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La paranoïa dans le milieu SF des années 70 selon D. Douay

Posté : jeu. oct. 28, 2010 8:12 am
par silramil
Je préfère placer ici ce sujet pour en désamorcer un peu le caractère explosif... Je ne souhaite pas du tout provoquer de comparaison avec une situation actuelle.

J'ai mentionné une plaisanterie de Michel Jeury sur la paranoïa des auteurs SF (en indiquant qu'elle lui était attribuée et non qu'il s'agissait d'une citation officielle - je ne sais si on peut remonter à une trace écrite). J'avais cité de mémoire, mais voici ma source, un article de Dominique Douay dans Fiction.
Dominique Douay a écrit en 1978
« Michel Jeury a dit un jour : « la moitié des auteurs de SF sont paranos, les autres sont mégalos, et moi ils m’en veulent tous parce que je suis le meilleur. » Boutade bien sûr – mais n’est-ce que cela ? La vérité oblige à reconnaître que, de par ses structures, nées au cours des années de vache maigre, à présent pérennisées par les Conventions, le « milieu SF » présente le terreau le plus favorable qui soit à l’éclosion de la paranoïa. Les signes – sinon les preuves – de cet état de fait sont à rechercher, par exemple, au fil des numéros de Fiction, dans les règlements de compte qui émaillent les chroniques et traduisent le plus souvent des conflits de pouvoir. Pouvoir sur qui, pouvoir sur quoi ? Dans la SF française, les papes sont légions, et leurs ambitions ne sont pas forcément identiques : pour un tel, il s’agira de s’instituer porte-parole de toute la SF française, pour tel autre de s’ériger en guide et censeur de l’un de ses courants. Tout ceci n’a à l’évidence aucune incidence sur le marché de la SF et ne présente pour le lecteur aucun intérêt autre qu’anecdotique. » (Dominique Douay, « Le New Look de la SF française : prêt à porter ou confection ? », Fiction 289, janvier-février 1978, p. 166)
Ces lignes m'ont paru suffisamment frappantes pour valoir d'être citées, mais je vous invite à la plus grande circonspection, et à faire la part de ce qui est analyse et de ce qui est formule.

Posté : jeu. oct. 28, 2010 8:56 am
par Lensman
Il y a aussi un phénomène de schizophrénie qui s'ajoute à cette paranoïa (somme toute classique et se retrouvant dans d'autres "mouvements littéraires"), schizophrénie teintée d'un soupçon de mégalomanie (c'est complet...): la SF est souvent regardée, dans ce petit monde, comme une mouvance touchant tous les médias, et non comme un mouvement simplement littéraire. Tout est pris en compte, cinéma, télé, bande dessinée, tous les arts plastiques... on s'intéresse à tout, on annexe tout, du modeste petit format de BD pour gosses, jusqu'au texte expérimental le plus abscons et le plus élitiste. Cela fait un ensemble vaste et hétéroclite pour lequel il est très difficile (en fait, impossible...) de mettre au point un système d'échelle de valeur global. Dans le feu des discussions, on fait aussi bien appel à Ballard qu'aux comics ou aux feuilletons TV. C'est paradoxal, car le but des discussions est souvent de vouloir, d'une manière ou d'une autre, légitimer la SF par rapport au reste (sic) de la culture. Il est très amusant de voir, comment, dans le fil M le Maudit, il a souvent été fait appel à la bande dessinée ou aux feuilletons télé pour faire ressortir des aspects relevant en principe des préoccupations philosophiques les plus élevées (hum...), ou au moins, les plus ambitieuses. Je ne dis pas que c'est illégitime ni sans intérêt, mais cela jure avec la recherche de légitimité culturelle "traditionnelle" qui est TOUJOURS derrière . Et il ne suffit pas de dire que dorénavant la BD est "acceptée" culturellement pour résoudre le paradoxe, ça ne fonctionne pas.

Oncle Joe

Posté : jeu. oct. 28, 2010 9:09 am
par Erion
C'est un peu pour ça, Joe, que la distinction entre SF et Sci-Fi est le fait non des "mundanes" mais du fandom SF. C'est lui qui cherche à séparer et mettre des étiquettes, alors que pour les gens extérieurs, il ne s'agit que d'un vaste ensemble.

Posté : jeu. oct. 28, 2010 9:14 am
par silramil
C'est-à-dire qu'il faut faire très attention et suivre une méthode irréprochable, pour éviter de mêler les éléments SF n'importe comment.
Ce qui a nom science-fiction est plutôt un ensemble de productions culturelles de toutes natures et de tous niveaux, qui peuvent être associées selon des dizaines de critères plus ou moins pertinents. Le tout est de ne pas sauter d'un critère à l'autre au hasard de son argumentation (ne pas justifier une déclaration sur la littérature de SF en s'appuyant sur un film, simplement parce qu'on y trouve des objets en commun, par ex.)
Le piège est de se mettre à procéder par induction : j'ai observé telle chose dans un texte, dans une catégorie de textes, dans des séries, etc. donc cela caractérise tous les objets qui sont regroupés dans la grande culture SF.
L'inconvénient de la richesse et de la complexité d'une telle culture est qu'on ne peut lui attribuer de dénominateur commun parfait : pas de pierre philosophale permettant d'analyser n'importe quelle production SF de manière pertinente.

Posté : jeu. oct. 28, 2010 12:45 pm
par MF
Un point sur lequel je ne suis (toujours) pas d'accord avec l'analyse faite par DD
Tout ceci n’a à l’évidence aucune incidence sur le marché de la SF et ne présente pour le lecteur aucun intérêt autre qu’anecdotique.
Je pense que ces "luttes d'influence" ont une incidence (à tout le moins indirect) sur le marché de la SF.
Spéculer sur le genre est un de moyens de le maintenir en mouvement, de le faire vivre, de l'interroger, de forcer les auteurs/éditeurs/critiques/... à se remettre en cause.

Les coups de gueules, les prises de bec, les engueulades ou les discussions courtoises (même si teintées de paranoïa ou de mégalomanie cachées, voire refoulées) contribuent à a robustesse du genre.
Enfin, je l'espère...

Et puis comme cela a été écrit à la même époque, la SF est une littérature de combat. Dans ces situations, il vaut mieux avoir dans son camp les paranoïaques et les mégalomanes ^^

Posté : jeu. oct. 28, 2010 1:13 pm
par silramil
MF a écrit :Un point sur lequel je ne suis (toujours) pas d'accord avec l'analyse faite par DD
Tout ceci n’a à l’évidence aucune incidence sur le marché de la SF et ne présente pour le lecteur aucun intérêt autre qu’anecdotique.
Je pense que ces "luttes d'influence" ont une incidence (à tout le moins indirect) sur le marché de la SF.
Spéculer sur le genre est un de moyens de le maintenir en mouvement, de le faire vivre, de l'interroger, de forcer les auteurs/éditeurs/critiques/... à se remettre en cause.

Les coups de gueules, les prises de bec, les engueulades ou les discussions courtoises (même si teintées de paranoïa ou de mégalomanie cachées, voire refoulées) contribuent à a robustesse du genre.
Enfin, je l'espère...

Et puis comme cela a été écrit à la même époque, la SF est une littérature de combat. Dans ces situations, il vaut mieux avoir dans son camp les paranoïaques et les mégalomanes ^^
à la robustesse du genre, sans doute.
à la sélection, la mise en place, la diffusion et les achats (=le marché de la SF), assez peu je dirais.

Posté : jeu. oct. 28, 2010 3:03 pm
par MF
silramil a écrit :
MF a écrit :Un point sur lequel je ne suis (toujours) pas d'accord avec l'analyse faite par DD
Tout ceci n’a à l’évidence aucune incidence sur le marché de la SF et ne présente pour le lecteur aucun intérêt autre qu’anecdotique.
Je pense que ces "luttes d'influence" ont une incidence (à tout le moins indirect) sur le marché de la SF.
Spéculer sur le genre est un de moyens de le maintenir en mouvement, de le faire vivre, de l'interroger, de forcer les auteurs/éditeurs/critiques/... à se remettre en cause.

Les coups de gueules, les prises de bec, les engueulades ou les discussions courtoises (même si teintées de paranoïa ou de mégalomanie cachées, voire refoulées) contribuent à a robustesse du genre.
Enfin, je l'espère...

Et puis comme cela a été écrit à la même époque, la SF est une littérature de combat. Dans ces situations, il vaut mieux avoir dans son camp les paranoïaques et les mégalomanes ^^
à la robustesse du genre, sans doute.
à la sélection, la mise en place, la diffusion et les achats (=le marché de la SF), assez peu je dirais.
tu as raison
c'est bien pour cela que je parlais d'incidence indirecte

si il n'y a pas de genre, il n'y a pas de marché...

Posté : jeu. oct. 28, 2010 4:19 pm
par jeandive
je ne sais si la fantasy et les autres litteratures de genres ont eu leur succes grace aux coup de gueules et autres blablas du même style ....
la SF litterature de combat ? completement subjectif
la SF , entre autre , litterature de combat , sans doute
la spécificité de la SF est peut etre qu'elle englobe véritablement tous les supports de façon indissociable ? Et la recherche d'une " methode irreprochable pour éviter de mêler les éléments SF n'importe comment " n' est -elle pas peine perdue car << la recherche de légitimité culturelle "traditionnelle" >> en France ( je crois que cela est different chez les anglo-saxons ) pour la Sf et les genres en général me parait mal barré ( et si on cite Simenon a la pleiade pour le policier , je trouve que cela fait plutot " l'exception qui confirme la regle ; idem pour la bd , soit disant reconnue , par qui exactement ?)
et personnelement , la reconnaissance , pfuuuu ( point de vue tres intello je le reconnais :) )

Posté : jeu. oct. 28, 2010 5:06 pm
par Lensman
jeandive a écrit : et personnelement , la reconnaissance , pfuuuu ( point de vue tres intello je le reconnais :) )
Les lecteurs en souffrent assez peu (ils sont généralement dans une consommation "plaisir"), par contre, chez pas mal d'auteurs, il y a une forte amertume quant à cette absence de reconnaissance, après tout de même des décennies d'efforts. Le phénomène de la disparition progressive des rubriques consacrées à la SF dans les supports médiatiques importants est vécue avec tristesse ou dépit. Personne ne croit vraiment que cela signifie que la SF est en train de se fondre naturellement dans la grande et prestigieuse littérature générale, l'imprégnant harmonieusement de sa fertile influence... ce qui le disent font juste semblant, il suffit de discuter un peu avec eux...

Oncle Joe

Posté : jeu. oct. 28, 2010 5:29 pm
par Lensman
Tiens, Serge Lehman a donné une belle critique au Monde du dernier roman de Kloetzer, Cleer. J'en extrais ce passage, où il est question de science-fiction:

A cette proposition dont Kloetzer rappelle la nature d'idéal, Vinh et Charlotte ne réagissent pas de la même manière : leur relation est l'axe central d'un roman qui oublie les frontières entre fantastique, science-fiction et littérature, et dont on ressort légèrement hébété, légèrement ébloui... Comme si, pendant quelques heures, on s'était exposé sans protection au noyau radioactif du capitalisme.

Le roman est donc censé oublier des frontières, qui existeraient entre fantastique et science-fiction (vieux pont-aux-ânes, qu'on appelle aujourd'hui un troll...), OK, mais surtout entre science-fiction ET littérature. Ce qui veut dire que, globalement, la science-fiction est distincte de la littérature, même si on peut admettre une intersection. Le message est : fan de littérature, ceci est aussi un livre pour toi. Sous-entendu: en général, la SF n'est pas faite pour le fan de littérature...

Oncle Joe

Posté : jeu. oct. 28, 2010 5:37 pm
par Tétard
Lensman a écrit :Tiens, Serge Lehman a donné une belle critique au Monde du dernier roman de Kloetzer, Cleer. J'en extrais ce passage, où il est question de science-fiction:
Oncle Joe
Tu aurais aussi pu noter la facette métaphysique de Cleer (où l'on pourra gloser sur la pertinence du concept M, s'agissant d'anges).

Posté : jeu. oct. 28, 2010 6:00 pm
par silramil
De toute façon, Cleer c'est de la fantasy.

Posté : jeu. oct. 28, 2010 6:09 pm
par MF
silramil a écrit :De toute façon, Cleer c'est de la fantasy.
avec de la chantilly dessus

Posté : jeu. oct. 28, 2010 6:50 pm
par Fabien Lyraud
Lensman a écrit :
jeandive a écrit : et personnelement , la reconnaissance , pfuuuu ( point de vue tres intello je le reconnais :) )
Les lecteurs en souffrent assez peu (ils sont généralement dans une consommation "plaisir"), par contre, chez pas mal d'auteurs, il y a une forte amertume quant à cette absence de reconnaissance, après tout de même des décennies d'efforts. Le phénomène de la disparition progressive des rubriques consacrées à la SF dans les supports médiatiques importants est vécue avec tristesse ou dépit. Personne ne croit vraiment que cela signifie que la SF est en train de se fondre naturellement dans la grande et prestigieuse littérature générale, l'imprégnant harmonieusement de sa fertile influence... ce qui le disent font juste semblant, il suffit de discuter un peu avec eux...

Oncle Joe
Il y a deux manières de considérer la littérature.
- Soit comme miroir du réel
- Soit comme écran du paraître
Ceux qui attaquent les littératures de l'imaginaire se placent dans la première catégorie et nous, nous sommes dans la seconde. La littérature comme toute forme d'expression fictionnelle ou artistique c'est du paraître pas de l'être en fait.
Ce qui fait que la littérature est un objet platonicien. Il s'agit du monde des apparences de la caverne. Ce ne sont que des ombres.