Wandhero a écrit :Alors est-ce que la première personne te vient naturellement ou s'impose-t-elle selon la nature du récit que tu veux raconter ?
Je l'utilise surtout pour la jeunesse, de façon quasi exclusive, et j'ai longtemps pensé que c'était la seule solution, que je ne pouvais procéder autrement. Dernièrement pourtant, j'ai commencé deux trilogies écrites à la troisième personne et, bizarrement, ça marche aussi. Ce glissement traduit un changement d'approche personnel que je commence tout juste à appréhender en termes clairs. Toutes ces mutations sont très difficiles à analyser dans le feu de l'action.
Wandhero a écrit :
Ah, voilà. Tu semblais dire plus tôt que ton approche de l'écriture est plus scripturale que structurelle, pourtant tu mets l'emphase sur le contrôle des persos. En principe, ça devrait te mener à plein de cul-de-sacs narratifs (par souci de cohérence, puisque, par définition, le récit va chambouler la vie des individus mis en scène, individus qui doivent réagir selon leur propre logique interne). Comment t'en sors-tu pour équilibrer plausibilité psychologique de tes persos et efficacité de l'intrigue ? (je pense que tu as donné des éléments quand tu dis que tu commences à créer le bouquin en tâche de fond dans ta tête cinq ans avant que tu ne commences à l'écrire, donc, c'est comme si tu laissais ton inconscient tout digérer avant que ton moi conscient n'intervienne avec le texte final)
Selon la terminologie Berthelot, je suis carrément structurel - impossible de commencer un roman sans savoir où je vais et dans quels hôtels je vais m'arrêter. Je ne me suis jamais posé, en revanche, de questions concernant la plausibilité psychologique des personnages, comme tu dis : je suppose/espère que ça vient tout seul, sans doute grâce au travail de maturation que tu évoques.
A l'orée 2000, je m'étais procuré le
Story de McKee pour essayer de (j'allais écrire "histoire de") faire comme un grand - i.e. me soucier enfin des actes, des sous-intrigues, des résolutions, etc. - mais je l'ai rapidement refermé parce que 1) j'étais incapable d'appliquer les préceptes suggérés 2) ça me saoulait 3) je me suis rapidement rendu compte qu'aucun des livres que je chérissais (de
Mon chien stupide à
Glamorama en passant par
Le Mage ou
Chroniques de l'oiseau à ressort) ne respectait la moindre des consignes sus-citées.
Wandhero a écrit :
Et puis une question différente : quelle est l'influence du cinéma que tu aimes sur ce que tu écris ? Je pense notamment à Lynch, bien sûr.
L'influence des autres cinéastes est, j'imagine, quasi nulle. Celle de Lynch est énorme. Lost Highway a terriblement inspiré
Sayonara Baby et a même eu droit à quelques pages dans
Le Purgatoire des sens de Guy Astic, un livre consacré au film. C'est avec
Sayonara Baby que j'ai appris à ne plus penser un roman comme une construction purement euclidienne. Ça a l'air de rien mais ça a été très difficile : une part de l'écrivain que j'étais alors désirait à tout prix rester dans l'univers palpable - gauche, droite, haut, bas, fragile.
Plus tard, j'ai commencé à écrire
La Mémoire du vautour, et INLAND EMPIRE (quel titre fabuleux) est sorti dans la foulée, suscitant une incompréhension assez généralisée (il a fait dix fois moins d'entrée que Mullholland Drive) au moment même où mon propre bouquin (qui devait s'appeler
Paysage avec vautour) récoltait une poignée de critiques dubitatives.
Loin de moi la prétention de comparer mon livre au film mais il se trouve que j'ai vécu l'insuccès de
La Mémoire... (disons, les critiques contrastées, il y a quand même eu de très belles choses écrites dessus, notamment par Olivier Noël) comme un événement libérateur : enfin, j'écrivais quelque chose de personnel, enfin, j'avais posé les fondations de mon univers, d'un empire intérieur. Deux ans après, je peux regarder celui que j'étais alors avec un sourire attendri parce que, bien sûr, rien n'est jamais aussi simple. Mais j'ai toujours vu Lynch comme une espèce de parrain sévère et inaccessible. A Los Angeles il y a deux ans, j'ai trouvé sa maison (ça n'a pas été simple) et s'il avait été là, j'aurais sonné, je me serais couvert de ridicule sans doute mais j'aurais sonné. (Il faut imaginer cette baraque, planquée dans un jardin luxuriant au détour d'une allée sinueuse, elle-même perdue dans le dédale des ramifications infinies de Mullholland Drive, il faut se figurer les caméras, le vent tiède dans les arbres, le silence inquiétant)... Lorsque Lynch est venu à Paris l'année dernière, j'ai enfin eu l'occasion de lui glisser quelques mots et de lui donner mon livre - c'était très important pour moi, une manière de boucler la boucle.