Dans ce cas, le rejet aurait été de la part des LECTEURS de SF, pas des autorités légitimatrices, car, comme Silramil le rappelle, pour voir le motif métaphysique dans une oeuvre de SF, il faut la lire, il faut la connaître. Alors que le ridicule des pyjamas de Star Trek, ou du costume en caoutchouc de Godzilla, pas la peine de s'y plonger des heures pour trouver ça ridicule (En plus, Godzilla, c'est la même année que "les 7 samouraï").Lem a écrit : – mais il y avait aussi (c'est du moins l'hypothèse) une source de rejet cachée. Ceux qui sont venus au genre sur sa promesse explicite (la science, le futur), qu'ont-ils bien pu éprouver en découvrant qu'il grouillait de dieux, de surhommes aux pouvoirs métapsychiques, d'immortels, de spéculations absconses sur l'origine de l'univers, d'objets en violation totale avec les lois les plus élémentaires de la physique, d'hyperespace, de "triangles à quatre côtés", de "cristaux qui songe", de "guerre aux invisibles" (pour ne rien dire de la métaphysique basse : soucoupes volantes, Atlantide, etc.) Depuis un certain temps, comme l'a rappelé MF, la science a recommencé à faire un place à un certain nombre d'objets ou de concepts métaphysiques. Et par ailleurs, la métaphysique elle-même, en tant que discipline ou source poétique éventuellement, réintègre depuis dix-quinze ans le champ de la pensée. Mais en 1950, ce n'était pas du tout le cas, ni d'un côté, ni de l'autre. La science était réputée "froide" et la métaphysique discréditée. Quelle image les lecteurs venus à la SF sur son message originel (la science, le futur) ont-ils pu se forger du genre quand ils ont constaté la tératologie qu'il abritait et qui n'était annoncée nulle part ? Je crois, quelque chose comme : "mais… mais… ce n'est pas de la science, ça. C'est de la métaphysique pour ado, un franc n'importe quoi".
Que les lecteurs de SF qui aiment la science et le futur, n'aient pas bondi devant les objets métaphysiques, c'est une question pour les amateurs eux-mêmes, mais pour l'extérieur, le désintérêt existait déjà avant.
Comme il a été dit ailleurs par d'autres, si la science est un point central dans la SF, il n'est pas unique, et Borgès n'a pas été rejeté par les élites légitimatrices une fois qu'il a été installé en France. Au contraire, on l'a sorti du cadre SF pour le faire rentrer dans la littérature.(Et sur Borgès, dans le cadre de cette problématique : il n'était pas étiqueté SF, il ne promettait aucune "science", il écrivait fabuleusement, des textes très courts, à la limite de la poésie, de la vignette et de l'essai – il ne pouvait absolument pas être reçu dans les mêmes conditions. Ce sont les gens de la SF qui l'ont reconnu comme l'un des leurs, pas les prescripteurs qui l'ont classé sous l'étiquette.)
C'est le milieu SF qui fait rentrer Borgès sous l'étiquette SF, pour la littérature générale, cet étiquetage est très loin d'être reconnu. Comme pour "La Route" de McCarthy" où les critiques littéraires non-SF soient n'utilisent pas le terme, voire même expliquent en quoi ce n'est pas de la SF.
Ce qui serait intéressant de voir, c'est pourquoi Borgès a été exfiltré du camp de la SF pour être légitimé, pas pourquoi Borgès s'est retrouvé étiqueté SF par le fandom.