Lensman a écrit :Sarmate a écrit :. Et qui n'empêchent pas, par ailleurs, de s'intéresser aussi à l'esthétique.
Tiens, comment tu définis l'esthétique? Pour moi, ça fait partie de ces termes que l'on emploie tout le temps, mais dont on ne sait jamais trop bien ce qu'ils recouvrent.
Oncle Joe
Je vais répondre de façon concise, donc forcément réductrice.
L'esthétique comporte l'ensemble des procédés qui visent à donner de la beauté au texte.
Au sens traditionnel, l'esthétique se rapporte plutôt au style, c'est-à-dire aux procédés formels conçus pour toucher la sensibilité du lecteur. (Stratégies narratives, rythmes, registres, figures, etc…) Toutefois, elle n'est pleinement efficace que lorsqu'il y a correspondance entre la forme et son contenu. Le système d'échos ainsi créé peut générer un sentiment de vertige esthétique chez le lecteur qui le perçoit.
Un petit exemple. Voici deux paragraphes d'
Un Roi sans divertissement, de Jean Giono. Ces paragraphes se situent au début de la deuxième partie du roman, quand le personnage principal, Langlois, revient après une absence. Ils précèdent immédiatement la réapparition de Langlois :
C'était vers la fin du printemps, au crépuscule du soir. Un très beau crépuscule que nous avons souvent : gentiane et or. On se préparait aux grands travaux de l'été et, présentement, on farfouillait un tout petit peu dans les jardins potagers au lieu-dit Pré-Villars, dans la boucle de la route de Saint-Maurice. A cet endroit-là, la route débouche d'une tranchée, au-dessus d'une cuvette dans laquelle tout le village a ses potagers, et pour aller entrer au village, la route fait le tour de cette cuvette, presque un rond complet.
Il ne s'agissait pas, ni à cette heure ni en cette saison, de travaux rapides ou qui accaparent votre attention ; c'étaient des rigoles d'arrosage qu'on faisait, ou bien on buttait ; ce qui permet de lever souvent la tête. Surtout dans ces beaux soirs de velours.
Si on s'intéresse à la structure de cette description, on se rend compte que la figure du rond est évoquée au centre (fin du deuxième paragraphe), tandis que les deux paragraphes sont structurés par une épanadiplose, (figure qui consiste à reprendre le même thème ou la même expression au début et à la fin d'une unité syntaxique ou narrative), puisque le soir est le sujet de la première phrase et de la dernière phrase. En d'autres termes, la structure de ces paragraphes est circulaire. Or elle précède immédiatement un retour, dans lequel le cercle va réapparaître dans une discrète métaphore filée. Mieux encore : les trois parties du roman sont itératives, puisqu'elles se terminent toujours par le même schéma (mise à mort du monstre), et l'or qui apparaît dans le premier paragraphe est aussi la dernière couleur qui sera citée dans la dernière page du roman, au moment de la mort du héros qui, ici, s'apprête à apparaître.
Nous avons donc ici l'exemple type d'une série de correspondances entre la forme et le sujet, qui manifeste une démarche esthétique.
Ceci dit, il faut aussi ajouter deux précisions :
1. L'esthétique d'une œuvre peut reposer sur autre chose que des procédés strictement formels. Les jeux intertextuels ou la dimension réflexive peuvent aussi susciter un sentiment esthétique.
2. Même si l'esthétique est très fréquente dans les œuvres littéraires, elle n'est pas une condition sine qua non de sa littérarité, si d'autres caractéristiques littéraires y sont observables.