Stéphane Beauverger online

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sTeF

Message par sTeF » mar. mars 31, 2009 3:37 pm

petit intermède musical et pause miam miam ^^

Je reviens bientôt 8)

petit air de circonstance

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Mélanie
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Message par Mélanie » mar. mars 31, 2009 4:12 pm

sTeF a écrit :Oui, absolument, c'est page 233 du Déchronologue, en intro du chapitre IV, que je cite ces paroles extraites de la chanson "Folsom Prison Blues" qui me percutent l'imagination et que je vais me permettre de la citer ici :
When I was just a baby, my mama told me "Son
Always be a good boy, don't ever play with guns"
But I shot a man in Reno, just to watch him die"


(tout est dans le "just to watch him die" ^^)

Tu pourrais peut-être nous rappeler dans quel cadre tu as utilisé cette chanson, toi, si le texte est publié et que ce n'est pas top secret ^^
C'est dans une nouvelle qui s'intitule "Le jardin des silences", parue dans une revue au tirage assez confidentiel qui s'appelle Et donc, à la fin... Un personnage s'interroge sur les circonstances qui en ont poussé un autre à commettre un meurtre aux motivations incompréhensibles, et évoque en passant la citation "I shot a man in Reno, just to watch him die". Je suis fascinée par l'impact de cette phrase qui est pourtant toute simple en apparence (mais juste en apparence). Du coup, la coïncidence ne m'a pas vraiment étonnée.

Et merci pour l'intermède musical, au passage.

Pascal
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Message par Pascal » mar. mars 31, 2009 4:17 pm

sTeF a écrit :A propos de références croisées, j'ai appris hier par l'intermédiaire de l'immense Alice Abdaloff que "Flow my Tears" de John Dowland avait grandement influencé K. Dick (en fait, j'en avais effectivement entendu parler en me documentant sur Dowland, mais je n'en sais pas plus). Si quelqu'un en sait plus à ce sujet, et de quelle manière cet air à trouvé sa place dans l'œuvre de Dick, je suis preneur 8)
Flow my Tears, the Policeman Said, I guess...

sTeF

Message par sTeF » mar. mars 31, 2009 4:41 pm

Pascal a écrit :
sTeF a écrit :A propos de références croisées, j'ai appris hier par l'intermédiaire de l'immense Alice Abdaloff que "Flow my Tears" de John Dowland avait grandement influencé K. Dick (en fait, j'en avais effectivement entendu parler en me documentant sur Dowland, mais je n'en sais pas plus). Si quelqu'un en sait plus à ce sujet, et de quelle manière cet air à trouvé sa place dans l'œuvre de Dick, je suis preneur 8)
Flow my Tears, the Policeman Said, I guess...
Merci, Pascal.
Un texte "charnière" de l'œuvre dickienne, donc, semble-t-il.
Bon, quelque chose me dit qu'il va falloir que je mette la main dessus, maintenant.

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Transhumain
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Message par Transhumain » mar. mars 31, 2009 5:00 pm

sTeF a écrit :[Et bien, à titre d'exercice, j'ai essayé de me confronter à l'écriture de texte "érotique" (sans objectif de publication, donc). J'ai trouvé ça affreusement difficile. En gros, j'ai réussi à repérer deux erreurs fondamentales à ne pas commettre (mais là, on est dans le registre du ressenti personnel, pas de la loi du genre) :
- l'abus de circonvolution et de synonymes, tendance "et elle saisit délicatement le bâton de plaisir, la vigoureuse baguette de jade, pour l'amener à visiter sa grotte humide/son portefeuille à moustaches/sa boîte à surprises";
- l'abus de vulgarité ou de termes trop crus : "et il lui [tuuuuuuuuuuuut] sa [wiiiiiiiiiiizzzz] dans sa [scrouiiiiiii] (...)"

Bref, dans ma trilogie, j'ai salement transpiré à chaque fois qu'il m'a semblé nécessaire de décrire une scène de fesses (oui, parce que, corolaire à tout ça : la découverte, aussi, que tant qu'on peut s'en passer, il me semble que ça vaut mieux, et que si ça n'apporte rien à l'histoire ou aux personnages, les "salades de gens" sont parfaitement superfétatoire). Dans "Le Déchronologue", j'ai joué sur le côté truculent et rabelaisien de Villon pour décrire les gourmandises d'une scène avec quelques mignonnes au premier étage d'une taverne, mais j'en suis resté aux évocations périphériques et tonitruantes.
Passionnant sujet. J'ai une hypothèse quant à cette difficulté de l'érotisme, j'aimerais savoir ce que tu en penses.

D'abord il y a cette idée que Bataille exprime (si j'ai bonne mémoire) dans L'Erotisme, à savoir qu'il serait indissociable du désir absolu de combler sa solitude, de se lier à un autre être. Dès lors, il me semble que si ton personnage n'a pas ce désir, la scène ne fonctionnera pas. En revanche, certains auteurs le font sciemment : ça donne du sexe "clinique", froid, fonctionnel (on voit beaucoup ça chez les anglo-saxons, par exemple Ballard dans Crash!, ou Bret Easton Ellis), ou bien des textes où tel ou tel aspect de la sexualité (rapports de force, dimension politique, etc.) est disséqué, mais s'il s'agit de transmettre l'essence érotique, c'est raté.

Par ailleurs, il y a le fait que notre rapport au sexe est quelque chose de très intime, qui ne se vit généralement que dans la sphère très privée du couple. La psychanalyse a dû se pencher sur la question, je suppose : de même que personne (enfin je crois) n'imagine ses parents en train de faire l'amour, une scène érotique écrite atteindra difficilement son objectif. C'est un rapport direct à l'autre (Lévinas a écrit là-dessu je crois), et un livre (à fortiori un film, qui en plus impose les intrus que sont les corps des acteurs) ne peut pas abolir cette distance qu'il y a entre lui et nous.

Ce qui importe donc, ce n'est pas l'acte, mais ce qui le gouverne : le désir. Réussir une scène érotique exigerait donc, selon cette hypothèse, de rendre désirable un personnage, ce que réussit d'ailleurs Nabokov avec Lolita et Ada... Mais bon, n'est pas Nabokov qui veut. Autrement dit, je crois que tu as mille fois raison quand tu écris qu'il vaut mieux s'abstenir (comme le pape, tiens :lol: ) s'il n'y a pas nécessité absolue.

Tu en penses quoi ?

PS : je t'amène le Dick dès que possible !

Alcor
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Message par Alcor » mar. mars 31, 2009 5:40 pm

sTeF a écrit : Hello Alcor ! :)
(Référence à Goldorak ? Ou je suis juste un gros geek ?)
(J'ai toujours préféré ce second couteau d'Alcor à l'omniprésent Actarus. Je l'imaginais volontiers jaloux du robot et du prestige du prince d'Euphore, ainsi que de sa romance avec Vénusia. Son côté chien fou et loser secrétement aigri me plaisait bien. Je tente depuis de le réhabiliter en usant de ce pseudo sur différents forums dédiés à la SF. J'envisage de monter une association. :lol: ).

sTeF

Message par sTeF » mar. mars 31, 2009 5:47 pm

Transhumain a écrit : D'abord il y a cette idée que Bataille exprime (si j'ai bonne mémoire) dans L'Erotisme, à savoir qu'il serait indissociable du désir absolu de combler sa solitude, de se lier à un autre être. Dès lors, il me semble que si ton personnage n'a pas ce désir, la scène ne fonctionnera pas. En revanche, certains auteurs le font sciemment : ça donne du sexe "clinique", froid, fonctionnel (on voit beaucoup ça chez les anglo-saxons, par exemple Ballard dans Crash!, ou Bret Easton Ellis), ou bien des textes où tel ou tel aspect de la sexualité (rapports de force, dimension politique, etc.) est disséqué, mais s'il s'agit de transmettre l'essence érotique, c'est raté.
Je viens d'acheter "Crash!" (je connais déjà le film) et j'ai lu pas mal de B.E.E., et a priori, je dirai que dans les exemples que tu as cité, c'est moins la sensualité ou l'érotisme que la mécanique fonctionnelle/sociale de la sexualité qui était ainsi révélée. A ce titre, l'exercice était réussi dans le cas des "lois de l'attraction" ou dans "moins que zéro" (je ne parle pas de la sexualité du héros d'American Psycho, qui a réussi à me filer la gerbe). Dans le cas de "Crash!" (encore une fois, je n'ai pour le moment vu que le film), j'avoue que le résultat ne m'a pas paru sans un certain... trouble... Mais bon, l'homme (le mâle) est un être particulièrement 'visuel', j'ai peut-être simplement été titillé par la plastique abîmée de Rosanna Arquette ^^ Et au final, il reste effectivement cette très belle scène où le héros et sa femme tentent en vain de reproduire l'accident de voiture qui a provoqué cette dérive fétichiste de la libido du mari... Enchaîner des accidents de bagnoles comme thérapie du couple, dans l'espoir de communier à nouveau dans une même bouffée d'érotisme, c'est effectivement sans doute une forme de constat (à l'amiable ^^) de l'échec.
Par ailleurs, il y a le fait que notre rapport au sexe est quelque chose de très intime, qui ne se vit généralement que dans la sphère très privée du couple. La psychanalyse a dû se pencher sur la question, je suppose : de même que personne (enfin je crois) n'imagine ses parents en train de faire l'amour, une scène érotique écrite atteindra difficilement son objectif. C'est un rapport direct à l'autre (Lévinas a écrit là-dessu je crois), et un livre (à fortiori un film, qui en plus impose les intrus que sont les corps des acteurs) ne peut pas abolir cette distance qu'il y a entre lui et nous.
Effectivement, mais (et c'est là, à mon avis, que peut se glisser l'érotisme littéraire réussi) l'humain me paraît constitué d'un ensemble de règles de base de fonctionnement qui - sauf cas très exceptionnel (psychose, etc) - peut constituer sinon un langage commun, du moins un vivier de références dans lequel puiser pour susciter images et sensations (prédation, partage, communion, offrande, etc) appartenant au registre de l'espèce.
Bref, je crois que c'est moins dans la description, ou l'analyse, de l'acte érotique que dans ses effets et ses racines, que peut se nicher le trouble... En tout cas, c'est la piste que j'ai dégagée depuis quelques temps, puisque j'ai été invité par "Les Trois Souhaits/ActuSF" à collaborer à une mini-antho sur le sujet. Mais je n'ai pas fini de creuser ^^
Ce qui importe donc, ce n'est pas l'acte, mais ce qui le gouverne : le désir. Réussir une scène érotique exigerait donc, selon cette hypothèse, de rendre désirable un personnage, ce que réussit d'ailleurs Nabokov avec Lolita et Ada... Mais bon, n'est pas Nabokov qui veut. Autrement dit, je crois que tu as mille fois raison quand tu écris qu'il vaut mieux s'abstenir (comme le pape, tiens :lol: ) s'il n'y a pas nécessité absolue.
Oui, on en arrive, par des chemins différents, à une conclusion (provisoire) proche.

J'ai publié l'année dernière dans Bifrost une nouvelle que je considérais comme éminemment "troublante" (même si ce n'était pas le sujet principal), et j'ai été étonné par la non perception régulière du caractère de ce texte que je supposais sensuel. Est-ce à dire que j'ai foiré mon coup ? Que je ne suis vraiment pas fait pour ce genre là ? Que mon champ érotique demeure imperméable à la perception des autres (hum, rien que cette phrase, tiens... * ronronne *) :lol:

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Transhumain
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Message par Transhumain » mar. mars 31, 2009 6:00 pm

sTeF a écrit :Je viens d'acheter "Crash!" (je connais déjà le film) et j'ai lu pas mal de B.E.E., et a priori, je dirai que dans les exemples que tu as cité, c'est moins la sensualité ou l'érotisme que la mécanique fonctionnelle/sociale de la sexualité qui était ainsi révélée. [...] Dans le cas de "Crash!" (encore une fois, je n'ai pour le moment vu que le film), j'avoue que le résultat ne m'a pas paru sans un certain... trouble... Mais bon, l'homme (le mâle) est un être particulièrement 'visuel', j'ai peut-être simplement été titillé par la plastique abîmée de Rosanna Arquette ^^
Tu verras que le livre est très différent, très froid, pornographique. Le film conserve une trace de ce sexe fonctionnel (les personnages utilisent un vocabulaire clinique), mais Cronenberg a délibérément choisi une voie toute différente de celle de Ballard, en insistant sur les surfaces, sur l'aspect lisse, publicitaire, dans lequel évoluent les personnages. Coup de génie à mon avis, parce que précisément, l'union de James avec des hommes et femmes estropiées, aux plaies apparentes, prend ici tout son sens et se révèle en effet troublante...
J'ai publié l'année dernière dans Bifrost une nouvelle que je considérais comme éminemment "troublante" (même si ce n'était pas le sujet principal), et j'ai été étonné par la non perception régulière du caractère de ce texte que je supposais sensuel. Est-ce à dire que j'ai foiré mon coup ? Que je ne suis vraiment pas fait pour ce genre là ? Que mon champ érotique demeure imperméable à la perception des autres (hum, rien que cette phrase, tiens... * ronronne *) :lol:
De ce point de vue, c'est sans doute raté en effet :lol: , mais la nouvelle était excellente (je pensais précisément à ce texte (OrigamX), quand je parlais de fictions où la sexualité joue un rôle important, sans forcément être réellement érotique).

systar
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Message par systar » mar. mars 31, 2009 6:55 pm

On a déjà un peu évoqué la faute, et la culpabilité qui en découlerait, comme thèmes transversaux qui innervent tout le Déchronologue.

Freud voyait l'origine du sentiment de culpabilité non pas dans une faute primitive ou primordiale qui aurait été commise et appellerait expiation, mais tout simplement dans le fait même de l'édification d'une culture/civilisation. Puisqu'il y a une pulsion érotique qui me pousse à m'assembler aux autres pour former une société, et que cette pulsion engendre illico sa propre inhibition (ainsi apparaît le Surmoi, source de toutes les emmerdes à venir!), on ne peut pas ne pas ressentir, au plus profond de son identité d'être civilisé, un vague sentiment de culpabilité, lié au fait qu'on aura toujours envie de tuer Papa, bien que ET parce qu'il nous a toujours protégé.

Qu'en penses-tu? Est-ce un tel sentiment que tu as essayé d'explorer dans le Déchronologue?

Il y a quelques passages tout à fait explicites où Villon a mauvaise conscience d'avoir tué (ne serait-ce que cette émotion étrange qu'il ressent lorsqu'il coule la flotte d'Alexandre) (spoiler dans la parenthèse pour ceux qui n'ont pas lu le roman), voire une espèce de culpabilité pour les déchirures même du temps, dont il n'est pourtant pas responsable. Avoir mauvaise conscience pour la faute qu'on n'a pas commise, ça fait très Dostoïevski, ou très Lévinas lecteur de celui-ci.
Est-ce que ce sont des questions que tu approches désormais, que l'écriture du livre t'a permis de déployer, de développer, ou en es-tu resté à une remarque que nous avions faite jadis, comme quoi l'intéressant, politiquement et intellectuellement, dans le judaïsme et le christianisme, est d'avoir inventé la culpabilité?
(ce que Freud, ou même tout simplement la pratique grecque du bouc émissaire, tendraient à infirmer...)

systar
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Message par systar » mar. mars 31, 2009 7:07 pm

Autre question un peu pointue, qui me vient parce que je suis plongé dans la relecture de Fictions philosophiques et science-fiction, de Guy Lardreau.

Lardreau définit la science-fiction comme ce type de littérature qui reconnaît et ne dépasse pas le "mur" des mots, c'est-à-dire cette enveloppe de langage par laquelle nous essayons toujours de dire et de comprendre ce qui existe, mais par quoi aussi nous en manquons toujours une partie incompressible, que Lardreau va nommer le "Réel", avec un r majuscule, par opposition à la "réalité", qui est ce que le langage parvient à nous transmettre de ce qui est, de ce qui existe.
Bref: la sf maintiendrait qu'il y a de l'indicible, que tout, par principe, ne peut pas être expliqué, rendu parfaitement accessible par une théorie.

Lisant cela, je repensais à ton hésitation à révéler, dans le Déchronologue, le fin mot de toutes les distorsions temporelles, et de l'activité des Targui. Comme si tu avais hésité entre le fait de révéler tout - ce qui correspond au fantastique, ou à la fantasy sans doute, selon Lardreau -, et la décision de garder une part d'inexplicable (=> SF), donc entre le fait de dire qu'il n'y a pas de Réel en dehors de la réalité décrite par les mots, et le fait de dire qu'aucune réalité narrative, langagière, ne peut ni ne doit nous restituer le Réel.

Tu m'as dit que le motif de ta décision finale était esthétique: est-ce que le roman se soutenait mieux, dans sa logique propre, en disant tout, ou en cachant le fin mot de l'histoire.
N'as-tu pas l'impression d'avoir redécouvert cette hésitation-là, cette opposition entre dicible et indicible, pensable et impensable, en écrivant ce roman?

rmd
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Message par rmd » mar. mars 31, 2009 7:34 pm

Hello Stef,

le déchronologue se passe du point de vue de ceux qui subissent les manipulations temporelles, sans y comprendre grand chose et surtout sans vraiment savoir par qui ils sont manipulés. A-t-on une chance d'en apprendre plus sur ces êtres venus du futur dans un prochain texte ?
Après des années de cérémonie du Thé, il n’y a rien de meilleur que de vomir de la Bière.

sTeF

Message par sTeF » mar. mars 31, 2009 7:43 pm

systar a écrit :On a déjà un peu évoqué la faute, et la culpabilité qui en découlerait, comme thèmes transversaux qui innervent tout le Déchronologue.

Freud voyait l'origine du sentiment de culpabilité non pas dans une faute primitive ou primordiale qui aurait été commise et appellerait expiation, mais tout simplement dans le fait même de l'édification d'une culture/civilisation. Puisqu'il y a une pulsion érotique qui me pousse à m'assembler aux autres pour former une société, et que cette pulsion engendre illico sa propre inhibition (ainsi apparaît le Surmoi, source de toutes les emmerdes à venir!), on ne peut pas ne pas ressentir, au plus profond de son identité d'être civilisé, un vague sentiment de culpabilité, lié au fait qu'on aura toujours envie de tuer Papa, bien que ET parce qu'il nous a toujours protégé.

Qu'en penses-tu? Est-ce un tel sentiment que tu as essayé d'explorer dans le Déchronologue?
En fait, pour bâtir la personnalité du capitaine Villon, et sa problématique, je suis parti d'une théorie très intéressante brillamment expliquée par Michel Le Bris dans son livre "D'or, de rêves et de sang, l'épopée de la flibuste" où il distille cette idée, que je trouve fascinante, que les premières expéditions françaises, hollandaises et anglaises vers les Spanish Main étaient certes des opérations visant tout à la fois à se faire du fric (pillage et commerce illicite organisé sur fonds privés par de riches marchands sous la forme de joint venture avant la lettre) qu'à porter le feu et la guerre dans les nouveaux territoires espagnols par des nations du vieux continent étranglées par la pression espagnole (la politique des "Sea Dogs" d'Elisabeth Iere, qui enverra Francis Drake et ses semblables foutre le dawa dans les Caraïbes histoire de changer un peu le théâtre des opérations) que (et c'est le point crucial qui m'intéresse au plus haut point) de porter une guerre de religion dans ce qui apparait comme le Nouvel Eden : les Indes Occidentales et le Nouveau monde.
Certes, c'est une guerre de religion : huguenots, anglicans et protestants venant taquiner les Espagnols catholiques dans leur domaine réservé - puisque depuis la bulle papale Inter Caetera de 1493 (tiens tiens, comme par hasard), le pape Alexandre VI Borgia a coupé la pomme en deux, et filé la moitié des terres à découvrir aux Espagnols, le reste aux Portugais (en dehors de terres déjà catholiques, bien sûr), et ya basta, circulez, y'a rien à voir. Ce qui, pour ceux qui ont lu ou vu "Shogun", donne cette scène délicieuse où le pilote capturé par les Japonais explique à un seigneur Toranaga médusé que y'a un emmitré, là bas, loin très loin, qui a filé le Japon aux Jésuites portugais (la gueule de Toranaga ^^)... Mais, et c'est sur ce point qu'insiste Le Bris, il y a aussi, dans cette idée de "Nouveau monde", le désir des Protestants de fonder un Nouvel Eden, de "recommencer à zéro" en oubliant les conneries de l'autre côté de l'Atlantique. Et ils enragent doublement de voir ce que les Espagnols ont fait de cet Eden en le mettant en coupe réglée (feront-ils mieux ? on se le demande).

Il y a d'ailleurs un film absolument sublime, sur le sujet, de Terrence Malick, qui s'appelle "Le Nouveau Monde", qui voit se dessiner cet impossible retour à l'origine pour le personnage de Colin Farrell et sa colonie, qui ont apporté avec eux "le venin" et "la souillure"...

Bref, j'ai essayé de reproduire ce désir pur (comme dirait le Transhumain) de "* pouf pouf on recommence tout *" et de le transmettre à mon personnage principal sous la forme d'une culpabilité non pas hypothétique mais avérée (et, surtout "au nom d'une cause juste"...) Dès lors, il pouvait symboliser cette aspiration à une réponse présente, là, quelque part au delà de l'horizon, qui guérirait le monde... Un Graal, quoi ^^

Je ne peux pas en dire plus pour ne pas déflorer le roman mais bon, vu que dè les premières pages, le capitaine confie "puisque mes rêves ont révélé un goût de cendre, pourquoi craindre de disparaître ?" , on se dit que y'a quelque chose de pourri au pays des Maravillas :D

Donc, cher Systar, je pense que tu as parfaitement raison en parlant de faute primitive et d'expiation impossible.

Mais - et j'insiste - ça n'empêche pas d'essayer ^^
Il y a quelques passages tout à fait explicites où Villon a mauvaise conscience d'avoir tué (ne serait-ce que cette émotion étrange qu'il ressent lorsqu'il coule la flotte d'Alexandre) (spoiler dans la parenthèse pour ceux qui n'ont pas lu le roman), voire une espèce de culpabilité pour les déchirures même du temps, dont il n'est pourtant pas responsable. Avoir mauvaise conscience pour la faute qu'on n'a pas commise, ça fait très Dostoïevski, ou très Lévinas lecteur de celui-ci.
Est-ce que ce sont des questions que tu approches désormais, que l'écriture du livre t'a permis de déployer, de développer, ou en es-tu resté à une remarque que nous avions faite jadis, comme quoi l'intéressant, politiquement et intellectuellement, dans le judaïsme et le christianisme, est d'avoir inventé la culpabilité?
(ce que Freud, ou même tout simplement la pratique grecque du bouc émissaire, tendraient à infirmer...)
J'aime beaucoup le "en es-tu resté" qui jetterait presque l'opprobre sur le mauvais cancre qui ne veut pas écouter ^^ (je te taquine, tu sais que j'adore nos conversations).
J'aimerais te répondre plus que "hey, c'est juste un livre de pirates avec des canons, de la fumée, des sabres d'abordage et des beuveries au coucher du soleil" mais... Hey, c'est juste une histoire de pirates avec canons, de la fumée, etc. :D

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Message par systar » mar. mars 31, 2009 7:48 pm

sTeF a écrit : J'aime beaucoup le "en es-tu resté" qui jetterait presque l'opprobre sur le mauvais cancre qui ne veut pas écouter ^^ (je te taquine, tu sais que j'adore nos conversations).
Ouais, va pas me faire passer pour une caricature de prof, hein...
"en es-tu resté à..." = campes-tu sur cette position, c'est tout! (depuis quand les conversations, surtout les nôtres, sont-elles faites pour se laisser convaincre de quoi que ce soit? pour ça, il y a les livres... 8) )

Merci pour les réponses.
Sauf la fin, vraiment légère, légère...^^ simple histoire de pirates, vraiment? :wink:

sTeF

Message par sTeF » mar. mars 31, 2009 8:04 pm

Je me permets de regrouper vos deux questions, vu qu'elles me semblent se compléter.
systar a écrit :Autre question un peu pointue, qui me vient parce que je suis plongé dans la relecture de Fictions philosophiques et science-fiction, de Guy Lardreau.

Lardreau définit la science-fiction comme ce type de littérature qui reconnaît et ne dépasse pas le "mur" des mots, c'est-à-dire cette enveloppe de langage par laquelle nous essayons toujours de dire et de comprendre ce qui existe, mais par quoi aussi nous en manquons toujours une partie incompressible, que Lardreau va nommer le "Réel", avec un r majuscule, par opposition à la "réalité", qui est ce que le langage parvient à nous transmettre de ce qui est, de ce qui existe.
Bref: la sf maintiendrait qu'il y a de l'indicible, que tout, par principe, ne peut pas être expliqué, rendu parfaitement accessible par une théorie.

Lisant cela, je repensais à ton hésitation à révéler, dans le Déchronologue, le fin mot de toutes les distorsions temporelles, et de l'activité des Targui. Comme si tu avais hésité entre le fait de révéler tout - ce qui correspond au fantastique, ou à la fantasy sans doute, selon Lardreau -, et la décision de garder une part d'inexplicable (=> SF), donc entre le fait de dire qu'il n'y a pas de Réel en dehors de la réalité décrite par les mots, et le fait de dire qu'aucune réalité narrative, langagière, ne peut ni ne doit nous restituer le Réel.

Tu m'as dit que le motif de ta décision finale était esthétique: est-ce que le roman se soutenait mieux, dans sa logique propre, en disant tout, ou en cachant le fin mot de l'histoire.
N'as-tu pas l'impression d'avoir redécouvert cette hésitation-là, cette opposition entre dicible et indicible, pensable et impensable, en écrivant ce roman?

Je ne sais pas si j'ai redécouvert quoi que ce soit, mais j'ai travaillé sur plusieurs versions du Déchronologue, allant du plus explicatif au plus lacunaire, et au final, j'ai préféré la seconde. Je ne sais pas si j'ai eu raison. Mathias m'a demandé de proposer une version "plus claire", je la lui ai fournie, et finalement, il a convenu qu'il valait mieux ne pas trop en dire.
Je n'aurai pas pensé à faire cette différence fantasy/fantastique/SF quand à la part de lumière et de mystère révélé ou pas... En fait, je me demande même si je n'aurais pas eu tendance à dire que le non expliqué était du domaine du fantastique, et au contraire que le tout rationnel serait du domaine de la SF (mais il y a, j'en suis sûr, sur ce forum, des gens plus sages ou avertis que moi pour trancher cette délicate question).
En fait je ne me suis pas posé la question en ces termes, mais seulement en terme, encore une fois, de "forme qui correspond le mieux à mon histoire" (décidément, j'y reviens). A chaque fois que j'ai essayé de distiller plus d'explication, j'ai vu s'allumer les les warnings et hululer la sirène "attention, attention, voici les explications !!" et j'ai fait marche arrière.
Est-je eu raison ? Tort ? c'est à chaque lecteur de décider.

rmd a écrit :Hello Stef,

le déchronologue se passe du point de vue de ceux qui subissent les manipulations temporelles, sans y comprendre grand chose et surtout sans vraiment savoir par qui ils sont manipulés. A-t-on une chance d'en apprendre plus sur ces êtres venus du futur dans un prochain texte ?
Hello RMD :D

Oui, effectivement, et c'est en grande partie à cause de ce point de vue "d'un homme du XVIIe siècle" (lettré et éveillé, certes) que je me suis contenté de ne rapporter que ce qu'il peut avoir compris / découvert / deviné.
Toutes les informations sont là, dans le roman (du moins, de mon point de vue) et je veux faire le pari de l'intelligence du lecteur :idea:

Il y a certes sur mon disque dur un document top secret "tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les déchirures temporelles, et ceux qui les ont générées, sans jamais oser le demander" mais il n'a pas vocation à être publié. Et j'ose croire que ce n'est pas essentiel, paradoxalement. En espérant que cette réponse ne te frustre pas trop ^^

Dans le cas contraire, on pourra toujours causer en aparté pour causer "mystères targui et maravillas" ^^

sTeF

Message par sTeF » mar. mars 31, 2009 8:20 pm

systar a écrit :Merci pour les réponses.
Sauf la fin, vraiment légère, légère...^^ simple histoire de pirates, vraiment? :wink:
Ce que je veux dire, c'est que les discussions "exégétiques" auxquelles nous aimons nous adonner au détour d'une taverne n'ont peut-être pas leur place sur un forum public, et que ce que je suis prêt à défendre et justifier dans la complicité de nos beuveries me semble relever d'une certaine impudeur, sinon d'une prise d'otage, en "public" :oops: (je précise : prise d'otage des gens lisant le forum, hein ^^)

Tiens, à propos de beuverie, c'est l'heure d'un p'tit Irish Rover avec l'homme le plus ivre qu'il m'ait été donné de voir sur scène : le légendaire Shane McGowan ^^ (et puis, c'est l'heure de l'apéro).
/santé !

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