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Posté : dim. oct. 05, 2008 12:34 pm
par Xavier Mauméjean
systar a écrit :Epokhè, réduction: J'explique pour que tout le monde suive nos allusions.

Husserl, puisque c'est lui auquel Xavier se réfère, a voulu construire une science totalement objective et rigoureuse de ce qui est, des choses, mais en étudiant surtout la façon dont elles apparaissent, dont elles se donnent à voir. C'est pour cela que l'on parle d'une science des "phénomènes", ou phénoménologie.
Husserl a bâti une méthode, pour obtenir des résultats satisfaisants en phénoménologie.
Cette méthode se fonde entre autres sur deux grandes opérations de l'esprit que le théoricien phénoménologue se doit de mettre en oeuvre.
La première opération est la réduction eidétique, ou réduction aux essences.
Il s'agit de dire: intéressons-nous à ce qui, dans les choses, est le plus stable, le plus invariant: non pas leur particularité, mais leur "essence" (eidos, en grec, d'où le terme "eidétique").

Cette première réduction, ou reconduction du regard du théoricien vers ce qui est le plus essentiel, permet de mettre en oeuvre une première méthode: la variation eidétique. Elle consiste, pour décrire un objet, à l'inspecter sous une multitude de facettes, et à voir se dégager ce qui, dans cette variété de facettes, ne change jamais. On dégage donc un invariant essentiel, un invariant "eidétique", et c'est cela que décrit la phénoménologie.

Mais Husserl a voulu perfectionner sa méthode. Il était bien conscient que, pour être totalement objectif, le regard du phénoménologue devait être libre de tout préjugé, libre de toute opinion préconçue sur les phénomènes du monde, ou sur le monde lui-même. Comment s'en débarrasser, pour retrouver un regard parfaitement neutre, parfaitement premier, pour voir les choses telles quelles, et non comme filtrées par mes préjugés ou mes opinions?
Réponse: en faisant comme si le monde n'existait pas. On se mettra donc à décrire quelque chose dont on ne sait pas s'il existe ou non, et on verra alors apparaître d'autant plus facilement le rapport pur qu'une conscience tisse toujours avec son objet.
Cette deuxième opération est encore une reconduction du regard, donc littéralement une "réduction". C'est la deuxième de la méthode phénoménologique. Puisqu'elle consiste, en posant que le monde n'est peut-être pas réel, que son existence doit être mise entre parenthèses, à suspendre ses propres jugements sur le réel, on parle d'épokhè phénoménologique (épokhè, littéralement, c'est l'arrêt, la coupure).

Voilà voilà...
Superbement présenté. Ce qui est dingue, c'est que les pilotes de chasse (au moins ceux de la seconde Guerre mondiale, les autres je ne sais pas) passent par la première phase, voire les deux. Jusqu'au cockpit qui pourrait symboliser la sphère de Husserl. C'est hallucinant.

Posté : dim. oct. 05, 2008 12:39 pm
par Transhumain
Salut Xavier,
Bon rétablissement. Pas encore lu Liliputia.
C'est intéressant, ce que tu dis sur la déambulation, dans ton texte sur l'effondrement de la salle de Scopas, et dans tes réponses ici-même. On déambule dans le Londres victorien, dans les aventures rocambolesques de la Ligue, à Babylone, à Dreamland ou dans un appartement new-yorkais, qui apparaissent en effet comme la spatialisation d'espaces mentaux - ceux de tes personnages, comme dans Gotham, ou les tiens (ou ceux de ton double), comme dans Car je suis légion - mais surtout cette marche erratique se déploie jusque dans la construction de tes romans, qui ne sont pas ceux d'un scénariste, mais d'un rêveur - ils ne tendent vers aucun but, ils ne sont pas des mécaniques implacables (d'où sans doute, souvent, à la lecture, mon sentiment d'inachèvement, de frustration, voire parfois de départ en vrille : quand on erre, parfois l'on se perd...). Nietzsche a dit quelque chose comme : "les pieds légers sont indissociables de l'idée même de Dieu". Il parlait de la danse, mais peu importe. Errer (dans une ville, dans un crâne, dans un récit, dans un livre) serait donc le meilleur moyen, en ce qui te concerne, de trouver Dieu, au moins métaphoriquement, disons l'essence des choses ? (D'ailleurs, n'est-ce pas ce qui se trame au coeur de Car je suis légion ?...)
Où l'on rejoint, du reste, ce que tu viens de révéler sur la réduction éidétique des pilotes. Ecrire de la fiction consisterait-il donc pour toi à donner mille variations d'une même représentation du monde, pour en déduire l'essence ?

Posté : dim. oct. 05, 2008 12:39 pm
par systar
Xavier Mauméjean a écrit :
Superbement présenté. Ce qui est dingue, c'est que les pilotes de chasse (au moins ceux de la seconde Guerre mondiale, les autres je ne sais pas) passent par la première phase, voire les deux. Jusqu'au cockpit qui pourrait symboliser la sphère de Husserl. C'est hallucinant.
sur l'objet qui finalement ne se présente jamais pleinement et entièrement au regard:
http://systar.hautetfort.com/archive/20 ... erl-1.html (il y en a 6 ou 7 pages web!)

Tiens, d'ailleurs...
Es-tu husserlien jusqu'à la coupe de la barbe? :wink:
Image Image

(Pardon, Xavier)

Posté : dim. oct. 05, 2008 12:46 pm
par Xavier Mauméjean
Transhumain a écrit :Salut Xavier,
Bon rétablissement. Pas encore lu Liliputia.
C'est intéressant, ce que tu dis sur la déambulation, dans ton texte sur l'effondrement de la salle de Scopas, et dans tes réponses ici-même. On déambule dans le Londres victorien, dans les aventures rocambolesques de la Ligue, à Babylone, à Dreamland ou dans un appartement new-yorkais, qui apparaissent en effet comme la spatialisation d'espaces mentaux - ceux de tes personnages, comme dans Gotham, ou les tiens (ou ceux de ton double), comme dans Car je suis légion - mais surtout cette marche erratique se déploie jusque dans la construction de tes romans, qui ne sont pas ceux d'un scénariste, mais d'un rêveur - ils ne tendent vers aucun but, ils ne sont pas des mécaniques implacables (d'où sans doute, souvent, à la lecture, mon sentiment d'inachèvement, de frustration, voire parfois de départ en vrille : quand on erre, parfois l'on se perd...). Nietzsche a dit quelque chose comme : "les pieds légers sont indissociables de l'idée même de Dieu". Il parlait de la danse, mais peu importe. Errer (dans une ville, dans un crâne, dans un récit, dans un livre) serait donc le meilleur moyen, en ce qui te concerne, de trouver Dieu, au moins métaphoriquement, disons l'essence des choses ? (D'ailleurs, n'est-ce pas ce qui se trame au coeur de Car je suis légion ?...)
Où l'on rejoint, du reste, ce que tu viens de révéler sur la réduction éidétique des pilotes. Ecrire de la fiction consisterait-il donc pour toi à donner mille variations d'une même représentation du monde, pour en déduire l'essence ?
Bonjour Olivier,
Rien à changer, "sans ajout ni retrait" diraient Jean ou Ezéchiel...Je me retrouve complètement dans ce que tu dis.

Posté : dim. oct. 05, 2008 12:50 pm
par Xavier Mauméjean
systar a écrit :
Xavier Mauméjean a écrit :
Superbement présenté. Ce qui est dingue, c'est que les pilotes de chasse (au moins ceux de la seconde Guerre mondiale, les autres je ne sais pas) passent par la première phase, voire les deux. Jusqu'au cockpit qui pourrait symboliser la sphère de Husserl. C'est hallucinant.
sur l'objet qui finalement ne se présente jamais pleinement et entièrement au regard:
http://systar.hautetfort.com/archive/20 ... erl-1.html (il y en a 6 ou 7 pages web!)

Tiens, d'ailleurs...
Es-tu husserlien jusqu'à la coupe de la barbe? :wink:
Image Image

(Pardon, Xavier)
Oui, je tente de lancer un groupe, Les eidétiques barbes. Forcément rock progressif.

Posté : dim. oct. 05, 2008 12:56 pm
par systar
Xavier Mauméjean a écrit :
Oui, je tente de lancer un groupe, Les eidétiques barbes. Forcément rock progressif.
Eric, ça te tente?

Posté : dim. oct. 05, 2008 12:56 pm
par Xavier Mauméjean
Transhumain a écrit :Salut Xavier,
Bon rétablissement. Pas encore lu Liliputia.
C'est intéressant, ce que tu dis sur la déambulation, dans ton texte sur l'effondrement de la salle de Scopas, et dans tes réponses ici-même. On déambule dans le Londres victorien, dans les aventures rocambolesques de la Ligue, à Babylone, à Dreamland ou dans un appartement new-yorkais, qui apparaissent en effet comme la spatialisation d'espaces mentaux - ceux de tes personnages, comme dans Gotham, ou les tiens (ou ceux de ton double), comme dans Car je suis légion - mais surtout cette marche erratique se déploie jusque dans la construction de tes romans, qui ne sont pas ceux d'un scénariste, mais d'un rêveur - ils ne tendent vers aucun but, ils ne sont pas des mécaniques implacables (d'où sans doute, souvent, à la lecture, mon sentiment d'inachèvement, de frustration, voire parfois de départ en vrille : quand on erre, parfois l'on se perd...). Nietzsche a dit quelque chose comme : "les pieds légers sont indissociables de l'idée même de Dieu". Il parlait de la danse, mais peu importe. Errer (dans une ville, dans un crâne, dans un récit, dans un livre) serait donc le meilleur moyen, en ce qui te concerne, de trouver Dieu, au moins métaphoriquement, disons l'essence des choses ? (D'ailleurs, n'est-ce pas ce qui se trame au coeur de Car je suis légion ?...)
Où l'on rejoint, du reste, ce que tu viens de révéler sur la réduction éidétique des pilotes. Ecrire de la fiction consisterait-il donc pour toi à donner mille variations d'une même représentation du monde, pour en déduire l'essence ?
Et cette question de la variation relève aussi de la démarche concrète. Par exemple La Vénus anatomique qui a fait l'objet d'une nouvelle, d'une pièce, d'un roman. Que l'on se rassure, je n'irai pas jusqu'au kabuki, mais je revendique cette possibilité de varier autour d'un même objet. Avec des esquisses, des oeuvres plus ou moins achevées, on l'admet bien des peintres.

Posté : dim. oct. 05, 2008 1:02 pm
par Goldeneyes
Xavier Mauméjean a écrit : Je ne fume pas dans la vie, sauf quand j'écris, et là je dézingue un paquet de clopes en trois heures.
Certains en sont morts... Trop tôt... :(

Posté : dim. oct. 05, 2008 1:10 pm
par Xavier Mauméjean
Goldeneyes a écrit :
Xavier Mauméjean a écrit : Je ne fume pas dans la vie, sauf quand j'écris, et là je dézingue un paquet de clopes en trois heures.
Certains en sont morts... Trop tôt... :(
Yop. j'avais un prof d'épistémologie qui se cognait ses deux paquets par jour. Un jour, vers la cinquantaine, il a décidé d'avoir une vie saine. Jogging, ce genre de choses, et la possibilité de faire un jour du Delta plane. Il s'est étalé comme une bouse. Alors oui, si l'on s'en tient à l'effet papillon ou à Leibniz, fumer l'a tué.

Posté : dim. oct. 05, 2008 1:13 pm
par systar
Xavier Mauméjean a écrit :
Goldeneyes a écrit :
Xavier Mauméjean a écrit : Je ne fume pas dans la vie, sauf quand j'écris, et là je dézingue un paquet de clopes en trois heures.
Certains en sont morts... Trop tôt... :(
Yop. j'avais un prof d'épistémologie qui se cognait ses deux paquets par jour. Un jour, vers la cinquantaine, il a décidé d'avoir une vie saine. Jogging, ce genre de choses, et la possibilité de faire un jour du Delta plane. Il s'est étalé comme une bouse. Alors oui, si l'on s'en tient à l'effet papillon ou à Leibniz, fumer l'a tué.
De toute façon, pour aimer l'épistémologie (je prépare là maintenant tout de suite mon cours sur la "démonstration"), il doit falloir ne pas aimer beaucoup la vie.
(je suis déjà dehors)

Posté : dim. oct. 05, 2008 1:40 pm
par Goldeneyes
Je pensais à Gemmell. Une cigarette par ligne (oui... Il fumait vite...). Mort à la ligne, donc.

Posté : dim. oct. 05, 2008 1:47 pm
par Xavier Mauméjean
Goldeneyes a écrit :Je pensais à Gemmell. Une cigarette par ligne (oui... Il fumait vite...). Mort à la ligne, donc.
"Nulla die sine linea" disait Horace. Ou alors c'était Tony Montana, je ne sais plus...

Posté : dim. oct. 05, 2008 2:21 pm
par Goldeneyes
Non. C'est du Pascal Cognard :wink:.

Posté : dim. oct. 05, 2008 3:11 pm
par k_tastrof
Pour rester dans le thème des loisirs, quels sont les tiens, Xavier ? Un sport ? une activité manuelle? Nourrissent-ils ton œuvre ?

Quels sont les ouvrages existants que tu aurais voulu avoir écrit ?

Écrire sous ton vrai nom est un choix pesé ?

Kt

Posté : dim. oct. 05, 2008 3:36 pm
par Xavier Mauméjean
k_tastrof a écrit :Pour rester dans le thème des loisirs, quels sont les tiens, Xavier ? Un sport ? une activité manuelle? Nourrissent-ils ton œuvre ?

Quels sont les ouvrages existants que tu aurais voulu avoir écrit ?

Écrire sous ton vrai nom est un choix pesé ?

Kt
A une époque, je faisais beaucoup de sport, puis plus du tout, et ça se voit. Je n'ai pas de loisirs particuliers. J'aime bien regarder des séries en DvD, jouer avec ma fille, des trucs simples.

Je n'ai pas réfléchi à écrire sous pseudo ou pas.

J'aime bien la question sur les ouvrages existants, même si il y a des livres que l'on vénère mais qu'il ne viendrait jamais à l'esprit de revendiquer, même en rêve. Tu te vois dire, "Ouais, bah, ça m'aurait éventuellement botté d'écrire l'Iliade".Je trouve l'histoire de King Kong sublime, Cocteau avait dit que c'était le plus beau film poétique jamais réalisé. Voilà un vrai mythe contemporain.
Il y a un court texte qui m'aurait plu, une nouvelle de Richard Connell, The Most Dangerous Game, "Les chasses du comte Zaroff", parce qu'en quelques pages c'est la quintessence du roman d'aventures. Sinon j'aurais bien aimé écrire un livre univers pour la jeunesse si j'avais vécu il y a cent ans.