Lem a écrit :(Et une question/remarque en passant : je me suis toujours demandé si les éditeurs français ne pensaient pas que le public préférait les texte sans guillemets, peut-être parce que ceux-ci sont jugés "compliqués". Par exemple, dans Ailleurs et Demain, si je ne m'abuse, il n'y en a jamais. L'usage des parenthèses est systématique. C'est GK qui impose cet usage ?)
Je pense que oui, mais il répondra mieux que moi. Lorsque j'ai participé à une traduction à fort enjeu commercial chez Laffont (
La Chute des géants, de Ken Follett), l'équipe de traducteurs avait pour instruction d'employer la règle guillemets + tirets telle que formalisée par le Jouette et l'Imprimerie nationale. Je pensais que seuls des puristes de mon acabit la défendaient encore, de sorte que j'ai été ravi. (La démonstration de Lem ci-dessus prouve à mon sens sa supériorité.)
Maintenant, peut-être manque-t-il une réflexion historique sur cet usage.
Tiens, un cas troublant en passant.
Il y a quelques années, je me suis offert la réédition de Madame Bovary par un éditeur rouennais : il s'agissait d'un fac-similé de l'exemplaire personnel de Flaubert, où il avait lui-même barré tous les passages qu'on l'avait obligé à censurer dans la publication en revue.
A cette occasion, j'ai pu constater que, dans l'édition originale en volume (Michel Lévy Frères, 1857), on se foutait parfois du balisage dialogue/narration et que l'auteur et/ou l'éditeur comptaient sur le lecteur pour faire la part des choses.
Un exemple assez long (Deuxième partie, chapitre V, pp. 148 et suivante du volume 1)
Emma sourit.
-- C'était pour vous dire, reprit-il [M. L'heureux] d'un air bonhomme, après sa plaisanterie, que ce n'est pas l'argent qui m'inquiète... Je vous en donnerais s'il le fallait.
Elle eut un geste de surprise.
-- Ah! fit-il vivement et à voix basse, je n'aurais pas besoin d'aller loin pour vous en trouver, comptez-y! Et il se mit à demander des nouvelles du père Tellier, le maître du Café français, que M. Bovary soignait alors. -- Qu'est-ce qu'il a donc, le père Tellier?... il tousse qu'il en secoue toute sa maison, et j'ai bien peur que prochainement il ne lui faille plutôt un paletot de sapin qu'une camisole de flanelle! Il a fait tant de bamboches quand il était jeune! Ces gens-là, madame, n'avaient pas le moindre ordre! il s'est calciné avec l'eau-de-vie! Mais c'est fâcheux tout de même de voir une connaissance s'en aller. Et tandis qu'il rebouchait son carton, il discourait ainsi sur la clientèle du médecin. -- C'est le temps, sans doute, dit-il en regardant les carreaux avec une figure rechignée, qui est la cause de ces maladies-là! Moi aussi, je ne me sens pas en mon assiette; il faudra même un de ces jours que je vienne consulter Monsieur, pour une douleur que j'ai dans le dos. Enfin, au revoir, madame Bovary; à votre disposition; serviteur très-humble. -- Et il referma la porte, doucement.
Le même passage, dans une réédition moderne (Livre de poche, 1972) :
Emma sourit.
-- C'était pour vous dire, reprit-il [M. L'heureux] d'un air bonhomme, après sa plaisanterie, que ce n'est pas l'argent qui m'inquiète... Je vous en donnerais s'il le fallait.
Elle eut un geste de surprise.
-- Ah! fit-il vivement et à voix basse, je n'aurais pas besoin d'aller loin pour vous en trouver, comptez-y!
Et il se mit à demander des nouvelles du père Tellier, le maître du Café français, que M. Bovary soignait alors.
-- Qu'est-ce qu'il a donc, le père Tellier?... Il tousse qu'il en secoue toute sa maison, et j'ai bien peur que prochainement il ne lui faille plutôt un paletot de sapin qu'une camisole de flanelle. Il a fait tant de bamboches quand il était jeune! Ces gens-là, madame, n'avaient pas le moindre ordre! Il s'est calciné avec l'eau-de-vie! Mais c'est fâcheux tout de même de voir une connaissance s'en aller.
Et tandis qu'il rebouchait son carton, il discourait ainsi sur la clientèle du médecin.
-- C'est le temps, sans doute, dit-il en regardant les carreaux avec une figure rechignée, qui est la cause de ces maladies-là! Moi aussi, je ne me sens pas en mon assiette; il faudra même un de ces jours que je vienne consulter Monsieur, pour une douleur que j'ai dans le dos. Enfin, au revoir, madame Bovary; à votre disposition; serviteur très humble.
Et il referma la porte, doucement.
Qui a tripoté ? Quand ? Avec l'autorisation de qui ? Le texte est-il resté intact? Ou bien son impact a-t-il été dilué ?
Moi, je trouve ça passionnant...
JDB
“Miss Judith Lee, vous êtes l’une des choses les plus étranges de ce monde très étrange.”