Qu'est-ce que c'est que cette histoire de réchauffement planétaire ? On est à peine mi-octobre et il fait glacial. La journée démarre néanmoins de façon typique. Pendant que ma fille émerge devant son bol de Nesquik, je lui fais réviser son vocabulaire d'allemand ; elle l'a appris hier soir en trois minutes montre en main, en jetant à peine un coup d'œil à son cahier de cours (je me demande si elle n'a pas une mémoire eidétique). Elle a choisi de faire allemand en plus de l'anglais pour sa rentrée en sixième parce que, depuis l'été dernier et sous l'influence d'une cousine un peu plus âgée, elle est devenue – prévisiblement – fan de Tokyo Hotel. J'ai de gros doutes, parfois, sur la portée de l'éducation esthétique que je lui donne mais, bon, on arrive encore à hurler et gesticuler comme des idiots autour du point d'eau familial : Sonic Youth, Leftfield, NiN et Soul Coughing. Et la voilà qui s'en va dans la nuit non-réchauffée, cartable au dos. Le tour de Corinne vient ensuite ; aujourd'hui, elle reste sur Paris (Corinne est, la plupart du temps, par monts et par vaux sur toute la moitié nord de la France). Ça n'a rien de rationnel mais j'aime savoir que ma femme n'est pas loin, que si j'en ai envie, il me suffit de prendre le métro pour aller déjeuner avec elle à midi. Ça n'arrivera pas, cependant. J'ai du travail par-dessus la tête et cette conversation à entretenir. Qu'ai-je lu, hier soir, avant de m'endormir ? Quelques pages des
Langues du Paradis de Maurice Olender (Points Seuil / Essais n° 294), un livre intéressant mais qui peine à décoller. Il est 1030, j'essaie de retarder le moment de la première cigarette. Si je ne m'étais pas claqué, à Cahors, la semaine dernière, j'irais courir un peu au Jardin des Plantes ce qui me permettrait de rester smoke-free jusqu'à midi au moins. Mais cette diversion m'est refusée et du coup je bois du thé. Sur France-Culture, un peu plus tôt, émission peu passionnante sur les débuts de la télévision en couleurs en 1967. Une anecdote amusante, quand même : pour souligner l'importance politique de l'événement, des officiels étaient présents sur le plateau de la deuxième chaîne le jour du passage à la quadrichromie ; mais comme ils étaient tous vêtus de gris et de noir, on n'a pratiquement pas vu de différence à l'écran ; Robert Sheckley aurait apprécié le gag.)
Salut, les gens du deuxième jour.
Soleil vert a écrit :Est ce à dire que la SF serait une littérature qui se priverait d'une partie de ses moyens d'expression (en tant que littérature) au moment même ou elle se constitue ?
Oui. Je replace ici un fragment d'Orson Scott Card que j'ai déjà cité dans "Par-delà le vortex" : " C’est l’une des grandes différences entre les lecteurs de SF et les autres, [explique Card dans un essai à l’usage des écrivains débutants]. Quand ils sont confrontés à une image linguistique inhabituelle, les deux groupes se demandent ce que l’auteur essaie de dire. Mais les lecteurs de SF s’attendent à ce que le terme soit interprété de façon littérale, qu’il désigne une partie concrète du monde où se déroule l’histoire. Les lecteurs non-SF, eux, perçoivent le terme comme une pure métaphore, l’expression d’une attitude nouvelle ou d’une redescription d’un élément connu du monde connu. Quand un auteur de SF écrit : “Elle marchait à pas lourds, mécaniques, vers la porte”, il est fort possible que le personnage possède des jambes artificielles, alors que pour l’auteur de littérature générale, ce sera une façon de caractériser sa façon de marcher, rien de plus. "
J'ai l'intuition que ce statut différentiel de la métaphore est l'une des raisons pour lesquelles la science-fiction (comme texte) ne passe pas auprès des lecteurs de littérature générale, souvent : le regard ne porte pas au bon endroit. En ce sens, la SF (qui est bien "de la littérature" pour répondre à une question posée plus haut) est aussi une "antilittérature". Récemment encore, il m'est arrivé d'employer l'expression : antimatière littéraire mais elle est trop facile à entendre sur le plan des valeurs.
Soleil vert a écrit :En disant que Borgès transforme cette métaphore en objet matériel, un linguiste dirait qu'on coupe le signifiant de son signifié, autrement dit on perd la signification première. N'est ce point là que réside la beauté des artefacts dans la science-fiction ? Des objets monstrueux, inaccessibles au sens ?
Oui. Le monstrueux, l'énorme, l'obscur, l'inachevé (qui est l'autre nom de l'infini), c'est toute l'esthétique du Sublime opposée à celle du Beau et il est tentant de voir dans cette opposition un modèle explication pour l'opposition SF / littérature. Mais quelle est la signification première de "bibliothèque infinie" ? De quelle signifié est-ce le signifiant ? C'est toute la question. (Et sur les métaphores du continuum informatique : il faut que j'y réfléchisse.)
Kibu > Dans une autre novella, "Superscience", j'ai écrit ça : "Jack Coolidge se demandait soudain comment son amour d'enfance pour les cartes, dont le pouvoir magique l'avait guidé dans les archives de Gotham, avait pu le pousser à rêver d'un monde où il n'y aurait plus rien à cartographier." Il me semble que dans le monde d'aujourd'hui, une énigme durable est une utopie. La proposition inverse fonctionne aussi. En d'autres termes : tout ça n'est pas très clair etc.
Alcor > Hello. Je ne suis pas un inconditionnel de Ballard (je trouve, pour rester dans mon petit tropisme théorique, que dans certains textes, on sent trop la métaphore – dans Salut l'Amérique, par exemple) mais IGH, L'île de béton, Vermillion Sands et Les chasseurs de Vénus sont de purs chefs d'œuvre.