Lem a écrit :Idée pour sortir des apories inévitables : une expérience de pensée que chacun de vous peut faire.
Imaginez que vous croisiez Gérard Klein IRL et qu'il soit dans un bon jour.
Après quelques minutes de papotage, il ouvre sa sacoche, en tire un volume format roman – mais avec une couverture parfaitement blanche.
"C'est un jeu d'épreuves corrigées", explique-t-il. "C'est un roman que je vais publier dans Ailleurs & Demain. Je te le prête, si tu veux."
Et avant que vous puissiez ajouter quoi que ce soit, il file en vous abandonnant le jeu d'épreuves dans les mains car Il A D'Autres Obligations.
Vous rentrez chez vous et regardez le volume d'épreuves corrigées.
Il est d'une épaisseur moyenne : un roman "normal".
Vous ne connaissez pas le titre (il ne figure pas même en pages intérieures).
Vous ne connaissez pas l'auteur.
Vous ne savez rien de l'histoire ou du style (pas de quatrième de couverture).
Tout ce que vous savez, c'est que GK l'a acheté pour sa collection où sont récemment parus des textes aussi divers que Trames (Banks), Un secret de famille (Stross), Le quatuor de Jerusalem (Wittemore), Une invasion martienne (McAuley), Eifelheim (Flynn), Nuigrave (Murrail), Roma Æterna (Silverberg)…
Du space-opera, de la quasi-fantasy, de la littérature inclassable, du technothriller, de la SF au moyen-âge, de l'anticipation sociale, une uchronie…
Vous vous placez de vous-même dans le bon état d'esprit pour recevoir comme il se doit ce texte dont vous ignorez tout sinon qu'il va aller rejoindre tous ceux-là, qu'il est potentiellement aussi divers que tous ceux-là puisque cette diversité, c'est précisément ce qui caractérise le label SF.
Exercice : caractérisez cet état d'esprit.
Allez, je joue.
Je crois que je suis dans un état d'esprit ... dichotomique.
- Est-ce que le texte veut me distraire ou me faire réfléchir ? (valable quelque soit la collection ou le genre...)
et la variante :
- est-ce qu'il y a une intention politique ou sociale perceptible ?
Puis, spécifiquement en SF :
- Est-ce que l'action va démarrer en terrain connu ou en terre inconnue ?
- Est-ce que je vais rencontrer une question scientifique centrale où une diversité de questions ?
- Est-ce que l'auteur essaie de m'égarer dans une fausse piste (comme souvent dans des nouvelles) ou est-ce que le déroulement sera plutôt linéaire ?
- clichés ou idées originales ?
- clichés respectés ou détournés ?
Bref, la démarche sera... spéculative. Ce qui créée pour moi l'unité du genre. En fantasy, on peut parfois deviner l'essentiel de la trame de l'histoire dès le premier quart. Quand c'est bien fait, la suite se déguste pourtant avec la connaissance de l'inéluctable, comme un
art de la fugue de Bach. En polar, la spéculation est recentrée essentiellement dans le suspense, énigme ou dénouement. En mainstream, le diable est dans les détails : on sait déjà que les personnages ne peuvent rencontrer que leur vie, l'amour, la mort, on se demande juste comment ça va se dérouler et se raconter. Mais seule la SF offre le questionnement le plus large, le plus dichotomique, sur la forme autant que sur le fond. Mon seul désaccord avec giangi tient finalement au fait que je considère que c'est ce qui fait le genre, alors que lui voit plus ça comme un "méta-genre" ... si je ne déforme pas trop son propos (cette fois).
L'écueil reste cependant l'effet "cases" : en démarrant la lecture d'
Axiomatique d'Egan, notamment suite aux évocations insistantes de cet auteur dans ce fil, je me suis dit dans la première nouvelle : "ah, c'est une histoire de mondes parallèles", puis dans la seconde "ah, c'est l'histoire des prophéties auto-réalisatrices" ... ce qui a pour effet de couper un peu la spéculation. (heureusement, la force d'Egan semble un peu tenir dans sa capacité à "exploser" les cases... tout en s'y cantonnant strictement !)