Gilles Dumay online
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Je reviens sur un sujet, la notion de "collection".
Tu ne t'en caches pas, tu écumes "large": science-fiction, fantastique, fantasy (une certaine fantasy, tout de même...), voire textes pas évidents à définir, si ce n'est "tendance fantastique" on va dire.
Tu expliques de temps à autre que, d'après toi, la SF et - finalement, le fantastique et les autres trucs "étranges", on ne voit pas pourquoi ce serait différent- s'intègrent peu à peu à la littérature générale. C'est possible. Mais alors, finalement, à quoi sert une collection spécifique, si ce n'est refléter les goûts de son directeur? En fin de compte, à quoi sert une collection, si tout cela, ce n'est au fond que de littérature générale juste un poil bizarre? Note que refléter les goûts de quelqu'un qui a du goût, c'est déjà très bien (je crois que c'est ce qui se fait un peu partout). Alors, s'achemine-t-on vers une disparition de la notion de collection, remplacé par la notion: "Gilles Dumay présente" (en gros,vous allez aimer, parce que vous avez aimé les autres ouvrage proposé par la même personne)? C'est déjà assez largement le cas, mais il reste encore une étiquette qui distingue du "reste" de la littérature. Cela durera-t-il?
N'y a-t-il pas, tout de même, une necessité de conserver des catégorisations?
Joseph
Tu ne t'en caches pas, tu écumes "large": science-fiction, fantastique, fantasy (une certaine fantasy, tout de même...), voire textes pas évidents à définir, si ce n'est "tendance fantastique" on va dire.
Tu expliques de temps à autre que, d'après toi, la SF et - finalement, le fantastique et les autres trucs "étranges", on ne voit pas pourquoi ce serait différent- s'intègrent peu à peu à la littérature générale. C'est possible. Mais alors, finalement, à quoi sert une collection spécifique, si ce n'est refléter les goûts de son directeur? En fin de compte, à quoi sert une collection, si tout cela, ce n'est au fond que de littérature générale juste un poil bizarre? Note que refléter les goûts de quelqu'un qui a du goût, c'est déjà très bien (je crois que c'est ce qui se fait un peu partout). Alors, s'achemine-t-on vers une disparition de la notion de collection, remplacé par la notion: "Gilles Dumay présente" (en gros,vous allez aimer, parce que vous avez aimé les autres ouvrage proposé par la même personne)? C'est déjà assez largement le cas, mais il reste encore une étiquette qui distingue du "reste" de la littérature. Cela durera-t-il?
N'y a-t-il pas, tout de même, une necessité de conserver des catégorisations?
Joseph
Merci pour ta réponse.GillesDumay a écrit :Et je me suis alors vraiment retrouvé avec le bébé sur les bras. J'ai demandé à Sébastien Guillot (qui travaillait à l'époque chez Gallimard) s'il pouvait me filer un coup de main (relecture / contrôle édito) et j'ai écrit RE en quinze jours. Comme je ne bois pas de café ; j'ai bu autre chose.
Mon père m'a dit quelques années plus tard : "c'est ton meilleur livre". Et après on se demande pourquoi les gens se font psychanaliser...
GD
C'est une histoire assez intéressante finalement, et puis c'est bien de ne pas dormir pendant 15 jours, après on est encore plus content de retrouver son lit.
Merci aussi pour la dernière phrase...
mes collègues m'ont tous demandés pourquoi j'avais éclaté de rire devant mon micro... J'ai parlé de private joke pour sauver mon honneur. S'ils savaient que je lis de la SF ils ne me parleraient plus.
Si c'est ton meilleur livre, je vais devoir le lire alors. ^_^
Du coup j'imagine qu'on est pas prêts de voir un autre Thomas Day dans la collection Lunes d'Encre.
J'espère que ce n'est pas un regret pour toi ?
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Je vais te répondre par des moyens détournés et via un univers parallèle.Lensman a écrit : Mais alors, finalement, à quoi sert une collection spécifique, si ce n'est refléter les goûts de son directeur?
A l'instant, je sors de réunion commerciale où j'ai défendu Les Démons de Paris de Jean-Philippe Depotte que je publie en Grand Public (c'est à dire hors-collections) en février 2010.
Tu es là avec ton résumé, ton projet de couv', face à douze représentants et plusieurs directeurs commerciaux (dont le tien), ton patron est à ta gauche, et pendant dix minutes tu "vends" le livre :
Voilà à Paris en 1912 un jeune prêtre découvre qu'il a le don de parler aux morts...
Blah blah blah
J'ai adoré, c'est le meilleur premier roman que j'ai reçu par la poste en dix ans...
Blah blah blah...
La reconstitution historique est formidable...
Blah blah blah...
Le style riche, tout en étant très fluide. Beaucoup d'élégance...
Blah Blah Blah
L'auteur est une tronche, un mec de formation scientifique, fou d'Histoire et de littérature...
Blah blah blah...
Ca sera un gros livre, 500 pages environ.
Blah Blah Blah...
Et au bout de dix minutes, ouf, un des représ pose la SEULE question vraiment importante : "Ca va dans quel rayon ?
- Polar, polar historique
- C'est pas du Lunes d'encre ?
- Non, on veut en vendre plus de 1500. On veut une grosse mise en place tous réseaux, à la Albin Michel."
Tous le monde acquiesce ; le message est passé. Et déjà on parle de quantités importantes ; d'objectifs de SP (10-20 par repré ; 150 en tout). Les commerciaux, le genre ils s'en contrebalance ; si t'as les arguments, tu fais tomber toutes les barrières en dix minutes.
Lunes d'encre c'est dix ans de ma vie et c'est un outil obsolète (à réformer d'URGENCE) ; parce que (commercialement) les genres ça n'existe plus, ce qui compte c'est le rayon où arrive le livre, le nombre de points de vente dans lequel va pénétrer le livre. Le réseau commercial :
- niveau 1 de librairie (tirage 4000)
- Niveau 1 et petits points de vente (tirage 8000)
- Niveau 1 et petits points de vente et hypers (tirage 12 000)
////
Imaginons maintenant que nous sommes dans un univers parallèle :
Je sors de réunion commerciale où j'ai défendu Les Démons de Paris de Jean-Philippe Depotte que je publie en Lunes d'encre en février 2010.
J'ai eu dix minutes pour "vendre" le livre :
Voilà à Paris en 1912 un jeune prêtre découvre qu'il a le don de parler aux morts...
Blah blah blah
J'ai adoré, c'est le meilleur premier roman que j'ai reçu par la poste en dix ans...
Blah blah blah...
La reconstitution historique est formidable...
Blah blah blah...
Le style riche, tout en étant très fluide. Beaucoup d'élégance...
Blah Blah Blah
L'auteur est une tronche, un mec de formation scientifique, fou d'Histoire et de littérature...
Blah blah blah...
Ca sera un gros livre, 500 pages environ.
Blah Blah Blah...
Et au bout de dix minutes, mon patron demande
" Alors ?
- Niveau 1 de librairie, oh on devrait réussir à en mettre 2000 en place", lui répond le chef des ventes.
Et en février 2010, t'en as 1300 en place sur toute la France, toute la francophonie, et tu pleures en te disant : "mais où je me suis planté ?"
GD
- Don Lorenjy
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Qu'est-ce qu'on veut ?Lensman a écrit :N'y a-t-il pas, tout de même, une necessité de conserver des catégorisations?
Joseph
On veut que les livres qu'on aime soient lus par le plus grand nombre possible ?
C'est bien ce qu'on veut ?
Donc tu mets en Lunes d'encre ce qui ne peut pas aller ailleurs (la réédition de L'ïle habitée, par exemple ; y'a pas plus de 3000 gars que ça peut intéresser, on va surtout pas prendre le risque d'en mettre partout) et tu mets en Grand Public tout ce qui est susceptible (quel que soit le genre auquel il appartient) de toucher un Grand Public.
On se cassera les dents dix fois, mais le jour où le voile se déchire, bingo, ce que tu gagnes dépasse amplement tes ventes, ton investissement personnel, ton investissement financier, etc.
GD
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Bonjour Gilles,
tout ceci est véritablement très intéressant ! Je trouve ton approche pas bête du tout. Même si, comme le fait remarquer Oncle Joe, cela demandera un peu plus d'effort au public SFFF pour retrouver ses petits (mais si ça en amène le double de non SFFF...).
Cette approche, justement, sais-tu si des collègues à toi dirigeant des collections SFFF commencent à y réfléchir (sans forcément citer de nom) ? En as-tu parlé avec eux et quel est leur ressenti ? Ou bien attendent-ils de voir si tu réussis ou te plantes dans cette révolution ?
tout ceci est véritablement très intéressant ! Je trouve ton approche pas bête du tout. Même si, comme le fait remarquer Oncle Joe, cela demandera un peu plus d'effort au public SFFF pour retrouver ses petits (mais si ça en amène le double de non SFFF...).
Cette approche, justement, sais-tu si des collègues à toi dirigeant des collections SFFF commencent à y réfléchir (sans forcément citer de nom) ? En as-tu parlé avec eux et quel est leur ressenti ? Ou bien attendent-ils de voir si tu réussis ou te plantes dans cette révolution ?
Le livre que tu as présenté contient des éléments historiques et fantastiques qui me semblent de plus en plus acceptés par à peu près tout le monde, et pour lesquels le public n'a (presque) plus de rejet a priori. Mais penses-tu qu'un livre de SF pur (un Egan par exemple) puisse trouver un public avec ce genre de mise en place ? Ou bien est-ce encore trop tôt (risque de perdre le public cible habituel et risque de ne pas séduire un nouveau public) ?GillesDumay a écrit :Lunes d'encre c'est dix ans de ma vie et c'est un outil obsolète (à réformer d'URGENCE) ; parce que (commercialement) les genres ça n'existe plus, ce qui compte c'est le rayon où arrive le livre, le nombre de points de vente dans lequel va pénétrer le livre.
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Donc la collection devient un collection "ce qu'on ne peut pas mettre ailleurs"... c'est une définition par exclusion, qui me parait un peu effrayante... je suppose que c'est caricatural, tout de même... ça signifie donc que la notion de fidélité du lecteur à une collection ("tiens! j'aime bien les choix de Lune d'Encre, d'habitude. Je vais essayer cet auteur que je ne connais pas!", ou plutôt que ce genre de lecteur, n'existe pratiquement plus? (qu'il y 150 fidèles qui achètent TOUT et... c'est tout...)GillesDumay a écrit :Qu'est-ce qu'on veut ?Lensman a écrit :N'y a-t-il pas, tout de même, une necessité de conserver des catégorisations?
Joseph
On veut que les livres qu'on aime soient lus par le plus grand nombre possible ?
C'est bien ce qu'on veut ?
Donc tu mets en Lunes d'encre ce qui ne peut pas aller ailleurs (la réédition de L'ïle habitée, par exemple ; y'a pas plus de 3000 gars que ça peut intéresser, on va surtout pas prendre le risque d'en mettre partout) et tu mets en Grand Public tout ce qui est susceptible (quel que soit le genre auquel il appartient) de toucher un Grand Public.
On se cassera les dents dix fois, mais le jour où le voile se déchire, bingo, ce que tu gagnes dépasse amplement tes ventes, ton investissement personnel, ton investissement financier, etc.
GD
Joseph
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Disons qu'aujourd'hui ils choisissent en librairie.Lensman a écrit :Bien. Mais je me demande toujours comment les gens font pour choisir les livres, si les genres ne comptent plus (je mets à part les gens raffinés qui se sont construits leur goût et savent chercher, du genre ceux de ce forum)
Merci, Gilles!
Joseph
Disons qu'aujourd'hui ils choisissent en librairie et via internet.
Disons que demain, ils choisissent via internet pour 75% du CA.
Disons qu'après-demain les fichiers représentent 75% du CA.
Alors qui fera le premier tri ?
Les grandes enseignes (partenariats payants ; je te mets en access page ça coûte tant) et les sites critiques.
GD
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Heu, je ferais juste remarquer que Marion Mazauric me tenait un discours équivalent il y a... dix ans.jlavadou a écrit :Bonjour Gilles,
tout ceci est véritablement très intéressant ! Je trouve ton approche pas bête du tout. Même si, comme le fait remarquer Oncle Joe, cela demandera un peu plus d'effort au public SFFF pour retrouver ses petits (mais si ça en amène le double de non SFFF...).
Cette approche, justement, sais-tu si des collègues à toi dirigeant des collections SFFF commencent à y réfléchir (sans forcément citer de nom) ? En as-tu parlé avec eux et quel est leur ressenti ? Ou bien attendent-ils de voir si tu réussis ou te plantes dans cette révolution ?
Intertsices est dans ce créneau ou à peu près ; la Volte aussi (Jeff Noon est référencé en littérature étrangère pas en SF).
J'essaye juste d'adapter mes outils éditoriaux aux livres que je publie et c'est totalement réversible : on se plante sur Depotte en Grand Public, le coup d'après, on le ramènera en Lunes d'encre s'il nous fait encore confiance.
Julian de Robert Charles Wilson. Lunes d'encre ou Grand Public. Sincèrement ça se discute... Vortex, non -> Lunes d'encre.
Etc.
GD