Julien GRACQ - Le Rivage des Syrtes

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Nébal
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Julien GRACQ - Le Rivage des Syrtes

Message par Nébal » mer. sept. 15, 2010 11:45 pm

Hop !

A tout prendre, il n’y aurait rien de bien saugrenu à qualifier Le Rivage des Syrtes (Goncourt refusé, la classe), au-delà de roman surréaliste, au moins de « transfiction », voire de fantasy (sans magie) ou d’uchronie.

Le cadre est en effet bien celui d’un monde secondaire, mais finalement guère différent du nôtre : une Méditerranée fantasmée, difficile à situer dans le temps, quelque part entre le baroque du Grand Siècle – on évoque Louis XIV – et la vapeur de la Révolution industrielle. Dans cette Méditerranée « autre », deux puissances nous (pré)occupent : Orsenna, d’une part, incarnation d’une vieille Italie aristocratique et décadente, et le Farghestan, archétypal de l’Orient et de ses mystères.

Orsenna et le Farghestan sont censément en guerre depuis près de 300 ans, notamment pour la possession des Syrtes, une terre semi-désertique d’une valeur pour le moins douteuse ; mais, à la vérité, cela fait bien longtemps que le conflit a sombré dans l’oubli, et, si aucun traité de paix, ni même cessez-le-feu, n’a été signé, on n’a pas versé le sang depuis des années…

Le narrateur, Aldo, est un jeune aristocrate d’Orsenna, issu d’une très vieille famille. En tant que tel, il s’ennuie. Aussi accepte-t-il avec joie un poste en apparence pourtant fort ennuyeux lui aussi : celui d’Observateur de l’Amirauté des Syrtes, chargé d’établir des rapports au Conseil de Surveillance sur ce qui s’y passe. Il y fait la rencontre du capitaine Marino et d’un certain nombre de plus jeunes comparses, dont le bouillant Fabrizio, et se met au travail, dans l’atmosphère léthargique des Syrtes. Là-bas, il n’y a pas grand-chose à faire… à part attendre.

On attend, donc. Mais Aldo, comme beaucoup de jeunes exaltés, croit détecter l’activité du Farghestan au moindre signe. Et, dans la ville voisine de Maremma, devenue étrangement une destination de choix pour la noblesse d’Orsenna – la belle Vanessa en tête –, on parle beaucoup, on dit que les choses ont changé au Farghestan… Et à la crainte et à la curiosité se mêle bientôt la tentation de la provocation…

On le voit : Le Rivage des Syrtes a bien sa place dans les littératures de l’imaginaire, n’en déplaise aux culs-serrés (oui, encore eux). Mais peu importent après tout ces questions de classification. Ce qui frappe avant tout, à la lecture de ce grand roman de Julien Gracq, c’est bien évidemment…

QUE BORDEL DE MERDE DE PUTAINS DE BOUQUINS NON MASSICOTÉS ZOB À LA FIN ON EST AU XXIe SIÈCLE QUOI MERDE !



Aheum…

Pardon.

Je disais donc : ce qui frappe avant tout, à la lecture de ce grand roman de Julien Gracq, c’est bien évidemment le style ; la plume de l’auteur est de toute beauté de la première à la dernière ligne, multipliant descriptions enchanteresses (dans un registre pourtant vaguement morbide), paysages intérieurs d’une grande richesse et dialogues subtils et baroques (un peu trop, peut-être, d’ailleurs ; mais bon : qui suis-je pour juger Gracq ?). Un régal, parfois ardu – non, ce n’est pas exactement de la littérature de métro… –, mais toujours d’une justesse rare. Certains passages – trop nombreux ou trop « révélateurs » pour être cités ici – sont tout simplement à tomber par terre.

Les personnages ne sont pas en reste, et en premier lieu Aldo et Marino, qui forment un joli duo, puis, en définitive, le superbe Danielo (je suis plus réservé en ce qui concerne la manipulatrice Vanessa, dont les apparitions mélodramatiques ont eu parfois tendance à m’ennuyer quelque peu…). Autant de figures complexes et complémentaires, chacune dotée d’une personnalité propre et de tics bien particuliers, de façons d’être qui ne les rendent que plus authentiques, plus humaines.

L’histoire, enfin, sous ses aspects en apparence léthargiques, dans un premier temps tout du moins (ressemblance avec Le Désert des Tartares de Dino Buzzati, autre « roman de l’attente » ? Faut que je le lise, celui-là aussi, ça fait un bail que je me le dis…), se révèle en fin de compte passionnante et pertinente ; et sous le roman psychologique teinté de mélodrame, se dissimule en définitive aussi un grand roman politique.

Auréolé de tous ces atouts, on comprend l’enthousiasme général pour cette merveille qu’est Le Rivage des Syrtes. Je ne fais pas exception, et vous encourage fortement à lire ce roman hors-normes.

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Lensman
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Re: Julien GRACQ - Le Rivage des Syrtes

Message par Lensman » jeu. sept. 16, 2010 7:17 am

Nébal a écrit :
On le voit : Le Rivage des Syrtes a bien sa place dans les littératures de l’imaginaire, n’en déplaise aux culs-serrés (oui, encore eux).
Heu... tu peux me citer un critique, un seul, qui explique que cet excellent récit n'a pas sa place dans les littératures de l'imaginaire ???
Oncle Joe

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Nébal
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Message par Nébal » jeu. sept. 16, 2010 7:28 am

Honnêtement : non, je plaide coupable. Mais - force de l'habitude ? - j'ai du mal à le concevoir. Et les rayonnages aussi.

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. sept. 16, 2010 7:31 am

Nébal a écrit :Honnêtement : non, je plaide coupable. Mais - force de l'habitude ? - j'ai du mal à le concevoir. Et les rayonnages aussi.
Pas compris !
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Sarmate
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Message par Sarmate » jeu. sept. 16, 2010 7:44 am

Roman subtil, avec des faux airs de roman d'aventure où l'action demeure presque suspendue, du très beau style, et le filage du vertige que l'on ressent à l'approche des transgressions et des catastrophes.

Gracq a raconté qu'à l'origine du roman, il avait d'abord pensé à une scène de bataille navale entre les flottes d'Orsenna et du Farghestan ; en définitive, il s'en est abstenu (la narration n'évoque que rapidement les batailles du passé, et ne traite que par allusion l'invasion imminente). Ce qui en reste, c'est une ivresse de fin d'empire. L'uchronie, le fantastique et l'apologue affleurent sans jamais s'imposer complètement, ce qui place le lecteur dans un no man's land générique, mise en abîme plaisante pour un roman de la frontière. Certaines passages sont de vraies merveilles, comme l'approche du Tängri ou les derniers chapitres, peignant l'orgueil d'une vieille métropole au bord de l'abîme.
Modifié en dernier par Sarmate le jeu. sept. 16, 2010 2:13 pm, modifié 1 fois.

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. sept. 16, 2010 7:52 am

Pierre Versins aimait rapprocher Julien Gracq de Dino Buzzati (ou réciproquement...), ce qui me semble assez juste.
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Re: Julien GRACQ - Le Rivage des Syrtes

Message par ansset » jeu. sept. 16, 2010 8:14 am

Nébal a écrit :Hop !
QUE BORDEL DE MERDE DE PUTAINS DE BOUQUINS NON MASSICOTÉS ZOB À LA FIN ON EST AU XXIe SIÈCLE QUOI MERDE !
Ouai. Achat en aveugle...

Fabien Lyraud
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Message par Fabien Lyraud » jeu. sept. 16, 2010 11:58 am

Personnellement je l'ai lu comme une uchronie reflétant un état de guerre froide entre une cité etat du sud de l'Italie, Orsenna et une Sicile islamisée, Farghestan.
Bref, lecture iconoclaste de l'oeuvre sans doute.
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Message par dracosolis » jeu. sept. 16, 2010 12:33 pm

Fabien Lyraud a écrit :Personnellement je l'ai lu comme une uchronie reflétant un état de guerre froide entre une cité etat du sud de l'Italie, Orsenna et une Sicile islamisée, Farghestan.
Bref, lecture iconoclaste de l'oeuvre sans doute.
je sais pas ce que tu prends Fabien , mais J'EN VEUX
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Message par Aldaran » jeu. sept. 16, 2010 1:26 pm

dracosolis a écrit :
Fabien Lyraud a écrit :Personnellement je l'ai lu comme une uchronie reflétant un état de guerre froide entre une cité etat du sud de l'Italie, Orsenna et une Sicile islamisée, Farghestan.
Bref, lecture iconoclaste de l'oeuvre sans doute.
je sais pas ce que tu prends Fabien , mais J'EN VEUX
Mouarf, au vu des doses qu'il prend, doit plus rester grand-chose pour les autres...

Bethely
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Gracq

Message par Bethely » jeu. sept. 16, 2010 3:29 pm

Je partage l'avis des intervenants sur Gracq et « Le Rivage des Syrtes », publié en 1951.

Le rapprochement avec Dino Buzzati et son « Désert des tartares » (1940, traduction en 1949) est évident, et on peut penser (Quelqu'un a-til une certitude ?) que Gracq avait lu le roman de l'Italien avant d'écrire le sien (ce qui ne retire rien à son talent, la littérature moderne étant évidemment intertextuelle...). Je recommande aussi « Au château d'Argol » et, plus historique (cette étrange histoire d'amour se déroule en mai 1940, dans les Ardennes), « Un Balcon en forêt ».

J'aurais tendance à classer Gracq dans le fantastique, mais, en réalité, plusieurs de ses ouvrages flirtent avec une sorte de « fantasy floue »...

On regrettera juste l'élitisme de l'auteur et de son éditeur (Corti) qui empêche la parution du livre en poche... Même si on saluera la fermeté de Gracq, qui a toujours dénoncé le prix Goncourt et l'a refusé (il est le seul à l'avoir fait !) lorsqu'il lui a été décerné... Et dont il faut lire le redoutable essai sur la littérature.

Amateurs d'action à tout prix, s'abstenir néanmoins !

arsenie
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Message par arsenie » jeu. sept. 16, 2010 4:34 pm

Vous m'avez tous vraiment donné envie de lire ce livre
- J'ai trouvé le prix le plus bas pour l'édition de 1951 (10€ avec le port) sur" priseministère" (il en reste!)

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Re: Julien GRACQ - Le Rivage des Syrtes

Message par bormandg » ven. sept. 17, 2010 8:43 pm

Lensman a écrit :
Nébal a écrit :
On le voit : Le Rivage des Syrtes a bien sa place dans les littératures de l’imaginaire, n’en déplaise aux culs-serrés (oui, encore eux).
Heu... tu peux me citer un critique, un seul, qui explique que cet excellent récit n'a pas sa place dans les littératures de l'imaginaire ???
Oncle Joe
Tu prends n'importe quel critique du genre Pivot, et il t'expliquera que c'est de la "vraie" littérature, rien à voir avec les "littératures de genre (imaginaire)"
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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Re: Gracq

Message par bormandg » ven. sept. 17, 2010 8:49 pm

Bethely a écrit :Je partage l'avis des intervenants sur Gracq et « Le Rivage des Syrtes », publié en 1951.

Le rapprochement avec Dino Buzzati et son « Désert des tartares » (1940, traduction en 1949) est évident, et on peut penser (Quelqu'un a-til une certitude ?) que Gracq avait lu le roman de l'Italien avant d'écrire le sien (ce qui ne retire rien à son talent, la littérature moderne étant évidemment intertextuelle...). Je recommande aussi « Au château d'Argol » et, plus historique (cette étrange histoire d'amour se déroule en mai 1940, dans les Ardennes), « Un Balcon en forêt ».

J'aurais tendance à classer Gracq dans le fantastique, mais, en réalité, plusieurs de ses ouvrages flirtent avec une sorte de « fantasy floue »...

On regrettera juste l'élitisme de l'auteur et de son éditeur (Corti) qui empêche la parution du livre en poche... Même si on saluera la fermeté de Gracq, qui a toujours dénoncé le prix Goncourt et l'a refusé (il est le seul à l'avoir fait !) lorsqu'il lui a été décerné... Et dont il faut lire le redoutable essai sur la littérature.

Amateurs d'action à tout prix, s'abstenir néanmoins !
Entièrement d'accord avec toi, en particulier sur le rapprochement du Rivage avec le Désert, que Gracq a toujours nié, alors que son livre paraît une riposte, un retirage inversé de celui de Buzzati, et sur les autres oeuvres de Gracq.
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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