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par silramil » mar. oct. 26, 2010 10:39 am
Je ne crois pas que les distinctions que je propose soient trop subtiles ici.
Concernant les dieux...
Postulat initial : il existe des entités dénommées 'dieux' dans la science-fiction, mais ce sont des versions naturalisées des entités métaphysiques imaginées par ailleurs : des êtres non pas surnaturels mais y ressemblant fortement.
OK
Hypothèse de Lem : ces entités 'opèrent' de la même manière qu'elles soient surnaturelles (les dieux de la fantasy, du merveilleux, du fantastique, des contes et légendes, des mythes...) ou naturelles (la science-fiction).
Note : que signifie 'opérer' ? Dans les exemples de Lem, il y a déjà une confusion entre l'essence fictionnelle et la fonction narrative. Par exemple, l'immortalité des dieux n'est pas une fonction, mais une propriété établie dans le cadre de la fiction.
Ce n'est pas du pinaillage : il existe une immortalité fonctionnelle - certains personnages sont immunisés à la mort du fait même de leur position dans le récit, en particulier le héros/personnage principal (d'où l'impression d'audace lorsqu'un personnage principal meurt... voire est ressuscité). L'immortalité fonctionnellle n'a pas vraiment de sens pour les dieux de Lovecraft.
Quelles sont les opérations classiques des dieux ? (hors Lovecraft)
- Ils tuent (foudroient, empoisonnent...)
- Ils maudissent
- ils guérissent, voire ressuscitent
-ils inspirent (rêve, prophétie)
- ils assignent des quêtes, récompensent, assistent en chemin
- ils bloquent les quêtes par ennemis interposés
etc.
Inversement, quelles sont les opérations classiques des personnages confrontés à des dieux ?
- Ils prient
- Ils blasphèment
- Ils obéissent /désobéissent
- Ils interprètent et cherchent à connaître leur volonté, mais pas leur nature.
- Ils combattent en leur nom
A l'observation de ces quelques exemples d'opérations, la logique des interactions entre ce type de personnages peut sempbler liée en partie à des caractéristiques essentielles, mais en fait il n'y a pas de relation automatique entre caractéristiques et fonctions.
Elric passe son temps à désobéir à Arioch, alors que ce dernier est puissant et menaçant. De même que les autres champions éternels, il tue un sacré paquet de dieux.
Dans Les Petits Dieux, le dieu Om est au bord de la disparition, il n'a aucun pouvoir ou presque et pourtant il impose une quête à son seul fidèle. Ce n'est pas en raison d'une caractéristique particulière qu'il accomplit cette fonction-là.
De plus aucune opération qui me vienne à l'esprit n'est marquée en son principe comme 'divine', réservée aux dieux.
Venons-en aux questions posées par Lem
Question 1 et 2 : quel est le rôle joué par les dieux de Lovecraft dans ses récits // ce rôle est-il le même que dans le corpus mythologique et religieux antérieur ?
En quelques mots, je dirais qu'on retrouve certaines opérations classiques - assignation de quêtes (paradoxales et piégées), obstacles, malédictions, morts et résurrections, etc.
De plus, on a dans le cas précis des textes de Lovecraft une position similaire à ce qui se passe dans la religion : les personnages n'ont pas accès directement au 'plus qu'humain', et sont réduits à des conjectures et des tentatives empiriques. La relation des personnages aux dieux de Lovecraft est le versant négatif du protestantisme : chaque homme est coincé dans une relation personnelle au 'divin', ce qui le transforme ou le rend fou.
En revanche, le rôle des dieux de Lovecraft est très différent de celui des dieux de la mythologie.
Dans les récits mythologiques mettant en scène les dieux eux-mêmes, leurs fonctions deviennent celles de personnages principaux (un équivalent en SF serait les récits mettant en scène des êtres à super pouvoirs, psychiques, cybernétiques ou nanotechs ; pour le fun, on pourrait mettre en parallèle Slan et l'ascension de certains dieux, comme Apollon Héraklès ou Dionysos).
Dans les mythes racontant les exploits de héros, les dieux ne sont pas toujours présents ; ils interviennent en général quand il y a un monstre à tuer et ils sont presque exclusivement positifs. Les dieux en colère tels que Poséidon contre Ulysse ou Héra contre Héraklès sont plus marrants, donc on s'en souvient, mais la plupart du temps, les dieux aident les héros.
Les épopées contiennent une multitude d'opérations faites par des dieux. Ces derniers sont dynamiques, clairs et précis dans ce qu'ils demandent.
Les tragédies montrent soit les dieux eux-mêmes, soit des héros punis par les dieux. C'est peut-être le modèle de la tragédie qui se rapprocherait le plus de Lovecraft : des dieux impossibles à comprendre, qui poursuivent de leur haine les impies, qui les rendent malades et fous, qui les poussent au suicide...
Ma conclusion sur ces deux questions : Lovecraft, et chaque auteur de SF ou fantasy à sa manière, reprend les images et les idées des dieux qui lui pré-existent, pour produire un effet dans sa fiction - donc pour que ces dieux semblent être des dieux aussi dans le monde de la fiction, il leur assigne des fonctions traditionnelles, il s'appuie sur des objets préexistants. Cette méthode est d'ailleurs celle qui est toujours employé en SF, il n'y a donc rien de surprenant à cela.
Je valide donc l'idée que les pseudo-dieux de la SF se comportent comme des dieux mythiques/religieux mais je n'en tire pour l'instant aucune conclusion.
Je précise qu'il en est de même dans les récits fantastiques et fantasy.
J'ajoute, pour faire bonne mesure, que dans mon expérience, on n'observe presque rien de nouveau sur les dieux dans les récits contemporains. C'est presque uniquement du réemploi de catégories antérieures.
Les seules nouveautés auxquelles je pense sont des humanisations des dieux - chez Pratchett et Gaiman, par ex, les dieux se comportent comme des êtres humains.
Enfin, je remarque un usage étrange du terme d' "actant", potentiellement trompeur.
Il n'existe pas d'actant en soi. Un actant est déterminé par sa position dans un récit, par les fonctions qu'il remplit.
On ne peut donc pas dégager un actant qui serait "un dieu typique chez Lovecraft", car chaque texte implique des actions et des fonctions différentes.
Ce n'est donc pas un actant unique/unifié qui se dégage, mais une multitude d'actants différents.
Les structures dégagées par ce type d'analyse ne permettent pas de dire des choses sur les objets du monde fictionnels, mais seulement de faire des listes de leurs actions possibles.
Dans un schéma actanciel, peu importe que l'actant qui impose une quête soit un dieu, un super ordinateur, ma mère ou moi-même. (d'ailleurs, je pense que la liste des opérations classiques des dieux marcherait bien si on remplaçait le dieu par la mère du protagoniste, au hasard dans L'étranger).
Au risque de paraître peu constructif, je maintiens que cette voie d'exploration me paraît peu pertinente pour l'étude de la SF.
Question 3 : y a-t-il des exemples de cela dans la littérature blanche ?
Cette question est un peu étrange, en fait. Son objectif avoué entre parenthèses est d'établir ce que la SF peut avoir de spécifique à cet égard.
Je rappelle pour la forme qu'à ce sujet, il n'y aura rien de spécifique, puisque le fantastique et la fantasy font aussi intervenir des figures divines.
A contrario, trouve-t-on beaucoup de figures divines dans le roman policier, ou historique ? Ces genres font-ils partie de la littérature blanche ?
Encore une fois, ce n'est pas pour pinailler, mais un critère qui ne permet pas de distinguer nettement ne me semble pas déterminant.
Ainsi, plutôt que de céder à la tentation de trouver des oeuvres répondant plus ou moins au critère 'présence d'un personnage opérant comme un dieu' dans la littérature blanche contemporaine, j'aimerais poser quelques questions complémentaires :
Est-ce que la faible manifestation de figures divines dans la littérature blanche contemporaine n'est pas le résultat d'un primat, au sein du champ littéraire, d'un genre particulier qui en refuse la pertinence, à savoir le réalisme ?
Y avait-il, avant le XXe siècle, beaucoup de récits littéraire faisant intervenir les dieux, ou des opérateurs équivalents ? En d'autres termes, est-ce que la littérature se soucie des dieux ?
En quoi la présence de figures divines serait-elle caractéristique de la SF, puisqu'on en trouve ailleurs qu'en SF et que de nombreux récits de SF ne font pas intervenir de figures divines ?