La Nuit du chasseur

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Soslan
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La Nuit du chasseur

Message par Soslan » sam. juil. 10, 2010 2:56 am

Ca y est, j'ai enfin vu ce film qui clot la théma enfance de l'Hybride.

Réalisé en 1955 par l'acteur Charles Laughton, la Nuit du chasseur fut son premier film...et son dernier, récompensé par un échec retentissant. Dire que celui-ci est immérité semble évidemment un cliché, même si ce trés bon film n'a pas la perfection d'un chef-d'oeuvre selon moi.

Dans les Etats-unis de la Grande Dépression, le fermier Ben Harper (non rien à voir avec l'autre gus) a été pendu pour vol et meurtre, mais a eu le temps de confier à son fils et sa fille le secret de l'endroit ou est caché l'argent, secret dont il ne doivent pas parler à leur mére même. Mais les vagues allusions qu'il a délivrée en dormant ne sont pas tombé dans l'oreille d'un sourd : celle d'un pasteur (joué par Robert Mitchum), tueur psychopathe et crapuleux mais au dessus de tout soupçons, la preuve il n'a partagé trente jours la cellule de Ben que pour un vol de voiture.
Nous verrons donc le pasteur gagner la confiance de la communauté villageoise et de la mére, et nettement moins facilement celle de John Harper, le fils aîné.

Tout ceci pourrait n'être qu'un banal thriller, sauf que ce n'est prétexte qu'à parler d'autre chose.
Voyons le fond, d'abord. Critique de la religion, incontestablement. Mais qui a d'intéressant qu'elle épouse la culture américaine et combat l'abus religieux avec les armes du message chrétien. La scéne d'ouverture donne le ton : une femme raconte à des enfants le message du Christ disant de se méfier des faux prophétes qui se deguisent en brebis alors qu'ils ne sont que des loups. Et nous en verrons jusqu'à satiété dans le film : le prêcheur qui déguise sa condition de coupe-jarret, y compris à lui-même, derrière sa foi, ses dialogues avec Dieu et son baratin de prêcheur ; les villageois bien-pensants et aveuglés dont le remord tardif prendra les couleurs du fanatisme ; la mére dont le manque d'éducation et le désarroi de veuve sont exploités.
A l'opposé, le salut viendra d'une bonne chrétienne gardienne d'orphelins. La symbolique a un peu les gros sabots (le pasteur séduit tout le monde, la vieille accueille les enfants à la badine avant de se réveler pleine d'amour) mais cela est un peu dans l'ambiance du film.
Car, et c'est là que nous venons à la forme (ben oui, les idées c'est bien joli, faut encore trouver le langage ciné approprié) le film prend les allures d'un conte de fée dans l'acceptation noble du terme, plus proche de Perrault que de Disney pour la noirceur, avec l'arsenal de symboles approprié. On pourrait parler de conte ésotérique, au sens premier du terme, c'est à dire plus proche de la symbolique simple d'un conte populaire (cf Amadou Hampate Bâ) que de n'importe quelle fumisterie alambiquée à la mode de nos jours. Vous verrez la descente des enfants en cavale le long d'un fleuve, interprété plus tard comme la répétition de l'histoire de Moïse, le pasteur que la vindicte populaire finira par appeler de son nom (Barbe-bleue).
Bien sûr que ces révélations nous font une belle jambe, mais tous est dans le langage filmesque : les animaux sont omniprésents, leur intervention prend des allures fantastiques sans y tomber (on compte au moins une scéne d'escamotage qui ne prouve absolument rien de surnaturel mais reste troublante), la descente du fleuve à travers la forêt deviens un vrai poéme filmé appuyé par la musique. J'adore toujours les scènes-poémes clipesques au cinéma, mais suis généralement refractaires aux anciennes musiques de film, et là je me surprend à avoir été captivé.
Si l'on est à l'époque où la violence est suggérée (ce qui est fait les trois quarts du film) le réalisateur ose l'horreur explicite mais poétisée avec l'image de la mére au fond des eaux, toute en beauté macabre digne d'une ondine de littérature gothique.
Les sentiments des personnages relévent d'une autre horreur suggérée, par exemple dans les réactions irrationnelles du jeune John. Et on touche là au (trés) grand interêt historique du film : la représentation de l'enfance était en rupture compléte avec à peu tout ce qui s'était fait au cinéma.
Pour finir, j'ai dis que le film n'était pas non plus un chef-d'oeuvre. C'est lié au fait que j'attendais énormement du jeu de Robert Mitchum, et là je trouvais qu'il sonnait faux par moment, que le personnage de psychopathe tenait plus par le talent du dialoguiste que par celui de l'acteur. Cette mauvaise impression m'a empêché de rentrer pleinement dans le film. Les conditions de visionnages y étaient peut-être pour quelquechose (cruel dilemme de conscience : les spectateurs qui rient le font parfois en toute innocence et respect de l'oeuvre, et pourtant les baffes continuent de se perdre. Mais bref).
Ah, et il y a l'inévitable prêchi-précha final, un peu mièvre et grandiloquent, en tout cas un peu en rupture avec le ton du film, mais c'est inhérent à la logique de celui-ci je crois.

Bref, un film à voir pour un tas de raison : jalon dans l'histoire de l'enfance au ciné, joie de voir l'évangelisme américain noyauté de l'intérieur :twisted: (ce qui peut être plus efficace que le gauchisme athée de salon...et réciproquement, bien sûr), et le principal je pense, découverte d'un joyau du fantastique.
Modifié en dernier par Soslan le sam. juil. 10, 2010 4:53 pm, modifié 1 fois.
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Lensman
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Message par Lensman » sam. juil. 10, 2010 8:10 am

C'est un classique incontournable (comme disaient les jeunes des années 90), mais c'est un film que je trouve déséquilibré.
Oncle Joe

André Valentie
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Message par André Valentie » lun. août 02, 2010 6:18 pm

Oui, ça a pris un coup de vieux et ça manque d'équilibre en effet...

DPoldonski
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Message par DPoldonski » ven. août 13, 2010 9:07 am

André Valentie a écrit :Oui, ça a pris un coup de vieux et ça manque d'équilibre en effet...
Très jeune (vers 14 ou 15 ans), je n'avais pas du tout adhéré au film vu tard le soir et je n'avais pas accorché.
Vers 20 ans j'ai fait l'effort de le revoir, et le charme a fonctionné.
Et j'ai mieux compris pourquoi il revenait souvent dans les listes (des meilleurs films).
Comme "citizen kane" au niveau narration, il est à sa manière très maitrisé et présente un cohérence générale évidente.
Depuis, à chaque vision, il reste la "perle" qu'il est.
(et pourtant je suis très critique et j'analyse les films la plupart du temps).

Il faut le voir comme un conte. Certaines ellipses et certains partis pris du réalisateur (très modernes) peuvent parfois choquer.
Il a un souffle a lui et une magie très particulière.

Quant au déséquilibre, j'imagine que c'est le cheminement de l'histoire qui fait qu'elle semble avoir deux parties (1/ le contexte et la mise en place, 2/ la fuite des enfants et la fin).

A noter l'existence d'un recueil de nouvelles "Personne ne regarde" (entre fantastique et SF) par l'écrivain David Grubb qui a écrit le roman à la source du film.

:roll:

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