raskolnikov36 a écrit :Cher Jean-Philippe,
Très honoré, Rodion Romanovich,
raskolnikov36 a écrit :Quel bonheur d'apprendre que l'on retrouvera le Chevalier aux Epines dans votre prochain ouvrage consacré au Vieux Royaume! La perversion de l'idéal chevaleresque dont il est l'illustration (j'aurais pour ma part tendance à penser que c'est justement l'idéal chevaleresque qui est une perversion masochiste) donnait lieu à un récit plein d'ironie noire relu hier avec délectation.
Bien d'accord avec vous : Aedan est un monstre de perversion. A sa façon, c'est d'ailleurs un personnage qui me fait rire, lui aussi.
raskolnikov36 a écrit :Mais trêve de compliments (mérités), je passe maintenant aux questions.
Je ne suis pas un gros lecteur de fantasy, donc je surestime peut-être ce point qui a pu être traité par d'autres auteurs du genre, mais il m'a semblé que l'une des plus grosses originalités de votre univers, et qui en fait l'un des charmes majeurs, consiste en ce retour balzacien des personnages d'un récit à l'autre. L'univers du Vieux Royaume y gagne une densité incroyable. Certains événements importants d'une nouvelle peuvent avoir une continuation mentionnée en passant dans une autre. J'ai d'ailleurs été très impressionné par la façon dont, dans la version augmentée de JV, vous avez détourné le simple établissement d'une chronologie pour proposer un nouveau récit dans les intrestices des précédents (par exemple les conséquences de la bataille de Montefellone). Ce retour des personnages faisait-il partie de votre projet initial?
Plus ou moins.
L' intertextualité interne du recueil figurait, dans le projet initial, dans les domaines historiques (poids fondateur de Leodegar sur le Vieux Royaume) et géographiques (les nouvelles mettant progressivement en place un pays fictif). Très vite, la circulation des personnages s'y est ajoutée, de façon presque naturelle. Non seulement cela participait à la dynamique du recueil, mais c'était aussi un procédé très séduisant parce que ludique.
Le retour des personnages est en fait un procédé assez typique de cette littérature feuilletonesque qu'est la fantasy. Là où je me démarque peut-être un peu, c'est que beaucoup de romans de fantasy anglo-saxons sont des cycles, où le retour des personnages est inhérent à la logique narrative ; pour ma part, je m'inscris plutôt dans une logique sérielle, qui me donne plus de libertés narratives et surprend plus facilement le lecteur, tout en lui donnant le plaisir régressif de l'itération. Toutefois, j'ai le sentiment que je ne suis pas isolé dans la "jeune" génération française des auteurs de fantasy ; Laurent Gidon et Justine Niogret, puisque je parlais d'eux tout à l'heure, semblent aussi suivre une logique sérielle.
raskolnikov36 a écrit :
L'univers que vous décrivez a-t-il été construit à partir des personnages ou est-ce l'inverse? Je fantasme en tout cas sur un type de récit un peu analogue à la chronologie, à savoir des articles de dictionnaire qui évoquerait rapidement la vie de certains personnages en faisant écho à d'autres (un peu comme le dictionnaire khazar).
Le Vieux Royaume a d'abord été un univers de jeu de rôle : je l'ai donc conçu comme un terrain de jeu. Les personnages, qu'ils aient été PNJ et/ou personnages de roman, sont venus ensuite pour le peupler.
En revanche, les personnages complexifient le monde, et ils finissent effectivement par le façonner, le corriger ou l'abîmer.
raskolnikov36 a écrit :Autre question, connaissez-vous et appréciez-vous un auteur comme Jeff Vandermeer, qui lui aussi aime construire son monde d'Ambregris par petites touches, dans des récits appartenant à des registres très différents?
Aïe ! Voilà une question piège…
Je vais jouer la carte de la sincérité. Je me suis procuré
La Cité des Saint et des Fous peu de temps après sa parution en France. J'étais très alléché par le titre, par la formule du livre, dans laquelle je trouvais une démarche sœur de la mienne. Et puis je n'ai pas accroché, essentiellement en raison du style. On va toujours chercher la paille qui est dans l'œil du voisin, et moi qui lutte contre une sévère tendance à l'amphigouri, j'ai trouvé le style de Vandermeer trop chargé. Très paradoxal, non ?
Et voilà, je me suis fait plein d'ennemis !
raskolnikov36 a écrit :Et enfin (mon post est un peu long, je m'en excuse), vous juxtaposez non seulement les ambiances et les registres mais également les époques et les cultures (Renaissance, Rome antique, Moyen-Age, Vikings, empire perse). Toutes ces sociétés semblent vivre dans un temps qui leur est propre, comme étrangères à l'évolution politique ou technique des autres (sauf cas de conquête). Au-delà de l'intérêt purement esthétique et intellectuel (c'est déjà beaucoup) de la confrontation de ces civilisations et de ces époques, y a-t-il une logique historique sous-jacente à cette répartition de la carte du Vieux Royaume?
La logique sous-jacente était à l'origine ludique : il s'agissait d'offrir un terrain de jeu grand et varié à mes joueurs.
Soit dit en passant, les sociétés que j'associe dans cet univers syncrétique sont un peu moins anachroniques qu'elles n'en ont l'air. (Un peu moins, tout est relatif…) Les institutions de Ciudalia sont bien Renaissance, et non antiques, tout simplement parce que les cités italiennes, et même celles du sud de la France, ont conservé jusqu'en pleine Renaissance des institutions antiques. (Nombre de villes méridionales étaient dirigées par des "consuls", et non par les "bourgmestres" ou les "maires" du nord de la France.) Quant aux Ouromands, dont la barbarie semble archaïque en regard de la société féodale du Bromael et de la société urbaine de Ciudalia, leur coexistence dans ce monde avec des cultures plus raffinées n'est pas si anachronique. Au XVIe siècle, les Ecossais sont encore de vrais barbares, qui ont bien du mal à s'entendre avec les gentilshommes français sophistiqués qui leur sont alliés contre les perfides Anglois.
En revanche, je concède volontiers que les noms que j'ai choisis sont puisés dans des époques et des cultures très éloignées (Eurymaxas est perse, Sassanos est parthe, Psammétique est égyptien, Bakkhidès est hellénistique, Cecht ou Dugham sont celtes, etc…), ce qui donne un vrai patchwork onomastique.
Pour terminer, s'il n'y a pas de logique historique dans la diversité des territoires et des cultures, il y avait dès l'origine (c'est-à-dire dès l'univers de jeu), une ligne dramatique, dont la guerre civile à Ciudalia ne forme qu'une étape.
raskolnikov36 a écrit :Et verra-t-on des récits prendre pleinement place en Ressine ou en Ouromagne?
En Ouromagne, sans aucun doute. En Ressine, j'y réfléchis ; d'autant que les sources d'inspiration historiques que j'ai exploitées, les intrigues de couloir du Sérail, les mystères de la Grande Bibliothèque comme les secrets sur le passé de Sassanos (ou sur l'origine de Ciudalia !) font de ce royaume un terreau extrêmement riche.