sont assimilés à des préjugés ethniques les préjugés fondés sur l’appartenance ou la non appartenance à une religion. La loi précise par ailleurs : « A l’égard des infractions prévues à l’article 2 de la présente loi, les directeurs ou éditeurs seront, pour le seul fait de la publication, passibles comme auteurs principaux des peines portées à l’article 7. » L’Editeur a donc au premier chef le devoir et la responsabilité de veiller à ce que les publications pour la jeunesse qu’il édite, ou envisage d’éditer, respectent les jeunes lecteurs et les lois qui le défendent.
Il me semble que nous assistons ici à une inversion réthorique fallacieuse - M. Dumont s'abritant en vérité derrière cette même loi pour ne pas publier un livre.
Attardons-nous maintenant sur la Loi en question, notamment ce fameux article 2 : Les publications visées à l'article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques.
Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse.
Prétendre, comme le fait M. Dumont, que "sont assimilés à des préjugés ethniques les préjugés fondés sur l’appartenance ou la non appartenance à une religion", c'est s'appuyer non sur une loi, mais sur une recommandation de politique générale adressée au pays membres de l'Union Européenne dans le cadre d'une lutte contre le racisme. Je doute qu'une cour de justice retienne cet argument dans le contexte qui nous occupe. Soyons sérieux deux minutes : si Michel Houellebecq a été relaxé en 2002 alors qu'il avait déclaré que l'Islam était "la religion la plus con", et que c'était "une religion dangereuse, depuis son apparition.", c'est que la loi n'est pas très menaçante. De fait, il existe une énorme différence, et on l'a vu à l'occasion de ce procès, entre fustiger un système de croyance, et vouer des croyants aux gémonies. Des jurisprudences existent. L'argument ne tient pas.
C’est dans ce contexte déontologique et législatif que le Directeur éditorial de Mango- Jeunesse, M. Christophe Savouré, a indiqué au Directeur de collection, Denis Guiot, qu’il ne publierait pas en l’état le dernier manuscrit de Nathalie Legendre et qu’il souhaitait en discuter avec l’Auteur.
En l’occurrence, c’est une contre-vérité de prétendre que M. Christophe Savouré ait dit que « cet ouvrage ne paraîtrait pas ». Il a dit, en substance, qu’il ne pouvait pas publier cet ouvrage en l’état, mais qu’il souhaitait, avec l’Auteur, débattre des problèmes que lui semblait poser sa publication. La qualité littéraire de l’ouvrage n’est bien-entendu pas en cause. Dans l’absolu, son contenu ne l’est pas non plus. Il est même assez remarquable. Mais le sujet traité, la pédophilie, oblige à s’interroger sur la manière dont l’histoire et ses péripéties vont être reçues par des jeunes « à partir de 11 ans ».
Voilà qui est fort instructif mais, comme je le disais dans un post précédent, je ne vois pas très bien sur quels points éditoriaux il sera(it) possible de discuter. Si le contenu "dans l'absolu" n'est pas en cause, de quoi peut-on parler ? Il me semble, au contraire, que c'est bien le contenu qui pose problème.
Permettez-moi de m’étonner que, sans avoir lu la moindre ligne de ce livre, vous vous laissiez aller à colporter des jugements aussi gratuitement malveillants sur l’attitude de son Editeur. Je me permets de suppléer succinctement votre ignorance. L’histoire se passe au XXIIIe siècle sur une planète nouvellement colonisée où des enfants « défavorisés » sont « déportés » pour être « rééduqués » sous l’autorité de « l’Eglise » et de « l’Armée ». Finalement, on découvre que « l’Eglise » a mis en place des réseaux pédophiles qui se fournissent en « chair fraîche » dans les orphelinats qu’elle dirige. Sur cette planète dédiée, presque tous sont complices et participants : soeurs, frères, Mère supérieure, prêtres et évêques.
J'ai lu le livre.
Et cette dernière expression "presque tous" est impropre.
Quel est le problème ? Il a semblé aux responsables éditoriaux que si des adultes ou des grands adolescents étaient capables, grâce à ce beau livre, de réfléchir, sans faire de transpositions abusives, à l’existence bien réelle de la pédophilie dans des institutions comme l’Eglise, il existait des risques que des enfants de 11, 12 ou 13 ans soient conduits à faire des amalgames susceptibles de nourrir chez eux des préjugés simplistes. Le livre se retournerait alors contre son objet qui est d’apprendre aux jeunes à éclairer leur discernement face aux conditionnements que peuvent leur imposer les membres des institutions.
Nous y voilà. Un enfant de 11 ans regarde la télé ou ouvre un journal. Il apprend qu'il existe des prêtres pédophiles. Il ne fait strictement aucun amalgame. Après quoi il ouvre le roman de Nathalie Legendre (qui est, encore une fois, une fiction, et qui ne cite même pas l'Eglise Catholique), et là, tout bascule.
Le monde est mal fait.
Pour mieux vous faire comprendre notre position, je vais moi aussi faire une transposition. Il y a eu et il y a des enseignants pédophiles. Imaginez qu’un livre propose l’histoire suivante : Au XXIIIe siècle, sur une planète nouvellement colonisée, des enfants sont déportés pour être abusés sexuellement au sein de « l’Education nationale » qui est présentée, en tant qu’institution, comme organisatrice de réseaux pédophiles. Ce livre, aussi remarquable serait-il par ailleurs, le mettriez-vous dans les mains de jeunes de 11, 12 ou 13 ans, sans au moins en avoir débattu auparavant, sans avoir bien pesé le pour et le contre avec l’Auteur ?
Si le message du livre est "certains enseignants peuvent être pédophiles", je publierais effectivement un tel livre, et je pense que Denis Guiot, Par ailleurs enseignant, ferait preuve de la même ouverture d'esprit. Le mettre entre toutes les mains est une autre question, que l'éditeur ne contrôle pas. Elle dépend des parents, des libraires, des prescripteurs.
Au cours des cinq dernières années, j'ai rencontré environ deux cents classes de quatrième et de troisième, et je suis sûr que Nathalie Legendre en a rencontré plus encore. Nathalie sait très bien que "l'enfant de 11 ans", de même que "le lecteur" ou "la société", est une pure abstraction. Certains enfants de 11 ans sont parfaitement à même de saisir les subtilités du message ; d'autres non - mais ce n'est pas le rôle de l'éditeur de surveiller ce qu'ils font.
La réthorique de M. Dumont est étrange : il se réfugie d'abord derrière la loi, puis derrière les enfants innocents. Il serait bon de choisir.
Ce livre pose bien d’autres questions, toujours dans la mesure où il entre dans une collections qui s’adresse à des jeunes « à partir de 11 ans ». Le viol d’une jeune fille de 13 ans, par son tuteur, est raconté d’une manière, certes jamais complaisante, mais assez impressionnante et réaliste et, surtout, ce viol peut être compris par de jeunes lecteurs comme une bonne action (il s’agit de mettre la victime enceinte pour lui éviter d’être envoyée dans une maison de passe).
De fait, et dans ce contexte, le viol est une bonne action. C'est toute la beauté et la complexité étrange de ce livre, et c'est en cela qu'il prend ses lecteurs, adultes ou non, pour des gens intelligents et capables de subtilité.
L’usage de la drogue, qui est généralisée chez ces millions de malheureux enfants, peut être compris comme le seul moyen d’échapper aux difficultés de l’existence, etc.
Mais tout peut-être compris n'importe comment et par n'importe qui ! A ce compte-là, on ferait aussi bien de supprimer la littérature jeunesse dans son ensemble.
Bref, ce sont des questions qu’un Editeur responsable doit se poser avec l’Auteur avant de publier un ouvrage pour la jeunesse. Quitte à consulter des spécialistes pour éclairer le discernement.
Des spécialistes choisis par qui ? Comment ? Ca me rappelle la campagne orchestrée contre les jeux de rôle dans les années 80, où les journalistes convoquaient systématiquement sur leurs plateaux le même spécialiste anti-sectes autoproclamé. On trouve toujours des gens pour être d'accord avec soi. La question, à mon sens, n'est pas là. La question est : est-ce risqué, légalement, de publier un tel roman (je pense que non, mais M. Dumont est d'un autre avis) et son corollaire : a-t-on envie de le faire ? C'est sur ce point, à mon sens, que le bât blesse.
Pour finir, je me tiens à votre disposition pour commenter toutes les erreurs de fait contenues dans vos communications, afin que vous puissiez informer vos lecteurs en toute connaissance de cause, et non sur les seules allégations de M. Denis Guiot.
Vous êtes responsable d’un organe de presse, vous êtes donc particulièrement sensible à tous les enjeux éthiques de la transmission de l’information. Je veux croire, même si vous ne partagez pas toutes nos raisons, que vous saurez, dans une juste mesure, leur faire droit. Et je ne doute pas que vous aurez l’honnêteté intellectuelle de les diffuser aussi largement que vous avez cru devoir diffuser des « informations », qui, quand on connaît les faits, relèvent de la catégorie des rumeurs tendancieuses.
Les interventions diffusées sur ce forum étaient connues des éditions Fleurus dès le début. J'avais personnellement, dans l'un des mes messages, invité M. Savouré à venir s'expliquer.
Il ne l'a pas fait.
Cette menace est sans objet. J'ai fréquenté un certain nombre d'avocats spécialisés dans l'édition - au moins trois, sans compter ceux qui travaillaient directement pour une maison d'édition - et cet air-là m'est connu ; le monde est plein de lois et d'articles brandis par des gens en colère.
P.S. De surcroît, il est apparu à l’Editeur que, tel quel, l’ouvrage pouvait risquer de tomber sous le coup de la Loi. L’article 29 créé par la Loi 1881-07-29 prévoit que : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication […] de cette allégation ou de cette imputation est punissable même si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes du discours… » L’article 32 ajoute : « La diffamation commise […] envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou non appartenance à […] une religion sera punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende… »