L'esprit conscient, de Chalmers

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Lem

L'esprit conscient, de Chalmers

Message par Lem » dim. nov. 28, 2010 5:05 pm

Pour ceux que le sujet avait intéressé lors de son évocation sur feu le fil M, je signale la parution en français d’un essai crucial du philosophe David Chalmers :

L’esprit conscient (à la recherche d’une théorie fondamentale), Ethaque 2010 (la première édition en anglais date de 1996 ; on est en retard sur l’état de l’art).

Le sous-titre dit l’ambition de ce livre qui – à mes yeux d’amateur semi-éclairé – semble atteindre son but. Il repose sur une très intelligente et habile adresse préalable aux lecteurs, qui est aussi l’expression d’une épistémologie :
La conscience est toujours aussi incompréhensible. Le fait que la production du comportement doive s’accompagner d’une vie intérieure subjective demeure tout à fait mystérieux. Nous avons de bonnes raisons de croire que la conscience provient de systèmes physiques, les cerveaux, mais nous ne savons pas comment cela se produit, ni pourquoi elle existe. Comment un système physique comme un cerveau peut-il également être un sujet d’expérience ? Pourquoi cela fait-il de l’effet d’être un tel système ? Les théories scientifiques actuelles ont du mal à aborder les questions réellement difficiles relatives à la conscience. Ce n’est pas seulement qu’il nous manque une théorie précise ; nous ignorons tout de la façon dont la conscience s’intègre dans l’ordre naturel.
(…)
Dans ce livre, j’ai supposé que la conscience existe : redéfinir le problème et prétendre qu’il s’agit d’expliquer comment sont accomplis certaines fonctions et certains processus cognifits ou comportementaux est inacceptable. Voilà ce que j’entends par prendre la conscience au sérieux.
Certains disent que la conscience est une « illusion », mais qu’est-ce que cela pourrait bien signifier ? Il me semble que nous sommes plus assurés de l’existence de l’expérience consciente que de l’existence de n’importe quoi d’autre en ce monde. J’ai plusieurs fois tenté de me convaincre qu’il n’y a rien, que l’expérience consciente est vide. Cette idée est séduisante et les philosophes l’ont exploitée de tout temps mais, en fin de compte, elle est parfaitement insatisfaisante. Je suis absorbé par une sensation orange et quelque chose se passe. Cela requiert une explication, même après que nous avons expliqué les processus de discrimination et d’action : l’expérience.
Il est vrai que ne peux pas prouver l’existence d’un problème supplémentaire, précisément parce que je suis incapable de prouver l’existence de la conscience. Nous connaissons la conscience plus directement que tout autre chose de sorte qu’une « preuve » est inutile. Je ne peux rien faire de mieux que produire des arguments chaque fois que cela est possible, tout en réfutant les arguments adverses. Je ne nie pas qu’il faille pour cela recourir parfois à l’intuition, mais tous les arguments impliquent ici ou là des intuitions, et je me suis efforcé d’être clair à propos des intuitions impliquées par les miens.
On pourrait considérer cela comme une ligne de démarcation dans l’étude de la conscience. Si vous soutenez qu’une réponse aux problèmes « faciles » (la liaison entre conscience et action) explique tout ce qu’il y a à expliquer, alors vous obteniez un type de théorie ; si vous soutenez qu’il existe en plus un problème « difficile » (la nature qualitative, presque ineffable, de l’expérience subjective), vous en obtenez un autre. Au-delà d’un certain point, il est impossible d’argumenter en passant outre cette division. L’existence d’un problème supplémentaire me semble évidente ; d’autres pensent le contraire. Nous devons simplement apprendre à vivre avec cette division fondamentale.
Ce livre peut intéresser les partisans de la seconde position ; en réalité, il s’adresse à ceux qui ressentent le problème jusque dans leur chair.
Le livre est animé par un mouvement clair et très puissant. Certaines parties sont techniques (évocations et réfutations d’arguments logiques de pointe) mais on peut les survoler pour se concentrer sur les récapitulations et conclusions : on perçoit nettement le progrès de l’argument. De quoi s’agit-il ?

1) Chalmers distingue deux types de conscience : la conscience « psychologique » (qui est réceptrice des stimulis en provenance du monde extérieur ou du corps, et productrice causale de comportements), que l’on peut en principe expliquer par la physique ; la conscience « phénoménale » (qui est le siège de l’expérience en première personne, des qualias – comme la couleur rouge, les émotions, etc. – qui résiste à toute réduction (il démontre pourquoi de façon détaillée).

2) Chalmers ne renonce pas pour autant à une approche scientifique de la conscience phénoménale mais il montre que, dans ce cas précis, « scientifique » ne signifie pas « physique » : autrement dit, qu’il n’est pas possible de réduire la conscience phénoménale à une activité neuronale, voire à son soubassement atomique. Il montre que « scientifique » signifie ici « naturel », c’est à dire appartenant à l’ordre de la nature, de l’univers…

3) … ce qui le conduit à une déduction inévitable : l’univers naturel n’est pas complet lorsqu’on cherche son expression ultime sous forme de lois physiques, il comprend aussi des lois psychophysiques qui expliquent la conscience phénoménale – et une description complète de l’univers, qui devrait être le but de la science, ne saurait fonctionner sans la prise en compte de cette dualité (le mot est restauré).

4) Quelques conséquences hallucinantes arrivent à la fin sur la nature du monde, la possibilité de l’intelligence artificielle et les diverses intérprétations de la mécanique quantique.

A lire si on souhaite avoir une idée de l'état de la recherche sur le sujet.

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Don Lorenjy
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Message par Don Lorenjy » dim. nov. 28, 2010 5:23 pm

Intéressant, surtout en ce qui concerne la "nature du monde".
Je rencontre de plus en plus de gens qui la ressente "dans leur chair", sans que cela pose un "problème" (dont la réponse se situerait entre 41 et 43)
Les marques Don Lorenjy et Don Lo sont retirées des rayons

Lem

Message par Lem » dim. nov. 28, 2010 5:51 pm

Lien vers le livre lui-même.

Et une critique très poussée qui résume pour ceux qui ne liront pas.

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Lensman
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Message par Lensman » dim. nov. 28, 2010 6:29 pm

J'aime bien l'expression "presque ineffable", et l'auteur a un look sympathique d'artiste illuminé fin XIXe siècle, c'est déjà ça...
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Elisabethforever
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Message par Elisabethforever » lun. nov. 29, 2010 2:26 pm

Trop tard, j'ai déjà lu ça :

http://www.amazon.fr/Neuro%C3%A9thique- ... 737&sr=8-2

Sylvie.

Lem

Message par Lem » lun. nov. 29, 2010 4:13 pm

Ah oui, c'est une théorie du premier type en effet : pas de problème difficile, tout vient de la matière. Trop tard.

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