Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lem

Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 11:19 am

Lensman a écrit :libres à ceux qui ont une sensibilité religieuse d'interpréter tel ou tel texte, dont celui-là. Mais je ne vois pas en quoi c'est censé m'intéresser, au niveau de la SF, en tout cas. Voilà bien un enrichissement dont je me passe fort bien, je dois avoir un penchant pour la pauvreté...
Ah, mais c'est un peu différent de tes verdicts précédents. On est passé de "les lecteurs de telle sensibilité verront des éléments M partout" à "il faut être un lecteur de telle sensibilité pour s'intéresser aux éléments M du texte". On est passé de la subjectivité des contenus à celle des intérêts. Ça, aucun problème.

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Lensman
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Message par Lensman » mer. oct. 13, 2010 11:21 am

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Où vois-tu quoi que ce soit de "métaphysique", là dedans ?
Où vois-tu quoi que ce soit de "physique" là-dedans ?
Tout: l'auteur imagine qu'il se passe des choses, dans le monde. Cela me suffit pour que ce soit physique (que ce soit une description et spéculation valables ou non (le type de phénomène décrit peut-il correspondre à une possibilité?) est un autre problème). Après, le "méta", ce sera pour l'interprétation. Aucun besoin de faire appel au "divin" pour moi, pour envisager des phénomènes.
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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mer. oct. 13, 2010 11:31 am

Lem a écrit :Eh bien, mais…
Les ados en question, auteurs et lecteurs, ont exprimé ce que leur inspirait ce jugement en se projetant dans leurs textes sous une forme transparente : celle du mutant, médiateur entre le monde des hommes et celui des forces, rejeté mais tout-puissant. Car eux n’ont jamais cru à la fin de la métaphysique. Il leur a toujours paru évident que les questions ultimes finiraient par être reposées en termes concrets : par la technique. Et c’est exactement ce qui est en train d’arriver. Que l’univers ait commencé et doive finir, que d’autres formes de vies soient possibles ailleurs, que l’homme ait les moyens de s’autodépasser génétiquement ou de créer des mondes artificiels – ces perspectives ne pouvaient pas ne pas réactiver un jour les problèmes classiques de la destination, du propre de l’homme, de l’immortalité et de la nature du réel. La science-fiction a trouvé ces problèmes là où la haute culture les avait laissés : au carrefour désert de la science, de la philosophie, de la religion et de l’art. Elle les a maintenus en vie clandestinement tout au long du XXème siècle derrière l’écran de son panthéon baroque et graduellement réaménagés avant de les transmettre dans les termes où le monde les affronte aujourd’hui : Singularité, aliens, posthumains, cybermonde.

Mais non.

En superposant cet extrait de la préface à mon modeste rappel historique, tu étends à l'ensemble du genre un phénomène qui concerne bien d'autres domaines et qui est, de surcroît, limité dans le temps.

Tout ça n'est pas très sérieux.


Et tu devrais relire “L'homme qui tua Mahomet”.
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Lensman
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Message par Lensman » mer. oct. 13, 2010 11:35 am

Lem a écrit :
Lensman a écrit :libres à ceux qui ont une sensibilité religieuse d'interpréter tel ou tel texte, dont celui-là. Mais je ne vois pas en quoi c'est censé m'intéresser, au niveau de la SF, en tout cas. Voilà bien un enrichissement dont je me passe fort bien, je dois avoir un penchant pour la pauvreté...
Ah, mais c'est un peu différent de tes verdicts précédents. On est passé de "les lecteurs de telle sensibilité verront des éléments M partout" à "il faut être un lecteur de telle sensibilité pour s'intéresser aux éléments M du texte". On est passé de la subjectivité des contenus à celle des intérêts. Ça, aucun problème.
Quels éléments M? Il y a du vocabulaire d'origine religieuse (le mot "dieu", le mot "foi"... "transe", en revanche, je ne mets pas trop ça dans la métaphysique...), cela ne fait pas un contenu métaphysique décryptable; il faudrait que l'auteur soit explicite là-dessus, pour pourvoir parler sérieusement d'un contenu métaphysique, sans se torturer l'esprit et faire appel à saint Augustin.
Cela dit, si Bester avait voulu parler métaphysique avec un peu de sérieux (il l'a peut-être fait, dans des écrits que nous ignorons mais que l'on va peut-être ressortir), je crois qu'il aurait écrit autre chose que des romans de science-fiction... On aurait alors gagné (?) un théologien, ou un métaphyscien... hum... je ne suis pas sûr que ça n'aurait pas été un appauvrissement... pour la SF, laquelle l'a échappé belle...

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Lem

Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 11:44 am

Lensman a écrit :l'auteur imagine qu'il se passe des choses, dans le monde. Cela me suffit pour que ce soit physique (que ce soit une description et spéculation valables ou non (le type de phénomène décrit peut-il correspondre à une possibilité?) est un autre problème).
Ah bon.
Donc "tout ce qui se passe dans le monde, même si la description est fausse ou impossible".
Tout, quoi.
C'est le facteur discriminant le moins discriminant que j'ai jamais vu.

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Message par Lensman » mer. oct. 13, 2010 12:37 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :l'auteur imagine qu'il se passe des choses, dans le monde. Cela me suffit pour que ce soit physique (que ce soit une description et spéculation valables ou non (le type de phénomène décrit peut-il correspondre à une possibilité?) est un autre problème).
Ah bon.
Donc "tout ce qui se passe dans le monde, même si la description est fausse ou impossible".
Tout, quoi.
C'est le facteur discriminant le moins discriminant que j'ai jamais vu.
Si l'auteur imagine que c'est possible... maintenant, on peut ne pas être convaincu.
L'auteur peut aussi ne nullement chercher à exploiter une possibilité, et décrire sciemment quelque chose qui ne lui paraît pas du tout envisageable Reste à voir si le lecteur va le suivre (on se souvient que nous sommes en train de parler de littérature de fiction...).
Tu te souviens peut-être de cette présentation que Larry Niven avait faite, dans une sorte d'encyclopédie, Le Panorama visuel de la SF, je crois, à la rubrique "pouvoirs psy" ou "télépathie", je ne sais plus. Il commençait par dire qu'il n'y croyait pas du tout, mais que cela ne l'empêchait pas d'aimer ou d"écrire des histoires où il en était question. C'est un des très grands intérêts de la SF (pour moi), ce jeu avec le possible, le probable, le très peu probable, le quasi certain et toutes les variantes, qui ne seront pas estimées de la même manière par les différents lecteurs. Cela fait des conversations passionnantes!
Mais pour qui recherche de l'Absolu avec un grand A, ou du Sens de Tout avec un grand S et un grand T, je suppose qu'il vaut mieux faire appel, si on éprouve ce genre d'angoisse, grands textes sacrés des religions et leurs commentaires, ou au grandes cogitiations des philosophes germaniques (je ne garantis pas la satisfaction). A chacun son truc !

Oncle Joe

Lem

Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 12:50 pm

Roland C. Wagner a écrit :Et tu devrais relire “L'homme qui tua Mahomet”.
Dans cette nouvelle, Bester a écrit :Ces hommes n'étaient pas des imbéciles. C'étaient des génies qui payaient une lourde rançon pour leur génie parce que le reste de leur intellect était hors de ce monde.
Les conditions sont réunies pour une analyse non-physique.

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silramil
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Message par silramil » mer. oct. 13, 2010 12:58 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :l'auteur imagine qu'il se passe des choses, dans le monde. Cela me suffit pour que ce soit physique (que ce soit une description et spéculation valables ou non (le type de phénomène décrit peut-il correspondre à une possibilité?) est un autre problème).
Ah bon.
Donc "tout ce qui se passe dans le monde, même si la description est fausse ou impossible".
Tout, quoi.
C'est le facteur discriminant le moins discriminant que j'ai jamais vu.
C'est-à-dire que c'est le critère qui sépare la science-fiction de la fantasy : présence ou non d'une transcendance, laquelle implique un monde fait de deux essences différentes (un monde /physique/ pour le corps, un monde /magique/ pour l'âme).
Pour se situer en science-fiction, donc dans un espace-temps rationnel, commensurable à un degré ou à un autre avec celui que nous connaissons, il est de convention de se cantonner à l'espace physique. Si des espaces "psychiques" peuvent interagir avec l'espace physique, alors il convient d'étendre la notion d'espace physique pour les englober, et non d'en faire un espace essentiellement différent.
Par exemple, dans la trilogie de L'Aube de la nuit, Hamilton commence par une "rupture dans le réel" = irruption d'esprits de morts qui possèdent des corps humains. Mais il résout (au moyen d'un deux ex machina) ceci en posant une continuité parfaite entre le monde physique et le monde des morts - il appartient aux humains d'accomplir une révolution copernicienne de plus : étendre leur compréhension du monde de manière à ce qu'elle englobe la physique des morts.

Nous sommes dans un cas similaire ici : il existe des choses dans le monde que la science n'a pas encore expliquées - Foyle prouve le mouvement en marchant, il prouve en fugguant la possibilité de la fuggue. Il reste aux savants à tenir compte de cet état de fait, mais à aucun moment la fuggue ne renvoie à une transcendance - il s'agit de phénomènes physiques difficiles à conceptualiser.

Néanmoins, il serait réducteur de n'étudier ce roman que du point de vue de la physique. Les extraits choisis par Lem ont un rapport évident à la métaphysique : les personnages eux-mêmes font le lien, et la structure de la révélation par robot interposé fait un clin d'oeil vers la révélation divine.
Cela dit, selon moi, la question peut se ramener à "comment traduire pour les lecteurs des problèmes mettant en jeu des visions du monde?". L'auteur ici a choisi de s'appuyer sur des représentations classiques, en faisant appel à des structures mystiques. Plutôt que d'appeler la volonté de Foyle du courage, de l'audace ou de la témérité, il fait appel à un mot bien pratique, parce qu'il ouvre un espace indéfini où chacun peut reconnaître l'intersection entre folie et grandeur : la foi. De plus, plutôt que de dire de Foyle que c'est un héros, un grand homme, un pionnier, il préfère en faire un prophète, parce que ça en jette.
Le vocabulaire religieux et mystique est ici pour faire de l'effet, en guise d'hyperbole bien pratique, pour faire signe vers des espaces inconnus mais perçus de manière intuitive.
Les personnages ne font que traduire avec leurs mots, qui sont les mots courants des américains des années cinquante, leur manière de réagir face aux limites de leur connaissance. Pour Bester, c'est le meilleur moment de donner une dignité (avec des effets comiques) à un personnage qui par ailleurs est surtout en train d'essayer de se venger, et pas de fonder une religion ou de donner un sens au monde.

Enfin, je suis quand même d'accord avec le fait qu'une interprétation en termes métaphysiques du roman a un sens. le tout est de faire bien attention à la manière dont les aspects métaphysiques font partie d'un univers de science-fiction.

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silramil
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Message par silramil » mer. oct. 13, 2010 12:59 pm

Lem a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :Et tu devrais relire “L'homme qui tua Mahomet”.
Dans cette nouvelle, Bester a écrit :Ces hommes n'étaient pas des imbéciles. C'étaient des génies qui payaient une lourde rançon pour leur génie parce que le reste de leur intellect était hors de ce monde.
Les conditions sont réunies pour une analyse non-physique.
Mmm. "Ce monde" comme dans "Ce monde et l'au-delà" ou comme dans "un autre monde est possible" ?

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mer. oct. 13, 2010 12:59 pm

Lem a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :Et tu devrais relire “L'homme qui tua Mahomet”.
Dans cette nouvelle, Bester a écrit :Ces hommes n'étaient pas des imbéciles. C'étaient des génies qui payaient une lourde rançon pour leur génie parce que le reste de leur intellect était hors de ce monde.
Les conditions sont réunies pour une analyse non-physique.
Zut, j'avais oublié que tu es aussi de mauvaise foi.

Bye-bye.
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Lem

Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 1:26 pm

silramil a écrit :dans la trilogie de L'Aube de la nuit, Hamilton commence par une "rupture dans le réel" = irruption d'esprits de morts qui possèdent des corps humains. Mais il résout (au moyen d'un deux ex machina) ceci en posant une continuité parfaite entre le monde physique et le monde des morts - il appartient aux humains d'accomplir une révolution copernicienne de plus : étendre leur compréhension du monde de manière à ce qu'elle englobe la physique des morts.
Oui – à ceci près que Hamilton n'est pas un scientifique qui s'appuie sur une hypothèse crédible quelconque pour explorer un domaine possible du réel. Il utilise un argument d'autorité pour annexer un champ traditionnel MR au monde réputé rationnel. Exactement comme Farmer dans le cycle du Fleuve de l'éternité.

Je ne nie pas du tout que la justification pseudo-scientifique ait une importance, un statut, un rôle à jouer dans la construction fictionnelle en question ; et qu'elle impacte sa réception par le lecteur et la nature du jeu logique qu'il va jouer avec elle, donc le plaisir qu'il va y prendre. Ce plaisir s'appelle très exactement science-fiction.

Ce que je ne comprends pas bien, c'est la raison pour laquelle il ne faudrait considérer que cette justification pseudo-scientifique comme facteur décisif. Comme si l'autre terme de l'équation – le monde MR annexé – n'avait aucune importance, aucun impact, aucun rôle à jouer dans le plaisir de lecture.

Je fais l'hypothèse que la science-fiction se trouve quelque part dans la tension entre les deux, dans une sorte d'équilibre dynamique entre la folie de ce qui annexé et la froideur technique de la rationalisation. Je fais l'hypothèse que l'une des émotions les plus spécifiques de la sf, ça a été ce plaisir un peu fiévreux de remettre en circulation des idées, des images et des mondes mentaux en train de s'éteindre partout ailleurs en les inscrivant dans le plausible. Je fais l'hypothèse complémentaire que cette émotion est l'une des sources du sense of wonder, qu'elle a joué un rôle dans la séduction que la sf a exercé sur son lectorat et un rôle symétrique dans le rejet qui l'a frappée. That's all.
Enfin, je suis quand même d'accord avec le fait qu'une interprétation en termes métaphysiques du roman a un sens. le tout est de faire bien attention à la manière dont les aspects métaphysiques font partie d'un univers de science-fiction.
C'est un travail ; il y a un champ critique assez nouveau à ouvrir.

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bormandg
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Message par bormandg » mer. oct. 13, 2010 1:38 pm

D'une certaine façon, Serge, tu défends la même thèse que moi, i.e. le fait que la SF ne se distingue d'aucune façon réelle de la littérature générale; sauf que, là où je veux que la SF possède un ajout aux règles traditionnelles, à savoir la réintégration dans la littérature d'un esprit rigoureux, d'une exigence de rigueur scientifique même quand l'objet du livre ne repose pas sur l'état présent des sciences, tu veux voir le retour à un procédé purement rhétorique qui est traditionnel dans la littgen, l'invocation de la métaphysique qui traite de ce que les sciences n'ont pas pu t(raiter avec rigueur, pour s'affranchir d'icelle rigueur. Bref, là où je veux voir dans la SF une littérature qui a progressé, acquis de nouvelles méthodes, tu veux y voir une forme régressive qui reprendrait des procédés anciens et, selon ton hypothèse M, abandonnés (ce qui n'est pas le cas, il me semble que des exemples nombreux ont été cités).
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

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Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 2:00 pm

George >
La SF comme une branche de la littérature, c'est son origine et, à mon avis, son devenir. Ce qu'elle a été dans l'entre-deux, quand elle s'est vécue elle-même comme quelque chose de séparé et que la littérature elle-même a entériné, c'est trop compliqué (et trop inachevé dans ma tête) pour que j'en parle ici.

La SF comme régression, non. La pointe critique se situe à mon avis par ici :
Silramil a écrit :Cela dit, selon moi, la question peut se ramener à "comment traduire pour les lecteurs des problèmes mettant en jeu des visions du monde?".
C'est peut-être effectivement une bonne manière de poser le problème sans perdre la boule.
L'auteur ici a choisi de s'appuyer sur des représentations classiques, en faisant appel à des structures mystiques. Plutôt que d'appeler la volonté de Foyle du courage, de l'audace ou de la témérité, il fait appel à un mot bien pratique, parce qu'il ouvre un espace indéfini où chacun peut reconnaître l'intersection entre folie et grandeur : la foi. De plus, plutôt que de dire de Foyle que c'est un héros, un grand homme, un pionnier, il préfère en faire un prophète, parce que ça en jette.
Bref…
Le vocabulaire religieux et mystique est ici pour faire de l'effet, en guise d'hyperbole bien pratique, pour faire signe vers des espaces inconnus mais perçus de manière intuitive.
Etant le contraire d'un cynique, j'aurais tendance à ne pas être d'accord, mais tout ça se discute et éventuellement se prouve. Je ne crois ni au calcul froid de l'auteur pour faire de l'effet, ni au messianisme de l'auteur qui aurait une thèse à faire passer. Je crois plutôt à une sorte d'inertie des images et des représentations. Quand, dans le cadre d'un récit de sf, au terme d'une spéculation logique (à défaut d'un point de départ plausible), on produit une vision de l'homme capable de se projeter jusqu'aux étoiles par la pensée (voire de les créer), il me semble que le recours au vocabulaire MR est un réflexe très naturel – simplement parce que c'est l'échelle du problème. Est-ce une régression, comme le dit George ? Peut-être. Peut-être, pour accomplir complètement sa tâche, la sf aurait-elle dû re-forger de toutes pièces un vocabulaire et un répertoire d'images et d'expériences émotionnelles entièrement nouveaux, à la hauteur de la nouveauté des perspectives (fictionnelles) entrevues ? Mais elle se serait privée d'une grande puissance esthétique et aussi d'un sentiment de continuité avec l'histoire antérieure qui joue probablement un rôle dans cette affaire. Après tout, quand Jeury permet à Diersant d'atteindre la Perte en Ruaba, à la fin du Temps Incertain, il a recours au même vocabulaire, aux mêmes images – et Jeury est le contraire d'un Américain dévôt :
Il se rappela une réflexion de Larcher : ce n'est pas un rêve, c'est un réveil. Peut-être – et de cela il ne doutait plus – la vie était-elle plus riche et plus intense à la Perte en Ruaba ? Il dérivait lentement vers un territoire merveilleux et secret où aucun regret, aucune nostalgie, ni aucune peur ne pouvaient l'atteindre… un endroit où il était à jamais en sécurité… une oasis paradis sur la route froide du néant.

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Erion
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Message par Erion » mer. oct. 13, 2010 2:01 pm

Lem a écrit : Je fais l'hypothèse que la science-fiction se trouve quelque part dans la tension entre les deux, dans une sorte d'équilibre dynamique entre la folie de ce qui annexé et la froideur technique de la rationalisation. Je fais l'hypothèse que l'une des émotions les plus spécifiques de la sf, ça a été ce plaisir un peu fiévreux de remettre en circulation des idées, des images et des mondes mentaux en train de s'éteindre partout ailleurs en les inscrivant dans le plausible. Je fais l'hypothèse complémentaire que cette émotion est l'une des sources du sense of wonder, qu'elle a joué un rôle dans la séduction que la sf a exercé sur son lectorat et un rôle symétrique dans le rejet qui l'a frappée. That's all.
Ah, et ceci explique pourquoi Jules Verne n'écrit pas de science-fiction. Et d'ailleurs, tous les lecteurs qui ont aimé Jules Verne, n'ont par la suite, jamais écrit de science-fiction, du coup.

Encore une fois, le problème, c'est que tu ne cherches pas vraiment à distinguer les différents statuts liés à la métaphysique. Dans les extraits de Bester que tu as présenté, on voit bien qu'il y a un jeu autour de la symbolique du Christ/du Messie. Mais sans dieu.

Ce n'est PAS un détail.

Ok, on peut analyser le Christ comme un penseur athée (après tout, il refuse les miracles et Dieu n'est pas vraiment présent dans les évangiles), mais c'est pas vraiment l'essentiel de la lecture théologique.

On peut (on doit ?) analyser le roman de Bester comme une manière d'atteindre une forme de transcendance, mais sans dieu. D'où le jeu sur les références christiques.

Bon, et la SF dans tout ça ? Ce n'est guère clair que l'émotion vienne de ça.

Dans tout ce que tu présentes, ce que j'y vois, ce n'est pas du tout un domaine propre à la science-fiction, mais un domaine propre à la technologie (compris comme le discours sur la technique). L'emprunt aux formes classiques de la métaphysique/religion, cela appartient au discours sur la technique. Il faut lire tous les essais accumulés depuis au moins dix ans sur internet et ses bienfaits pour voir qu'on est typiquement dans le registre de la religion comme discours.
En définitive, ce que tu découvres, ce n'est pas un contenu propre à la science-fiction, mais un discours propre à la technique.

That's all.
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Message par Fabien Lyraud » mer. oct. 13, 2010 2:18 pm

Ayant une formation en sémiotique je considère que chaque forme de fiction a ses propres caractéristiques en ce qui concerne la manière dont elle produit du sens. La Sf ne fait pas exception à la règle. Ce qui n'empêche pas toutes les formes de fiction d'avoir des invariants communs.
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