Silverberg - Roma Aeterna

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Patrice
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Silverberg - Roma Aeterna

Message par Patrice » ven. déc. 22, 2006 3:07 pm

Salut,

J'ai rendu il y a quelques temps ma critique de Robert Silverberg, Roma Aeterna, à Présence d'Esprit (mes excuses encore à Olivier!).

J'aimerais revenir sur la critique d'Eric:
Hors, soucieux d'éviter toute polémique, on reste dans l'agréablement divertissant, sans jamais passer la vitesse supérieure. Américain européanophile, Silverberg aurait au moins pu s'autoriser à laisser planer l'ombre d'un engagement personnel sur cette collection de nouvelles écrites en une douzaine d'années. Le temps passé à les écrire, alors que le monde au dehors changeait du tout au tout, aurait même pu devenir un atout majeur. Mais non. Certes Roma Eterna se hisse sans peine hors de la médiocrité ambiante du genre. C'est, et de loin, son meilleur livre depuis bien longtemps, qui surpasse aisément Le long chemin du retour, son dernier et pénible effort paru en France chez le même éditeur. Mais le parti pris dans lequel il engage son empire, est celui du moindre risque. Celui du consensus.
Je ne suis pas du tout d'accord avec cette idée comme quoi Silverberg n'a pris de risque. Au contraire, il a pris un risque énorme, celui de suivre certains penseurs du XIXe siècle et du début du XXe siècle pour lesquels l'Histoire suit un cours inexorable et immuable, quels que soient les événements (nécessairement mineurs) qui surviennent.
Ca se rapproche de la pensée de Pierre Teilhard de Chardin, philosophe jésuite (mais aussi paléontologue: on rejoint la passion de Silverberg pour l'Histoire), sur ce cours inexorable, de l'alpha à l'oméga.
Il a aussi la pensée de Tolstoï (pas Alexei, auteur de Science Fiction, mais bien Léon, alias Lev) dans les derniers chapitres de La Guerre et la Paix, qui mène une réflexion similaire sur l'Histoire, partant du principe que si Napoléon n'avait pas entrainé une nuée de peuples (Français, Italiens, Allemands, Polonais, etc.) à la conquête de l'Europe centrale et de la Russie, un autre l'aurait sans doute fait car ce sont les masses, les peuples, qui font l'Histoire, et non de simples individus (on a là le principe d'une belle uchronie!).

Le risque de Silverberg est donc d'incorporer à son uchronie des concepts aussi peu évident. On attend toujours d'une uchronie un changement radical, un jeu du "et si..." qui oblige à innover. Pas forcément: et si l'uchronie, c'était pareil que maintenant? Pas facile à mettre en oeuvre, n'est-ce pas?

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Eric
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Message par Eric » ven. déc. 22, 2006 5:09 pm

Je n'avais pas évoqué le risque et l'engagement dans ce sens là. Décider d'écrire un livre, et spécialement de science fiction est déjà un risque intellectuel.

Cela dit – et même si je sais que Silverberg s'est toujours gardé d'un quelconque engagement –, une chose est certaine, on ne peut pas écrire sur un empire, une œuvre d'inspiration historique qui plus est, sans établir de parallèle avec notre monde et notre époque.

Un pareil sujet, de la part d'un auteur américain, un projet dont l'écriture est conduite sur plus de dix ans, et qui pendant ce laps de temps a vécu les attentats du WTC, appelait selon moins plus d'implication. Du coup, j'ai eu l'impression de lire des nouvelles écrites par un vieux monsieur qui se fout de tout et se refuse à commenter la marche du monde.

Au choix on pourra parler de sagesse ou de refus de s'emmerder. Pour moi, ça a clairement été la seconde option, et je suis ressorti du livre avec le sentiment qu'il était passé à côté de son propos.
"Ueeuuggthhhg", laissa échapper Caity. Ce qui aurait pu vouloir dire n’importe quoi.

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kibu
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Message par kibu » ven. déc. 22, 2006 5:44 pm

Le risque de Silverberg est donc d'incorporer à son uchronie des concepts aussi peu évident. On attend toujours d'une uchronie un changement radical, un jeu du "et si..." qui oblige à innover. Pas forcément: et si l'uchronie, c'était pareil que maintenant? Pas facile à mettre en oeuvre, n'est-ce pas?
Effectivement, pas facile. Ne dit-on pas souvent que la date de divergence doit être à la portée d'un élève de collège. Ce qui relativise le renouvellement considérablement par la même occasion.
Par contre, même si j'ai apprécié certains textes de Roma Aeterna, je trouve comme Eric que Silverberg par manque d'engagement, est passé à côté de son sujet.
Dans un même ordre d'idées, Kim Stanley Robinson a imaginé, avec The years of Rice and Salt, une uchronie supérieure en matière de vraisemblance et d'engagement.
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erispoe
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Re: Silverberg - Roma Aeterna

Message par erispoe » ven. déc. 22, 2006 6:05 pm

Patrice a écrit : [Silverberg] a pris un risque énorme, celui de suivre certains penseurs du XIXe siècle et du début du XXe siècle pour lesquels l'Histoire suit un cours inexorable et immuable, quels que soient les événements (nécessairement mineurs) qui surviennent.
Ca se rapproche de la pensée de Pierre Teilhard de Chardin, philosophe jésuite (mais aussi paléontologue: on rejoint la passion de Silverberg pour l'Histoire), sur ce cours inexorable, de l'alpha à l'oméga.
Il a aussi la pensée de Tolstoï (pas Alexei, auteur de Science Fiction, mais bien Léon, alias Lev) dans les derniers chapitres de La Guerre et la Paix, qui mène une réflexion similaire sur l'Histoire, partant du principe que si Napoléon n'avait pas entrainé une nuée de peuples (Français, Italiens, Allemands, Polonais, etc.) à la conquête de l'Europe centrale et de la Russie, un autre l'aurait sans doute fait car ce sont les masses, les peuples, qui font l'Histoire, et non de simples individus (on a là le principe d'une belle uchronie!).

Le risque de Silverberg est donc d'incorporer à son uchronie des concepts aussi peu évident. On attend toujours d'une uchronie un changement radical, un jeu du "et si..." qui oblige à innover. Pas forcément: et si l'uchronie, c'était pareil que maintenant? Pas facile à mettre en oeuvre, n'est-ce pas?
Pour Teilhard, "tout ce qui monte converge" vers l'omega, comme tu l'écris. Il s'agit en effet d'une sorte de "mouvement inexorable", mais il s'applique plus à la "conscience humaine" (désolé, je ne trouve pas de meilleure expression) qui viserait à rapprocher l'humain du divin. Je ne suis pas sûr qu'on puisse rapprocher cette évolution de l'espèce humaine d'une évolution historique qui serait elle-aussi "inexorable".

En ce qui concerne l'histoire et l'importance des "grands hommes" dans son déroulement, on peut s'interroger sur la façon dont les historiens ont rendu compte du phénomène.

En France, l'Ecole Méthodique, de la fin XIXème-début XXème siècle, a sans doute privilégié le rôle des individus dans sa façon d'expliquer les évolutions historiques (domination de l'histoire politique, diplomatique et militaire, bref de l'histoire événementielle... et des biographies historiques).

Après la Seconde Guerre mondiale, les historiens universitaires français ont plutôt privilégié l'étude des masses dans la lignée de l'Ecole des Annales fondée par Lucien Febvre et Marc Bloch dans l'entre deux guerres. Dans sa thèse La Méditerranée à l'époque de Philippe II, Fernand Braudel présente ses 3 temps de l'histoire : un temps "rapide" de l'individu, de l'histoire politique, militaire, etc... (et qui se mesure en années ou en décennies) comparé aux vagues qui agitent la surface de l'océan ; un temps plus lent, propre aux grandes évolutions économiques et sociales (qui se mesure sur une échelle de quelques siècles) qu'il compare aux courants marins de "moyenne profondeur" (qui se mesure en siècles) ; un temps long et très lent, celui des phénomènes "géographiques" et naturels (qui se mesure en siècles ou en millénaires) qui correspondrait aux courants marins des grandes profondeurs. A cette époque, l'individu est alors "noyé" par la masse pour la plupart des universitaires français. On en arrive même à un livre comme celui de Pierre Goubert intitulé Louis XIV et vingt millions de Français, qui étudie finalement bien plus la population française que le roi-soleil.
Depuis les années 70, le rôle de l'individu commence à être réévalué. Un retour d'une certaine histoire politique (René Rémond et consorts), le succès des biographies historiques (des éditions Fayard ou Perrin principalement), les "biographies" d'inconnus (la micro-storia italienne avec Le Fromage et les vers qui s'intéresse aux croyances d'un meunier du Frioul condamné par l'Inquisition ou la biographie d'un parfait inconnu par Alain Corbin Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, sur les traces d’un inconnu, 1798-1876 ) ... ont favorisé ce retour à l'étude historique centrée sur l'individu, même s'il ne s'agit plus forcément d'un "grand homme".

Les uchronies qui reposent sur le rôle d'un individu (Pavane par exemple qui commence sur l'assassinat d'Elisabeth 1ère) ou sur le résultat d'une bataille (Napoléon gagne à Waterloo) ont trop souvent cherché à créer un décalage parfois un peu artificiel en effet. Le rôle des masses et du temps géographique braudélien est souvent minoré par des auteurs (d'ailleurs qu'en est-il des écoles historiques anglo-saxonnes ?) soucieux d'inventer un possible complètement différent. Tu as raison de dire que l'uchronie pourrait aussi être "paril à maintenant"... Surévaluer le rôle des individus aux dépens des grandes tendances historiques risque de créer des possibles assez peu vraisemblables.

Tes propos me donnent envie de me pencher sur Roma Aeterna afin de pouvoir me faire ma propre idée.

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Message par orcusnf » ven. déc. 22, 2006 6:34 pm

pour ma part, je me suis ennuyé ave roma aeterna, c'était vraiment bof comme recueil, il a déjà fait beaucoup mieux.
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Message par kibu » ven. déc. 22, 2006 6:36 pm

Aaah ! Le fameux temps individuel.
Non plus une vision historique mais des visions historiques individuelles. Ce serait intéressant de bâtir une Uchronie entièrement sur ce principe.
Et une uchronie des vaincus.
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Message par sandrine.f » ven. déc. 22, 2006 6:49 pm

orcusnf a écrit :pour ma part, je me suis ennuyé ave roma aeterna, c'était vraiment bof comme recueil, il a déjà fait beaucoup mieux.
c'est aussi mon avis, et encore j'ai lu les nouvelles dès leur parution en magazine. Certainement très bien documenté et original comme point de divergence mais les intrigues de cour impériale où les expéditions coloniales avortées ne m'ont absolument pas convaincue.

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Patrice
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Message par Patrice » ven. déc. 22, 2006 7:08 pm

Salut Erispoe,

C'est vrai, je n'avais pas pensé à ça: la conception de l'Histoire de Silverberg rejoint celle des historiens de tendance marxiste.

Une seule exception à la règle: l'Empire romain de Silverberg échappe au péril musulman par l'élimination d'un seul homme, Mahomet.

Pour répondre à Orcus et Sandrine, c'est exact que si on n'est pas réellement passionné par l'Histoire et ses mécanismes (ou du moins les théories sur ses mécanismes), le manque d'action de ce livre se fait cruellement ressentir.

Mais moi je l'ai plus vu comme un livre "philosophique" qu'un roman. Un véritable essai.

Et pour répondre à Eric, je crois que le but de Silverberg n'était pas de "commenter la marche du monde", mais de la présenter, ce qui est déjà bien difficile à faire, étant donné l'ampleur de l'action (qui ne se limite pas à quelques personnages, contrairement à la plupart des autres uchronies).

A+

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Message par erispoe » ven. déc. 22, 2006 8:23 pm

Patrice a écrit :C'est vrai, je n'avais pas pensé à ça: la conception de l'Histoire de Silverberg rejoint celle des historiens de tendance marxiste.
C'est vrai que les historiens français marxistes se sont intéressés aux masses et à leur influence sur le déroulement historique.
Mais l'audience de l'Ecole des Annales (Marc Bloch et Lucien Febvre) s'est étendue après guerre à un très grand nombre d'historiens dont un nombre non négligeable n'étaient pas marxistes. Braudel, pour ne parler que de ce "mandarin", était tout sauf marxiste...
Kibu a écrit :Ne dit-on pas souvent que la date de divergence doit être à la portée d'un élève de collège. Ce qui relativise le renouvellement considérablement par la même occasion.
Ca limite même énormément les dates de divergence susceptibles d'intéresser un lecteur non spécialiste (je sais que tu es bien placé pour estimer à son juste niveau les connaissances historiques d'un collégien "moyen"...). Personnellement, je rêve d'une uchronie dont la date de divergence se situerait lors de la Bataille de Saint-Aubin du Cormier en 1488...

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Message par Eric » ven. déc. 22, 2006 10:46 pm

Patrice a écrit :je crois que le but de Silverberg n'était pas de "commenter la marche du monde", mais de la présenter, ce qui est déjà bien difficile à faire, étant donné l'ampleur de l'action (qui ne se limite pas à quelques personnages, contrairement à la plupart des autres uchronies).
C'est un cahier des charges intenable. On ne peut pas présenter la marche du monde sans en démonter les mécanismes. Et la manière de les démonter, est déjà, en soi, une démarche engagée.

Ce qui m'a gêné, c'est cette impression que Silverberg a consciencieusement évité l'implication. Ça donne finalement un résultat bâtard. Il prétend à une sorte d'objectivité historique, mais même les historiens les plus sérieux ne s'en prévalent pas.

Le fond du problème c'est que je crois que Robert Silverberg n'a plus rien à dire (ou plus envie de se donner la peine de dire quelque chose), seulement des sous à gagner.

Et croyez-moi, vu l'admiration éperdue que j'ai pour cet écrivain, il m'en coûte horriblement de dire ça.
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Message par kibu » sam. déc. 23, 2006 11:34 am

Erispoe >>> Rhooo ! Avec tout ce que la France doit à la Bretagne. Moi, je rêve d'une uchronie où l'humanité a été détruite dès sa naissance par un astéroïde, par exemple. Une short short quoi !
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Message par orcusnf » ven. déc. 29, 2006 2:52 pm

Patrice a écrit :Pour répondre à Orcus et Sandrine, c'est exact que si on n'est pas réellement passionné par l'Histoire et ses mécanismes (ou du moins les théories sur ses mécanismes), le manque d'action de ce livre se fait cruellement ressentir.
Le problème, c'est que je suis étudiant en histoire, et notamment en histoire antique. C'est pas l'histoire le problème, c'est le style qui ne m'a pas plu. Autant j'ai aimé l'homme dans le labyrinthe, autant je me suis ennuyé avec roma aeterna.
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Message par Eric » sam. déc. 30, 2006 12:00 am

Intéressant ! Qu'est ce qui t'a gêné dans le style ?
"Ueeuuggthhhg", laissa échapper Caity. Ce qui aurait pu vouloir dire n’importe quoi.

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Message par orcusnf » sam. déc. 30, 2006 1:51 am

Alors la, peut pas te répondre, je l'ai lu à sa sortie, j'ai oublié depuis. Je me suis juste ennuyé, pas assez nerveux peut être. Et comme c'était un sujet qui avait déjà été traité quelques années avant, ça ne m'a pas semblé une idée extraordinaire.
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Message par Soleil vert » sam. déc. 30, 2006 6:44 pm

J'ai du mal à cerner une conception de l'Histoire dans ce livre.
Bien des auteurs de SF se contentent d'un point de divergence individuel et accidentel

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