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Posté : lun. avr. 18, 2011 3:11 pm
par Mélanie
Thibaud E. a écrit :Ceci, non pas pour nous "en mettre plein les fouilles" (pour gagner de l'argent, il y a beaucoup mieux à faire que de la SF, croyez-moi), mais pour équilibrer un compte d'exploitation qui va permettre, par exemple, de retravailler la traduction -- voire d'en faire une toute nouvelle, comme ce sera le cas pour certains Dick l'an prochain --, d'ajouter une préface, etc.
A ce sujet d'ailleurs, qu'est-ce qui fait selon toi qu'une traduction vieillit et qu'une retraduction s'impose ?

Posté : lun. avr. 18, 2011 3:37 pm
par Thibaud E.
caliban a écrit :Je réagis au "souvent". La loi de Sturgeon s'applique de toute évidence : 90% de la hard SF ne vaut rien
Je te laisse responsable de tes propos. J'ai plutôt tendance à considérer que je ne suis pas "équipé" pour apprécier ce genre à sa juste valeur.
caliban a écrit :J'en arrive donc à ma question : pour toi, rendre possible l'émergence de niches commerciale pour des auteurs et des traducteurs d'une SF ambitieuse, s'imposant
ce type de contraintes (scientifiques si l'on parle de hard SF, mais aussi bien
stylistiques etc. sur d'autres fronts) est-il l'un des rôles de l'éditeur de SF ?
Et si, dans le contexte actuel, ce dernier doit plutôt se concentrer sur la survie
des collections existantes, à qui ce travail d'avant-garde revient-il ?
A la microédition amateur ?
Je ne suis pas sûr de comprendre la question. Au risque de te décevoir, l'éditeur de SF -- et à plus forte raison l'éditeur tout court -- n'a pas de rôle dans le sens ou tu l'entends, pas de mission d'intérêt public quelle qu'elle soit. Il n'a de compte à rendre qu'à ses lecteurs (proposer de bons livres), ses auteurs (diffuser leur pensée le mieux possible) et son banquier (sans quoi l'ensemble se casse la figure), mais il ne travaille pas pour la postérité. Jérôme Lindon, Jean-Jacques Pauvert ou encore José Corti avaient-il cela à l'esprit en publiant leurs premiers livres ? J'en doute. Il est plus probable qu'ils aient trouvé des textes si formidables qu'ils ont juste eu l'envie de les diffuser le plus largement possible. Savaient-ils que, ce faisant, ils laissaient leur nom dans l'histoire et qu'ils influençaient durablement la littérature ? C'est peu probable. Un éditeur propose des livres aux lecteurs ; seule l'histoire peut dire, à posteriori, s'il a fait avancer le shmilblick.

Pour en revenir plus précisément à l'éditeur de SF, je crois qu'il a déjà bien assez de contraintes pour ne pas s'en imposer de nouvelles. Comme je le disais plus haut, le crédo de Nouveaux Millénaires est plutôt d'ouvrir le genre vers un lectorat qui n'en lit qu'occasionnellement, ce qui me semble donc incompatible avec l'idée que tu suggères. Quant à savoir qui doit se faire le porte-étendard de l'expérimentation formelle, ce n'est pas à moi de le dire. Cependant, si je puis me permettre, vu les niveaux de vente dans nos rayons, je ne suis pas sûr que ce soit le moment…

Posté : lun. avr. 18, 2011 3:41 pm
par bormandg
Mélanie a écrit :A ce sujet d'ailleurs, qu'est-ce qui fait selon toi qu'une traduction vieillit et qu'une retraduction s'impose ?
Je ne devrais pas répondre à la place de Thibaud vu que c'est son fil, mais je vois une réponse évidente: la langue française change, plus encore dans son usage et sa lecture, le mode de pensée des lecteurs, que dans sa structure et sa forme. A la limite, même un livre écrit en français demande une "traduction" au bout de ... autrefois il fallait 500 ans, aujourd'hui 10 ans suffisent parfois. :?

Posté : lun. avr. 18, 2011 3:50 pm
par bormandg
Et pour répondre maintenant à Thibaud, un peu dans le même sens que Caliban: En dehors des 90% qui ne valent rien, 8% de la hard science tient de l'expérimentation, que, j'en suis d'accord, Nouveaux Millénaires n'est pas là pour promouvoir. Il en reste une partie qui, comme le reste de la SF, peut jouer le rôle de déclencheur de lecture et a donc sa place dans NM; je pense à des livres comme Question de poids (il y a une suite non traduite, si ma mémoire ne déraille pas), et il y a un certain nombre d'autres oeuvres de Hal Clement qui seraient à leur place dans la collection. Faudrait que je prenne le temps de les retrouver pour te les signaler....

Posté : lun. avr. 18, 2011 4:02 pm
par Thibaud E.
Mélanie a écrit :A ce sujet d'ailleurs, qu'est-ce qui fait selon toi qu'une traduction vieillit et qu'une retraduction s'impose ?
Oh, la vilaine question qui va m'obliger à désavouer une partie du travail de mes aînés :roll:

Plusieurs choses : souvent on se rend compte que certaines traductions sont incomplètes. Pour prendre un exemple récent, à savoir les romans du cycle de la Terre Mourante de Jack Vance, tout juste réédités en deux gros volumes chez Pygmalion, nous nous sommes rendu compte qu'il manquait pas mal de texte. L'une des principales tâches de Sébastien Guillot, qui a assumé la lourde tâche de la réécriture -- et avec brio, dois-je le préciser --, a été de traduire ex-nihilo des paragraphes, voire des chapitres entiers, qui manquaient à l'appel. Incroyable mais vrai, et beaucoup plus fréquent qu'on pourrait l'imaginer.

Deuxième cas, l'harmonisation. Quand un même cycle a été traduit par différentes personnes, il n'est pas rares de voir des incohérences de traduction d'un volume à l'autre. Je n'ai pas d'exemple en tête mais je suis sûr qu'on pourrait en trouver des centaines.

Troisième cas, la date de péremption. On ne s'exprime plus aujourd'hui comme on le faisait il y a 25 ans. Et pour peu que le traducteur de l'époque fût un tant soit peu âgé lui-même, cela agrandit encore le gouffre. C'est dans les dialogues que c'est le plus flagrant, surtout dès qu'il y a de l'argot. Sans compter les termes techniques qui ont beaucoup évolué. Il n'y a qu'à voir la terminologie désignant le réseau dans les romans cyberpunk, qui n'ont plus rien à voir avec la réalité actuelle de la chose, pour s'en convaincre.

Quatrième cas... hmm, la légèreté ? Force est de reconnaître que certaines traductions ont été faites trop rapidement, sans véritable goût pour le genre ou dans de mauvaises conditions, que sais-je encore, mais le résultat est que certains romans, certains grands romans même, sont mal traduits : pleins de lourdeurs et de contresens.

Charge à nous de déterminer si une traduction est rattrapable ou non. Dans le premier cas, un simple travail de réécriture suffit. Dans le second, il faut tout retraduire. Dès lors se posent des questions de budget, car une traduction ex-nihilo est chère.

Posté : lun. avr. 18, 2011 4:04 pm
par Thibaud E.
bormandg a écrit :Et pour répondre maintenant à Thibaud, un peu dans le même sens que Caliban: En dehors des 90% qui ne valent rien, 8% de la hard science tient de l'expérimentation, que, j'en suis d'accord, Nouveaux Millénaires n'est pas là pour promouvoir. Il en reste une partie qui, comme le reste de la SF, peut jouer le rôle de déclencheur de lecture et a donc sa place dans NM; je pense à des livres comme Question de poids (il y a une suite non traduite, si ma mémoire ne déraille pas), et il y a un certain nombre d'autres oeuvres de Hal Clement qui seraient à leur place dans la collection. Faudrait que je prenne le temps de les retrouver pour te les signaler....
Et je t'en remercie : toutes les suggestions seront examinées.

Posté : lun. avr. 18, 2011 4:09 pm
par caliban
Thibaud E. a écrit : Au risque de te décevoir, l'éditeur de SF -- et à plus forte raison l'éditeur tout court
-- n'a pas de rôle dans le sens ou tu l'entends, pas de mission d'intérêt public quelle
qu'elle soit.
C'était bien ma question, merci. Sa première partie, du moins ; la suivante est
naturellement : à qui, selon toi, cette mission de service public échoit-elle ?
Le fait que le Bélial', par exemple, puisse publier de son côté des auteurs réputés plus
difficiles, comme Egan ou Baxter, découle-t-il d'une différence structurelle, ou est-ce
simplement affaire de goûts personnels ?
Thibaud E. a écrit :[l'expérimentation] 
Cependant, si je puis me permettre, vu les niveaux de vente dans nos rayons,
je ne suis pas sûr que ce soit le moment…
Ca ne l'est jamais... D'un autre côté, vu la pente des mêmes ventes sur quelques lustres,
peut-on s'en passer ?

Posté : lun. avr. 18, 2011 4:14 pm
par Eons
Thibaud E. a écrit :Deuxième cas, l'harmonisation. Quand un même cycle a été traduit par différentes personnes, il n'est pas rares de voir des incohérences de traduction d'un volume à l'autre. Je n'ai pas d'exemple en tête mais je suis sûr qu'on pourrait en trouver des centaines.
J'en connais plusieurs, dont deux où j'assure la retraduction complète de plusieurs volumes et un autre où ça part dans tous les sens en dépit d'un responsable payé pour assurer la cohérence (et auquel je suppléais gracieusement à l'époque où j'étais dans l'équipe !)

Et ce n'est pas propre à la littérature écrite, j'ai même un exemple dans une série TV.

Posté : lun. avr. 18, 2011 4:26 pm
par Thibaud E.
caliban a écrit :Le fait que le Bélial', par exemple, puisse publier de son côté des auteurs réputés plus difficiles, comme Egan ou Baxter, découle-t-il d'une différence structurelle, ou est-ce simplement affaire de goûts personnels ?
Je serais bien en peine de répondre pour d'autres que moi, mais il me semble que les responsables éditoriaux de cette maison n'ont jamais caché leur goût pour ces deux auteurs en particulier. Les ont-il publié pour la beauté du geste ? Il faudra le leur demander. Je peux cependant vous assurer que Egan comme Baxter sont loin d'être les plus mauvaises ventes du Bélial'.
caliban a écrit :Ca ne l'est jamais... D'un autre côté, vu la pente des mêmes ventes sur quelques lustres, peut-on s'en passer ?
Je répète ce que j'ai déjà dit : on publie des livres parce qu'on pense qu'on pourra les vendre. Si quelqu'un se lance dans l'expérimentation littéraire, c'est qu'il a perçu des débouchés pour ce type de textes. S'il le fait uniquement pour l'amour de l'art, eh bien il fait un livre et il met la clé sous la porte, fin de l'histoire. Il aura peut-être rendu service à l'humanité. Ou pas.

Posté : lun. avr. 18, 2011 4:27 pm
par caliban
Thibaud E. a écrit : Deuxième cas, l'harmonisation. Quand un même cycle a été traduit par différentes
personnes, il n'est pas rares de voir des incohérences de traduction d'un volume
à l'autre. Je n'ai pas d'exemple en tête mais je suis sûr qu'on pourrait en trouver
des centaines.
Le cycle de Pern, de MacCaffrey, actuellement en cours de réédition intégrale chez
Pocket. Je suis curieux de voir ce que deviendront les volumes (mieux !) traduits par
Pierre-Paul Durastanti...
Thibaud E. a écrit : Troisième cas, la date de péremption. (...) les termes techniques
qui ont beaucoup évolué.
Mouais. Pas franchement convaincu, là-dessus. Les (vrais) termes techniques ont
parfois vieilli, mais sont précis et restent le plus souvent compréhensibles sans
problème. Ce qui ne passe plus, ce sont leurs adaptations foireuses par des traducteurs
qui ne les comprenaient pas eux-mêmes — comme une forme d'argot, en fait.

La question du cyberpunk est assez différente : ce sont souvent des termes qui ne
correspondaient à aucune réalité technique à l'époque, et qu'on tend aujourd'hui
à plaquer sur ce qui a été développé depuis.

Posté : lun. avr. 18, 2011 4:46 pm
par Thibaud E.
caliban a écrit :Mouais. Pas franchement convaincu, là-dessus. Les (vrais) termes techniques ont parfois vieilli, mais sont précis et restent le plus souvent compréhensibles sans problème. Ce qui ne passe plus, ce sont leurs adaptations foireuses par des traducteurs qui ne les comprenaient pas eux-mêmes — comme une forme d'argot, en fait.

La question du cyberpunk est assez différente : ce sont souvent des termes qui ne
correspondaient à aucune réalité technique à l'époque, et qu'on tend aujourd'hui
à plaquer sur ce qui a été développé depuis.
Merci pour la précision : c'est à peu près ce que je voulais dire, mais j'avais la flemme de développer ^^

Posté : lun. avr. 18, 2011 5:47 pm
par jerome
Parle nous des deux premiers titres. Comment et pourquoi les as-tu choisi ? Et qui est Nick Sagan ?

Posté : lun. avr. 18, 2011 6:47 pm
par Thibaud E.
Nick Sagan est auteur américain d'une quarantaine d'années, qui à ce jour n'a écrit que la trilogie que composent Idlewild, Edenborn et Everfree. Il écrit principalement pour la télévision -- on lui doit quelques épisodes de Star Trek. Il est le fils de Carl Sagan et, pour la petite histoire, c'est sa voix d'enfant que le cosmos entend depuis Voyager 1 et 2 clamer "Greeting from the children of Earth". Je n'ai malheureusement pas eu le plaisir de le rencontrer, aussi ne puis-je vous en dire beaucoup plus que ce qu'on trouve sur son site internet.

Son premier roman, Idlewild, commence comme un thriller assez classique au sein d'une réalité virtuelle, on pense à Dick bien sûr, à des œuvres comme Matrix, mais aussi aux Princes d'Ambre quant à la nature même de la réalité virtuelle. Comme dans le roman de Roger Zelazny, les personnages ont des pouvoirs quasi infinis sur leur environnement, dont ils se servent dans une espèce de guerre clanique qui n'a ni début ni fin. Comme dans les romans dickiens, l'intrigue est conduite par une saine paranoïa (voire une paranoïa salvatrice). Et puis, tout ceci bascule à un moment du livre dans tout autre chose, que je ne peux révéler sans spoiler l'intégralité, une seconde partie qui donne toute sa dimension au roman, lequel se révèle au final pas si léger qu'on pourrait le croire de prime abord.

Pourquoi l'avoir choisi pour la collection Nouveaux Millénaires ? C'est un roman sur lequel je lorgne depuis un bout de temps : j'avais failli le prendre à l'époque où je travaillais chez Folio SF -- merci au traducteur, Patrick Imbert, de me l'avoir fait découvrir --, mais la mode n'était plus aux inédits à cette époque particulière. Simple, divertissant et bien foutu, il ne révolutionne pas le genre, mais il renouvelle habilement quelques sujets. Il se trouve que je cherchais pour Nouveaux Millénaires un roman étranger d'un auteur encore inconnu en France, afin d'affirmer notre ambition éditoriale. Mais je voulais également un roman facile d'accès pour que tous puissent le lire. Avant de convaincre les lecteurs potentiels, je dois convaincre les représentants, qui à leur tour doivent convaincre les libraires. Et pour cela, c'est bien qu'ils l'aient lu, d'où la nécessité de commencer par un titre très accessible. Et puis, c'est le mot d'ordre de la collection, après tout, non ? Bref, Idlewild, en plus de beaucoup me plaire, remplit le contrat à 100%.

Deuxième titre dans la collection, Algernon, Charlie et moi, trajectoire d'un écrivain de Daniel Keyes, peut apparaître comme un choix incongru. Nous parlions de la difficulté de vendre des nouvelles... eh bien, les essais, c'est pire. Mais voilà : c'est Daniel Keyes, et c'est Algernon. S'il existe un auteur capable de faire le lien entre le lectorat mainstream et la science-fiction, c'est bien lui ! Tout le monde ou presque a lu Des Fleurs pour Algernon, une bonne partie d'entre nous l'a étudié à l'école. Nous parlons de plus d'un million d'exemplaires vendus rien qu'en France. Ajoutez à cela les bibliothèques et les prêts personnels et nous arrivons à une masse critique de lecteurs. Algernon intéresse le public, tous les publics, c'est un fait. Ce que ce livre (l'essai) propose, c'est de découvrir une partie de l'homme derrière l'œuvre, de comprendre comment ont germé et se sont épanouies les Fleurs, et de découvrir le tableau d'une période littéraire finalement assez méconnue du public français : les années 1950 et l'industrie du pulp.
Enfin, l'essai est suivi par la nouvelle "Des Fleurs pour Algernon" qui préexiste au roman et qui était indisponible en France depuis plus de vingt ans.

Posté : lun. avr. 18, 2011 6:50 pm
par Thibaud E.
Je dois préciser également que l'essai de Keyes n'était pas censé lancer la collection, mais qu'il s'est retrouvé propulsé là suite à l'abandon de Résonance de Pierre Bordage. Ceci explique un peu cela.

Pirates

Posté : lun. avr. 18, 2011 9:19 pm
par LHomme au Chapeau
Les pirates... Bof ! Oui, bien sûr. :twisted:

C'est vrai qu'on nous prédit la disparition du livre papier depuis des décénies.
Mais quand on tient un stand dans une petite convention sympa (je l'ai fais une demi-heure à imaJn'ère à Angers) on n'a pas cette impression. Surtout quand quelqu'un débarque et commence à faire une grosse pile de bouquins à acheter.

On a aussi dit qu'il y avait plus d'écrivains que de lecteurs. Peut-être... :?:

En tout cas une entreprise passionnée et raisonnée (car on ne peut pas négliger le côté économique) c'est toujours sympatique. :D
Et c'est du boulot qu'on peut encourager.

Patrice