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par Lem » jeu. oct. 25, 2007 10:27 am
C'est curieux. Le nom de John Brunner est apparu plusieurs fois dans ces échanges. Pour un auteur mort depuis près de dix ans et supposé oublié/inconnu de l'actuelle génération de lecteurs, c'est une sorte de revanche posthume. Je l'ai rencontré une fois, chez Gérard Klein (je l'ai raccompagné à Roissy en voiture) et j'ai été bluffé par son intelligence et son humour, deux qualités remarquées par tous ceux qui l'ont connu. De Brunner, je cite souvent cet aphorisme, extrait de Stand on Zanzibar : "Coincidence : tu n'as pas fait attention à l'autre côté de l'événement".
Cette phrase est aussi simple qu'elle est profonde. Je devrais m'en inspirer au lieu de patauger dans des notions floues telles que "influence non-causale sur le réel". Mais comment rendre compte de ces mini-miracles qui se produisent sans cesse, sinon dans ma vie, du moins dans ma tête ?
Hier soir, par exemple. J'étais en train de corriger la préface que je viens d'écrire pour un recueil de nouvelles de Michel Jeury à paraître aux Moutons Electriques (oui, je sais… "Les visages de ses confrères accrochés aux murs évoquaient pour lui une scène de Jugement dernier. Tous plus prolifiques que lui, ils le poursuivaient de leurs regards réprobateurs et lui assénaient ses quatre vérités : pourquoi as-tu quitté ta table de travail ? Pourquoi perds-tu ton temps à écrire des préfaces ? Qu'est-ce que tu fous ici ?" (F. Weyergans, Trois jours chez ma mère, Folio 4560, p. 159.) J'étais donc en train de corriger le texte et en relisant un passage où j'attire l'attention sur les rapports mythiques entre Michel Jeury et Paul Bérato (qui, sous les pseudonymes de Paul Béra et Yves Dermèze, est l'un des trois "romanciers scientifiques" de l'entre-deux-guerres à avoir réussi sa reconversion dans la science-fiction, avec Maurice Limat et Yves Dermèze), j'ai éprouvé une pointe de mauvaise conscience que j'ai aussitôt associée au post de Bull, mardi dernier :
Est-ce que cela t'arrive de relire de vieux FNA comme les BR Bruss.
Et si oui, desquels te sens tu le plus "proche" ?
Je savais que j'avais répondu de façon un peu trop désinvolte à ce message, expédiant ma relation au vieux Fleuve Noir avec une légèreté que je suis, en fait, loin d'éprouver (certains ont des rapports compliqués avec leur mère ; moi, c'est avec la collection Anticipation). Je me suis donc relevé – il devait être 0030 – et suis allé piocher un FNA au hasard dans ma bibliothèque : Le sang vert de Maurice Limat, justement (n° 230). Je l'ai relu à toute vitesse. Comme beaucoup de Fleuve de cette époque, en particulier les B. R. Bruss, c'est une histoire en deux parties distinctes dont l'une éclaire l'autre plus ou moins directement. Le texte est à chier mais il y a de la force dans le thème. Partie 1 : un vaisseau se crashe sur une planète inconnue ; le seul survivant de l'équipage a subi, à son insu, une expérience qui le transforme en végétal ; partie 2 : n siècles plus tard, une expédition scientifique découvre un monde peuplé "d'androphytes" (joli néologisme pour une fois), des êtres mi-hommes mi-plantes qui descendent tous, évidemment, du rescapé originel, lequel survit encore sous la forme d'un arbre colossal de plusieurs centaines de mètres de haut. A la fin : baston générale. L'arbre se déracine volontairement et vient prêter main forte aux explorateurs, anihilant son propre peuple et produisant, juste avant de mourir, une ultime floraison : au dos de ses feuilles, son histoire est "imprimée" en lettres de sève.
a) En décembre, je suis invité par Jean-Luc Rivera au festival d'Elvain, en Bretagne, où je dois prononcer une allocution sur la transmigration secrète du merveilleux-scientifique dans le Fleuve Noir Anticipation.
b) Je suis à moitié breton ; un ami (qui n'est pas du tout du milieu SF mais a rencontré Jean-Luc Rivera récemment à l'hôpital Cochin où nous rendions visite au pauvre Jean Tag) m'a rapporté de la Trinité une bouteille de cidre fermier et pour en profiter, hier soir, j'ai cuisiné des galettes de blé noir à ma familia.
c) dans ma bande-dessinée La saison de la Coulœuvre, il y a des arbres vivants et l'un d'eux emploie même l'expression : "Nous autres, déracinés volontaires…"
d) la question de Zomver (dont le pseudonyme est, je suppose, une caricature phonétique de "petits hommes vers") concerne "Chasseurs de chimères", volume qui traite du roman scientifique de l'entre-deux-guerre et dont les dernières lignes mentionnent B. R. Bruss, Paul Béra et Maurice Limat
e) cette question est affichée en caractères verts
f) Coincidence : tu n'as pas fait attention à l'autre côté de l'événement.
Bonjour, les gens du dernier jour.