Serge Lehman répond à vos questions

Serge Lehman répond à vos questions sur le forum de mardi 23 au jeudi soir 25 octobre 2007.

Modérateurs : Eric, jerome, Charlotte

Lem

Message par Lem » mar. oct. 23, 2007 6:29 pm

Eric a écrit :Pour en revenir à Faust, le troisième tome va, il me semble, nécessiter plus de travail que les deux premiers, non ?
Et sinon, est-ce que tu dirais que Faust, est du cyberpunk ?
Le tome 3, je vais surtout lui donner l'épaisseur que j'ai dû sacrifier à l'époque pour cause de date-limite explosée (cent mille signes en une nuit ; "l'horreur ! l'horreur").

Et, non, je n'ai jamais vu Faust comme du cyberpunk et ça m'a toujours surpris qu'on range la série dans cette case. La théorie de l'informatique est un domaine qui me reste presque totalement inconnu et je n'ai été un punk que quarante-sept secondes, en 1979, le temps de bousiller ma première guitare électrique.

Lem

Message par Lem » mar. oct. 23, 2007 6:38 pm

Transhumain > "Comment l'esprit devint chameau, comment le chameau devint lion, comment le lion devint enfant". Oui. Une pure merveille.

Immortel > Etrange percept que le tien. Non, on ne s'en est pas rendu compte sur le moment. Mais si tu m'avais posé la question juste après l'enregistrement, j'aurais été très surpris de découvrir comment tu voyais les choses. J'étais dans un état de déréliction totale quand j'ai fait ce truc et je n'aspirais qu'à une chose : être Bilal – je veux dire, être en paix, calme, sûr de mon art. Un artiste au travail, point. Ce n'est apparemment pas le sort qui m'est réservé, OK, mais ça continue de me faire rêver. A défaut, oui, je prends le même plaisir à écrire de la théorie et de la fiction (et ces posts).

La physique des métaphores > c'est un état antérieur de la réflexion, que j'ai eu le sentiment de dépasser dans "la légende du processeur d'histoire" et "par-delà le vortex". Je continue de priser le vocabulaire scientifique pour sa précision et l'effet de réel très puissant qu'il produit. Je ne sais pas trop… L'un des projets en cours réglera peut-être cette question. En tout cas, merci d'être aussi attentif aux aléas de la théorie.

Lem

Message par Lem » mar. oct. 23, 2007 6:43 pm

Transhumain a écrit :sinon, le monolithe de 2001, c'est la métaphore de quoi ? Tu peux nous le dire, maintenant.
L'œil-caméra de Kubrick. Revois le film avec cette idée en tête et demande-toi dans quoi Poole plonge à la fin. C'est très étrange comme impression.

Lem

Message par Lem » mar. oct. 23, 2007 6:56 pm

Kibu > Messac est absolument majeur. Comme auteur, d'abord. Je crois que Quinzinzinzili vient d'être réédité et si les lecteurs qui fréquentent ce forum ne doivent retenir qu'une chose des échanges en cours, c'est ce conseil : achetez ce livre et lisez-le (en vous souvenant qu'il a été écrit en 1936). C'est un des classiques perdus de la SFF, un roman vraiment magnifique qui anticipe de dix ans Barjavel et le ringardise en même temps.
Mais Messac a une autre importance – quasi-uchronique, en fin de compte. Il aurait dû être le passeur, l'organisateur de l'âge d'or de la SFF. Il avait l'érudition, l'humour, les connections américaines, les entrées dans le monde universitaire, l'appareil éditorial (même modeste). Il avait tout sauf, peut-être la bonne orientation politique puisque je crois qu'il était anarchiste (et partisan d'un enseignement militant mais sur cet aspect de sa vie, je ne connais presque rien et préfère me taire). Sa collection spécialisée, les "Hypermondes" a été la première ! Il possédait aussi la rigueur intellectuelle pour faire le travail, comme le prouvent sa thèse ("de l'influence de la pensée scientifique sur le detective-novel", enfin je crois que c'est ça) et ses nombreux articles sur la proto-SF dans la revue "Les Primaires". Qu'il soit mort aussi tôt (dans les camps nazis) est vraiment dramatique ; mais il a eu un héritier plus ou moins direct : Jean-Jacques Bridenne, l'auteur du premier essai sur le roman scientifique français (en 1950) et éminent contributeur à la revue Fiction dans les années cinquante.
Lisez Messac.

Lem

Message par Lem » mar. oct. 23, 2007 7:13 pm

caliban a écrit :
Lem a écrit : Je fais l'hypothèse que la spécificité de la science-fiction tient à son usage littéral de la métaphore.
Une fiction spéculative strictement réaliste, « hard science », sans charge métaphorique, ne serait donc pas de la science-fiction ?
C'est le point le plus fin de la théorie, le plus délicat à expliquer. Quand Borgès dit que le monde est une bibliothèque infinie, c'est une métaphore. Quand il montre cette bibliothèque comme un objet matériel et que toutes les circonstances de son histoire sont dictées par ce statut, il sort du registre symbolique pour entrer dans quelque chose qui est très proche de la SF (en tout cas du point de vue de l'émotion produite sur le lecteur). A la limite, il pourrait basculer franchement dans la SF en allant plus loin encore dans le registre matériel, en passant à la physique ; ça donnerait, pourquoi pas, un texte assez proche de Rendez-vous avec Rama ou Cube (mais la physique a horreur de l'infini).

Oui, je sais, ce n'est pas très clair mais etc.

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Transhumain
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Message par Transhumain » mar. oct. 23, 2007 7:18 pm

Lem a écrit : La physique des métaphores > c'est un état antérieur de la réflexion, que j'ai eu le sentiment de dépasser dans "la légende du processeur d'histoire" et "par-delà le vortex". Je continue de priser le vocabulaire scientifique pour sa précision et l'effet de réel très puissant qu'il produit. Je ne sais pas trop… L'un des projets en cours réglera peut-être cette question. En tout cas, merci d'être aussi attentif aux aléas de la théorie.
Ouais, je citais celui-ci parce que je crois que c'est le plus pertinent dans ta tentative de définition de la SF. Le processeur d'histoires et Par-delà le vortex sont passionnants, et sont des pierres, très précieuses, fondatrices d'une véritable théorie de la SF, encore à construire, mais si l'on s'en tient à la SF, ils sont un peu moins satisfaisants. En tout cas, ils posent plus de problèmes qu'ils n'en résolvent ! Mais bon, je lâche ça comme ça, en ne les ayant lu qu'une fois, j'abuse. Excellente idée, ce projet de recueil d'articles.

Sur Bilal : en effet, je me suis mal exprimé : on voit bien qu'il envie ton aisance intellectuelle, et que toi, tu lui envies son aisance artistique. Dans cet entretien, Bilal c'est l'artiste, génial quand il crée mais incapable de théoriser ce qu'il fait (et d'ailleurs ce n'est pas son job), et toi, tu joues le rôle du théoricien, qui comprend l'art, mais soudain incapable d'en produire. Tu voulais être Bilal, et Bilal voulait être toi !

Lem

Message par Lem » mar. oct. 23, 2007 7:26 pm

Again (j'ai scrupule à laisser le truc en plan) :
caliban a écrit :Une fiction spéculative strictement réaliste, « hard science », sans charge métaphorique, ne serait donc pas de la science-fiction ?
En fait, je dis l'inverse : dans un récit de science-fiction, la métaphore est délivrée de toute charge métaphorique puisque ce qui conduit le récit, ce qui le guide et l'empêche de basculer dans la satire ou l'allégorie, c'est l'immersion dans un champ de signification purement physique. Ce qui arrive dans la bibliothèque de Babel (ou dans l'objet spatial Rama, ou dans le Cube) peut avoir une signification métaphorique mais l'auteur n'écrit pas en fonction de ce qu'il espère de ce point de vue, il n'écrit pas pour que ça l'arrange. Il choisit un objet et l'explore en se rapportant sans cesse à "ce qui se passerait si ça arrivait vraiment" (dans le monde physique). Si ce n'est pas le cas, on sent tout de suite que ce n'est pas de la SF.

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kibu
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Message par kibu » mar. oct. 23, 2007 8:33 pm

Messac est absolument majeur. Comme auteur, d'abord. Je crois que Quinzinzinzili vient d'être réédité et si les lecteurs qui fréquentent ce forum ne doivent retenir qu'une chose des échanges en cours, c'est ce conseil : achetez ce livre et lisez-le (en vous souvenant qu'il a été écrit en 1936). C'est un des classiques perdus de la SFF, un roman vraiment magnifique qui anticipe de dix ans Barjavel et le ringardise en même temps.
J'ai lu très récemment ce roman et j'en suis encore tout retourné. il y a une modernité dans le propos qui est tout simplement admirable. Evidemment qu'il faut le lire et le faire lire ! Sa réédition, c'est aux éditions L'arbre vengeur. Qu'on se le dise !
Il avait tout sauf, peut-être la bonne orientation politique puisque je crois qu'il était anarchiste (et partisan d'un enseignement militant mais sur cet aspect de sa vie, je ne connais presque rien et préfère me taire).
Oui.
Mais je ne comprends pas pourquoi cette orientation politique n'est pas la "bonne". En fait, Messac semble avoir été un personnage en marge des systèmes (bourgeois, universitaire...), militant effectivement pour l'éducation populaire (je crois savoir qu'il a collaboré pendant un temps à l'UP de Toulouse). Loin de moi l'idée de le réduire uniquement à une "couleur" politique mais quand même, il y a une tournure d'esprit qui me semble constituer un terrain favorable.
Evidemment, c'était aussi un personnage curieux, ouvert à la recherche scientifique, un franc-tireur à une époque où seules les humanités primaient dans l'enseignement (est-ce que cela a vraiment changé ?), un professeur ès-lettres capable d'écrire un pamphlet contre le latin (alors qu'il l'enseignait). Ses articles (Les romans de l'homme-singe viennent d'être réédités) sont effectivement passionnants et laissent entrevoir le rôle de précurseur qu'il aurait pu jouer.
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Epistolier
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Message par Epistolier » mar. oct. 23, 2007 10:50 pm

Bonjour Serge,

Il est 2307, j'ai fini d'avaler ces quatre premières pages de discussion.

Je sais que ça te fait déprimer, mais je vais quand même l'écrire : Tu es toujours aussi génial. Même dans une simple discussion sur un forum tu écrit de la science-fiction. Je suis toujours impressionné par ce que tu écrit et j'espère un jour comprendre tout ce que tu écrit (ou ton inconscient (ou le processeur) écrit à travers toi, enfin, ce que tu signes...)

Tu as vite rejeté la question sur la définition de la fantasy, mais tu t'attardes un peu sur la hard SF. J'ai entamé la dernière parution de Xavier Mauméjean, Ganesha, Mémoires de l'homme-éléphant, chez Mnémos. C'est un extraordinaire roman / fix-up de quatre nouvelles qui peut à tord être considéré comme de la hard SF ou de la fantasy, alors que c'est simplement de la SF avec le sense of wonder provoqué par la réification de la métaphore que tu as décrit dans tes articles. L'homme-éléphant, c'est Joseph Merrick, un homme du XIX° siècle atteint d'une étrange maladie. Les premiers mots du prologue "Je suis Ganesha, le dieu à tête d'éléphant, dieu de prospérité et d'abondance. " Celui qui ne connait pas l'homme-éléphant / Joseph Merrick peut facilement prendre au pied de la lettre cette phrase, et considérer cet ouvrage comme de la fantasy, un ordinaire récit d'un dieu dans le monde des hommes. Au contraire, celui qui connait trop Joseph Merrick ou apprend à le connaitre à travers le récit, peut ne voir qu'un homme avec un trouble mental, qui se prend pour une divinité, une façon comme une autre de compenser son altérité physique.

Or, si je donne autant de valeur à l'homme qu'au dieu dans "Joseph Merrick est le éléphant", je suis pris d'un vertige que je ne ressens absolument pas dans les deux cas précédents de fantasy et de hard science typique. Le désaveu de certains pour la fantasy ou pour la hard SF ne réside-t-il pas là ? Dans ce regard trop clinique, trop recette littéraire, qui nous fait dévier de ce qu'est vraiment l'oeuvre de SF.

Dans ce cas, faut-il vraiment avoir ce regard de superscientifique pour apprécier pleinement la science-fiction ? N'aurais-tu pas un peu de collyre pour que chacun oublie dans un premier temps la métaphore du monument érigé de 2001 ?

Lem

Message par Lem » mar. oct. 23, 2007 11:47 pm

caliban a écrit :Sérieux ? Tu as renoncé à contempler un jour un lever de Terre depuis le mont Olympe ? Tu n'es pourtant pas si vieux...
Non, je n'ai pas renoncé.
Je suis encore prêt à partir pour ça.

Lem

Message par Lem » mar. oct. 23, 2007 11:51 pm

kibu a écrit :Jje ne comprends pas pourquoi cette orientation politique n'est pas la "bonne".
Ce n'était évidemment pas une remarque sur les valeurs, mais sur la capacité de survie.
Anar dans l'Europe stalino-nazie ? Brr.

Lem

Message par Lem » mer. oct. 24, 2007 12:13 am

Epistolier a écrit :Je sais que ça te fait déprimer, mais je vais quand même l'écrire…
Non non, ce qui me déprime, c'est le n manquant remarqué par orcusnf. Les compliments, je prends !

Je n'ai pas lu le Mauméjean alors je vais avoir du mal à te suivre mais comme on se connaît un peu, ceci : on ne devrait jamais laisser une étiquette (a fortiori une étiquette commerciale) s'interposer entre nos expériences de lecture et nous. Mais comme c'est impossible, alors, il faut apprendre à les utiliser pour redécouper, catégoriser et enrichir l'expérience par permutation du point de vue. C'est très intéressant de lire un roman et de changer d'optique en cours de route : un chapitre comme si c'était de la Fantasy, un autre comme si c'était de la hard-science… Ce qui est intéressant, c'est la tension. Par exemple, celle qui existe entre le pôle du religieux et le pôle de la folie. Ne pas choisir. Avancer en gardant ses distances des deux côtés. Observer ce qui se passe. Faire de la superscience, oui.
(Et je remarque par ailleurs qu'un autre auteur important a utilisé la double figure (et le double statut narratif) de Merrick-Ganesha il y a une dizaine d'années : Alan Moore dans "From Hell".)

Sur ce, je vais dormir un peu.
A demain, tous.

Soleil vert
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Message par Soleil vert » mer. oct. 24, 2007 12:42 am

Salut Lem,
Je rejoins Epistolier dans son appréciation.

Tu écris "dans un récit de science-fiction, la métaphore est délivrée de toute charge métaphorique"
Est ce à dire que la SF serait une littérature qui se priverait d'une partie de ses moyens d'expression (en tant que littérature) au moment même ou elle se constitue ?

Sur le fond :
- L'exemple de "2001" est bienvenu.Dans la litérature de Sf on trouve beaucoup d'artefacts et ceci va dans le sens de la "reification"
- Mais inversement la métaphorisation existe bien en SF.Son utilisation rappelle celui effectué par la science.Il s'agit d'une fonction cognitive.
Ainsi dans la littérature cyberpunk (comme dans la réalité quotidienne aujourd'hui), on utilise des souris, on se promène (on surfe !)sur la toile, on se protège des virus ...etc

Revenons sur l'exemple de la Bibliothèque de Babel.En disant que Borgès transforme cette métaphore en objet matériel, un linguiste dirait qu'on coupe le signifiant de son signifié, autrement dit on perd la signification première.
N'est ce point là que réside la beauté des artefacts dans la science-fiction ? Des objets monstrueux, inaccessibles au sens ?

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kibu
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Message par kibu » mer. oct. 24, 2007 7:38 am

Merci pour l'éclaircissement.

Autre question :
A propos de votre nouvelle Nulle part à Liverion, pensez-vous comme Oscar Wilde que " Une carte du monde qui n’inclurait pas l’Utopie n’est pas digne d’un regard, car elle écarte le seul pays auquel l’humanité sans cesse aborde" ?
(En fait, dans votre nouvelle l'utopie reste en-dehors de la carte mais elle existe au moins dans l'esprit du narrateur. )
A l'envers, à l'endroit

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Alcor
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Message par Alcor » mer. oct. 24, 2007 8:58 am

Hello Mister Lem,

puisqu'il est ici question de fiction spéculative, pourriez-vous me donner votre sentiment quant à l'oeuvre de l'anglais J.G. Ballard ?

Merci...

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