Est-ce que pour toi la langue française
est plutôt un outil formidable
ou tout simplement bonne à torturer ?
Mais "quels sont tes rapports avec la langue française"
et, bien sûr,
que pense-tu de cet espèce de combat de titans
qu'elle livre à la langue anglaise ou plus généralement anglo-saxonne ?
Salut Jacques Ah ! (j'aime beaucoup ce nom !),
Pour moi, la langue française est un bijou absolument extraordinaire et disposant de ressources quasi-infinies. Je travaille en ce moment (péniblement) avec l'anglais pour mon jeu vidéo et notamment avec l'Oxford dictionnary et c'est incroyable le nombre de mots anglais qui sont directement tirés du français. Je ne suis pas linguiste mais il me semble que le Français, vieux ou non, a donné beaucoup plus de mots à l'Anglais que l'inverse, oufff !
Dans ma pratique, la langue française n'est ni à respecter ni à torturer, c'est juste comme les couleurs ou les notes de musique : j'ai 18 voyelles (eh oui) et 16 consonnes à ma disposition et environ 60 000 mots de base, c'est immense et amplement suffisant, sauf qu'il faut à chaque phrase essayer d'atteindre "au plein rendement des mots" comme disait Mallarmé et que ça implique d'aller chercher aux frontières des potentialités parfois (ponctuation, caractères ascii, rythme visuel…). Ce qui est acquis à mes yeux, c'est que le langage opère sur le lecteur à quatre niveaux : un niveau sémantique (le sens des mots), un niveau purement auditif (le son produit par les phonèmes, la musique) qui touche fortement à la sensation transmise, un niveau visuel (la forme des lettres et leur impact, la masse des mots, les blancs, la mise en page, la forme de la page ou du paragraphe) qui véhicule également beaucoup et un niveau très corporelle, très enfoui, celui de la sub-articulation qu'on produit quand on lit, de façon inconsciente. Jouer avec ses quatre ressources est un travail de titan mais aussi un bonheur fabuleux, j'apprends concrètement tous les jours. Par exemple, je peux passer une heure à étudier le couplage -ct : deux plosives sourdes accolées comme ça, qu'est-ce que ça produit au son, à la sensation, comment ça se prononce en bouche, quels mots utilisent ça ? C'est un son très sec, dissocié, qui pète (intellect, transect, acte, tract, docte, etc), quelle sensation un peu précieuse, arrogante, mais pleine de potentiel aussi, ça produit ?
Sur le rapport à la langue anglaise, ne me gêne pas l'importance de l'anglais, qui est aussi une langue magnifique sur le plan littéraire (par exemple sur la description de la lumière et des bruits, quelle palette !), Mallarmé était prof d'anglais, ma mère aussi, mais par contre me révulse son utilisation comme langue morte de communication, comme esperanto vide et technique, comme "mot d'ordre" pour parler comme Guattari. Ça tue l'Anglais tout autant que ça tue le Français et parfois, je me demande même si le Français ne s'en trouve pas protégé dans sa chair, de ne pas être la langue du commerce et de l'échange mondialisé.