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Destination Void (Le Programme Conscience) de Frank Herbert

Posté : jeu. août 13, 2009 3:44 pm
par Askaris
MF a écrit :
Askaris a écrit :
MF a écrit : Parlons pendant quelques posts du "programme conscience".
Personnellement, je trouve que l'intrigue du premier tome (Destination Vide) est d'une profondeur rare, et fait de cette œuvre une des références de la SF, ne serait-ce que parce qu'elle a ouvert le champ à de multiples réflexions sur le concept d'IA.
Par contre, l'écriture est à la limite du supportable. A trop vouloir rendre par sa voix d'écriture la tension qui règne dans la nef, Herbert en fait un texte ardu, presque illisible.
Alors que les 3 autres volumes, écrits en collaboration avec Ransom sont, à la fois, parfaitement lisible et conceptuellement creux.
Que peux tu m'en dire ?
Ici, vraiment ? Et, en entrant un minimum dans les détails ? J'y suis disposé si tu es sérieux, mais dans ce cas ouvrons un topic idoine. Je n'imagine pas les crises d'hystérie si j'osais m'étaler sur ces questions ici même.
Tu le mets où tu veux, mais ça me surprendrait que crise d'hystérie il y ait.
Et même si il y a, tu fais comme moi, tu laisses criser.

Et la notion de détails me semble devoir être regardée sous un aspect fractal.
Je pense avoir réussi à te communiquer mon avis général en 3 phrases.
Tu devrais bien pouvoir en faire de même.
Seuls les écarts aux accords nécessiteront, éventuellement, d'accroître la profondeur .
Ah ! :( Tu veux que ça tienne en 3 phrases ? tu m'en demandes trop...disons... 3 paragraphes...? Bon, ben ...commençons...



Étrangement, et à l'opposé du goût commun, j'apprécie l'hermétisme et l'écriture étrange de Destination Void que j'ai eu la chance de lire sous sa version originelle parue dans Galaxy en août 1965. De la série, c'est mon préféré.
J'ai aimé cet échange en vase clos avec des figures aussi dissemblables que le rationnel froid et agressif (Bernard Bickel), l'arrogante toute en réserve (Raja Flattery) et l'intuitif plein de compassion (Gerrill Timberlake).


L'idée de confronter des clones ("matériel" humain jetable) à une machine (en voie de "conscientisation") au sein d' une expérience dont ils sont les cobayes inconscients, est une idée -peut être pas originale en soi- qui nous change des prétentieuses lois de la robotique. C'est toute la richesse et la vacuité du concept de "conscience" humaine et de "présence à soi" qui se trouve ici brutalement mis en question. Thème récurrent de Frank Herbert (notamment dans God Makers et plusieurs de ses nouvelles).


Je dois dire, n'ayant pas une formation de scientifique (en sciences dures s'entend), que certains passages m'ont totalement échappé...Mais c'est aussi cette musique des nombres qui m'a paradoxalement charmé...Je n'ai donc pas perçu d'immenses différences avec la version remaniée de 1978 et mise au goût du jour (si ce n'est la référence appuyée à Miss Shelley). Par contre les délices logiques et les prises de tête ontologiques m'ont enthousiasmé. J'adore me perdre dans un raisonnement (même et y compris dans l'absurde).



Ma conclusion sera pourtant mitigée : en voulant coller aux dernières avancées de la science mathématique et des logiciens, Herbert a pris le risque d'enfermer son récit dans un instant T préjudiciable à la pérennité de son oeuvre. Dune est là pour 50 ou 100 ans, mais je ne ferais pas ce pari pour Destination Void. Stylistiquement, la traduction française, quoique de qualité, ne m'a pas semblé rendre tout à fait la musicalité du verbe herbertien. C'est d'autant plus dommage que FH n'es pas toujours accessible, et ici moins qu'ailleurs. Ce livre n'est donc pas destiné à une large diffusion. Et ce n'est peut être pas plus mal.

Bon, pardon, c'est plus que 3 lignes, mais j'espère que c'est lisible...

Posté : jeu. août 13, 2009 4:00 pm
par MF
Mon avis portait surtout sur la différence entre le premier volet (pûr Herbert) et les 3 suivants issus d'une collaboration.Mais baste.

Puisque tu l'as lu en anglais et dans la version de 65, tu vas sans doute pouvoir m'aider à répondre à quelques questions que je me pose et pour lesquelles je n'ai pas trouvé de réponses.

Dans la postface à l'édition de 86 (Fr) Herbert y explique, en partie, les modifications faites lors de la révision de 1978 de cette ouvre originellement écrite en 1965 (en particulier la disparition de certains développements mathématiques).

Par contre il n'indique rien pour ce qui concerne certains aspects troublants de cette révision :
- un des protagonistes y parle de son "moi-ver" et considère, au moment où il se couple à l'ordinateur, que ses perceptions sont limités à la surface de son "ver-corps"
- recherchant de ce qu'est la conscience, les protagonistes passent par une étape dans laquelle ils déterminent que la conscience est indissociable de l'éveil allant jusqu'à dire "la conscience apparaît lorsque le dormeur se réveille"
- la dernière phrase est "Vous devez maintenant décider comment me venefrer".

Je m'interroge sur l'irruption dans cette édition de Destination Vide de concepts et de termes manifestement communs à Dune (antérieur de quelques mois) et à L'incident Jésus (largement postérieur). Étaient-ils étaient déjà présent dans l'édition de 1965 ?

Posté : jeu. août 13, 2009 4:38 pm
par Askaris
Si tu veux, on pourra reprendre le parallèle avec les séquelles de Destination Void ultérieurement (ça nous permettra également de réfléchir à la question du partenariat dans l'écriture).

Avec ta permission, je voudrais prendre le temps de te répondre en évitant mes habituels défauts d'écriture.

Je te réponds donc rapidement et provisoirement : oui les références para-duniennes étaient-là dès le début (dans la version magazine de 1965 sous le titre "Do I wake or dream ?"). De nombreux éléments furent éliminés lors de la sortie en librairie de 1966, et restitués pour partie (et avec des additions) dans la ré-édition remaniée de 1978.
Pour mémoire, la version française de A&D (1981) reprend l'édition anglo-saxonne de 1978.

Cette "histoire du texte" un peu complexe nous entraîne dans les méandres de la rédaction parallèle de Dune (1958-1965) , God Makers (1956?-1972) et Destination Void (1963?-1978).
Ces 3 univers fictionnels furent rédigés plus ou moins parallèlement ( à la suite d'Under Pressure) et au travers des compléments et remaniements successifs, laissent transparaître des interdépendances passionnantes.

O'Reilly résumait l'enjeu qui parcourait ces 3 romans (et cycles) ainsi : "Qu'y a-t-il après l'homo sapiens ?"

C'est ce que je voudrais détailler plus avant, si ça t'intéresse,

Posté : ven. août 14, 2009 6:17 pm
par bormandg
Askaris a écrit : O'Reilly résumait l'enjeu qui parcourait ces 3 romans (et cycles) ainsi : "Qu'y a-t-il après l'homo sapiens ?"
Tiens, une pré-vision de la Singularité? :?:

Posté : ven. août 14, 2009 6:37 pm
par Askaris
Oui en quelque sorte...Mais je ne suis pas assez bon scientifique pour décider ou non de l'originalité du concept de Vinge...
J'ai pour hypothèse que cette vision doit beaucoup aux théories d'Alfred Korzybski , dont on ne dira jamais assez combien il influença la SF des 50's et des 60's.
Mais, c'est de ma part une conjecture, je n'affirme rien (*dit-il en craignant une volée de bois vert*) :)

Posté : ven. août 14, 2009 6:55 pm
par bormandg
Askaris a écrit :Oui en quelque sorte...Mais je ne suis pas assez bon scientifique pour décider ou non de l'originalité du concept de Vinge...
J'ai pour hypothèse que cette vision doit beaucoup aux théories d'Alfred Korzybski , dont on ne dira jamais assez combien il influença la SF des 50's et des 60's.
Mais, c'est de ma part une conjecture, je n'affirme rien (*dit-il en craignant une volée de bois vert*) :)
A part le fait que Korzybski a répété les concepts de Wittgenstein (à des gens qui n'auraient jamais lu Wittgenstein, donc il a bien fait), j'ai moi aussi beaucoup apprécié sa Sémantique générale, ou au moins le résumé que j'ai pu en acquérir. Pour arriver, ensuite, au Tractatus de LW....

Posté : ven. août 14, 2009 7:15 pm
par Askaris
bormandg a écrit :
Askaris a écrit :Oui en quelque sorte...Mais je ne suis pas assez bon scientifique pour décider ou non de l'originalité du concept de Vinge...
J'ai pour hypothèse que cette vision doit beaucoup aux théories d'Alfred Korzybski , dont on ne dira jamais assez combien il influença la SF des 50's et des 60's.
Mais, c'est de ma part une conjecture, je n'affirme rien (*dit-il en craignant une volée de bois vert*) :)
A part le fait que Korzybski a répété les concepts de Wittgenstein (à des gens qui n'auraient jamais lu Wittgenstein, donc il a bien fait), j'ai moi aussi beaucoup apprécié sa Sémantique générale, ou au moins le résumé que j'ai pu en acquérir. Pour arriver, ensuite, au Tractatus de LW....
Langage artificiel et langage naturel dessinent la problématique sur laquelle 1 siècle de chercheurs et de penseurs en linguistique, en ingenierie documentaire, en algèbre booléenne, en philosophie de la logique et en intelligence artificielle se sont vainement penchés sans jamais trouver de théorie générale parfaite.

Toutes ces questions sont aujourd'hui connues grâce à la technologie extractive des moteurs et les espoirs que le web sémantique fait surgir. Mais il est vrai que dans les années 50 peu de gens connaissaient directement les travaux de B. Russell et de Wittgenstein (pour donner ces exemples). C'est à la naissance de l'informatique et à la vulgarisation permise par Korzybski que ces thèmes doivent sans doute d'avoir trouvé une relative diffusion.

Tu noteras que c'est à l'intersection de l'anti-psychiatrie, de la sémantique et de l'informatique naissante (Herbert rédigera des manuels pour informaticiens) qu'apparaît la notion d'IA à laquelle Under Pressure et les 3 cycles majeurs d'Herbert tenteront de dessiner une réponse d'ensemble...

Quelque part, j'y vois aussi la volonté de briser la frontière entre matière et esprit pour dessiner une nouvelle définition du matérialisme, je suppose (?).

Posté : ven. août 14, 2009 7:36 pm
par Lensman
Askaris a écrit : Tu noteras que c'est à l'intersection de l'anti-psychiatrie.
Un problème avec ton psychiatre? J'ai l'impression que ce sous-sujet revient souvent…
Oncle Joe

Posté : ven. août 14, 2009 7:42 pm
par Askaris
Lensman a écrit :
Askaris a écrit : Tu noteras que c'est à l'intersection de l'anti-psychiatrie.
Un problème avec ton psychiatre? J'ai l'impression que ce sous-sujet revient souvent…
Oncle Joe
Noon....Mais tout se tient : les fonctions cognitives de l'homme, sa capacité à formuler des concepts, l'usage d'un langage articulé, la maîtrise de l'outil et de la technique...

Je ne dis pas que tout cela se tient comme ça (et il faudrait que je fouille dans les travaux des paléontologistes), mais je crois qu'on tient là les éléments sur lesquels Herbert n'a cessé de travailler. Pourquoi pensons-nous ainsi ? Notre perception du réel est-elle propre à notre espèce ? Peut-on envisager un "dépassement" de notre "entendement" par le génie génétique ou les progrès de l'IA ?

Posté : ven. août 14, 2009 8:23 pm
par Lensman
Askaris a écrit : Langage artificiel et langage naturel dessinent la problématique sur laquelle 1 siècle de chercheurs et de penseurs en linguistique, en ingenierie documentaire, en algèbre booléenne, en philosophie de la logique et en intelligence artificielle se sont vainement penchés sans jamais trouver de théorie générale parfaite.
.
Je croyais qu'on avait démontré qu'il était impossible de trouver une théorie générale parfaite... J'ai raté une étape?
Oncle Joe

Posté : ven. août 14, 2009 8:28 pm
par bormandg
Lensman a écrit :
Askaris a écrit : Langage artificiel et langage naturel dessinent la problématique sur laquelle 1 siècle de chercheurs et de penseurs en linguistique, en ingenierie documentaire, en algèbre booléenne, en philosophie de la logique et en intelligence artificielle se sont vainement penchés sans jamais trouver de théorie générale parfaite.
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Je croyais qu'on avait démontré qu'il était impossible de trouver une théorie générale parfaite... J'ai raté une étape?
Oncle Joe
Tout dépend des limites que tu donnes qu mot "générale", non? 8)

Posté : ven. août 14, 2009 8:42 pm
par Askaris
Lensman a écrit :
Askaris a écrit : Langage artificiel et langage naturel dessinent la problématique sur laquelle 1 siècle de chercheurs et de penseurs en linguistique, en ingenierie documentaire, en algèbre booléenne, en philosophie de la logique et en intelligence artificielle se sont vainement penchés sans jamais trouver de théorie générale parfaite.
.
Je croyais qu'on avait démontré qu'il était impossible de trouver une théorie générale parfaite... J'ai raté une étape?
Oncle Joe
On ne démontre pas l'indémontrable..... 8)

Mais je dois mettre quelques bémols à ma phrase, comme toujours, un peu trop "générale" et elliptique.

Si l'ingénierie de la documentation ou les logisticiens ont abandonné l'idée que cette ambition puisse être atteinte à terme de 50, 100 ou même 150 ans..........
.........il se trouve encore pas mal de cybernéticiens et d'informaticiens pour persister à penser que les deux langages pourront se fondre dans un métalangage artificiel à horizon d'une ou deux générations...

Pourtant les travaux en ingénierie documentaire du groupe PRECIS, les chercheurs de la Colon Classification ou ceux qui travaillaient sur l'indexation relationnelle de Farradane avaient démontré l'extême difficulté à maîtriser un langage syntagmatique (c'est-à-dire permettant de traduire de façon univoque les liens syntaxiques qui composent un sujet).

Mais, preuve de l'absurde étanchéité des disciplines (malgré des projets trans comme le groupe Pedauque), il faut lire les projections euphoriques de certains partisans du "cake sémantique" convaincus que les possibilités offertes par la généralisation des métadonnées rdf et les ontologies infinies qu'ils pourraient permettre d'articuler ouvriront un nouveau chapitre de l'IA (théorie du web 3.0 comme organisme macro-intelligent) ...

Et, nous n'abordons même pas le problème encore plus épineux de l'autonomie du "sujet" pensant, ce qui est une autre paire de manche...

Je ne nie pas que le traitement du langage naturel nous conduise à des développements extraordinaires, mais pour l'heure l'IA est encore de la science-fiction quoi qu'en disent certains futurologues (et reste encore la problématique plus large de la Singularité dont la scientificité fait encore trop débat...).

Posté : sam. août 15, 2009 7:04 pm
par Gérard Klein
Lensman a écrit :
Askaris a écrit : Langage artificiel et langage naturel dessinent la problématique sur laquelle 1 siècle de chercheurs et de penseurs en linguistique, en ingenierie documentaire, en algèbre booléenne, en philosophie de la logique et en intelligence artificielle se sont vainement penchés sans jamais trouver de théorie générale parfaite.
.
Je croyais qu'on avait démontré qu'il était impossible de trouver une théorie générale parfaite... J'ai raté une étape?
Oncle Joe
Certes. Tu as raté l'étape suivante:
La théorie générale qui démontre qu'il est impossible de construire une théorie générale parfaite, est parfaite.

C'est une application triviale des théorèmes de Gödel.

Posté : sam. août 15, 2009 7:32 pm
par Lensman
Je résume: on sais que l'on ne sait rien.
Hum... il me semble avoir déjà entendu ça il y a longtemps, dans une de mes vies antérieures...
Oncle Joe

Posté : sam. août 15, 2009 7:38 pm
par Lensman
Askaris a écrit :
Si l'ingénierie de la documentation ou les logisticiens ont abandonné l'idée que cette ambition puisse être atteinte à terme de 50, 100 ou même 150 ans...........
Je me demande toujours ce qui signifie ce genre de chiffres.
Pourquoi dire "50 ans", "100 ans'", ou "150 ans"? qu'est ce qui pourrait faire penser que ce serait, disons plutôt 150 ans que 100 ans?
Je ne vois pas du tout sur quoi on peut s'appuyer pour faire des prévisions chiffrées, concernant des savoirs que l'on n'a pas.
Par contre, on peut écrire des romans de SF.
Oncle Joe