Mémoire de Cendres -Philippe Jarbinet

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Soslan
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Mémoire de Cendres -Philippe Jarbinet

Message par Soslan » sam. juin 18, 2011 11:17 pm

Oui, il s'agit de BD historique, donc mainstream, mais le genre historique et sans doute le genre mainstream le plus proche de l'imaginaire (je me comprend) et puis on s'en fouche, l'important c'est que ça poutre.

Hop !

(...)
Mémoire de Cendres, parue entre 1995 et 2007, est une bande dessinée sur la Croisade contre les Cathares, racontés du point de vue de ceux-ci. Sur cette grande Histoire se greffent la petite : nous suivons sur plusieurs années le destin d'Héléna, orpheline d'un noble anglais tué pendant la prise de Carcassone en 1209, et adoptée par le noble cathare Bernard de Lorac. Devenue une belle jeune femme au fort caractère (mais n'imaginez pas non plus le cliché de l'ado rebelle qu'on nous sers aujourd'hui, les personnages savent faire montre d'assez de classe pour être digne de la sompteuse reconstitution historique) aimée de ses deux frères de lait, Richard et Guillaume, Héléna se voit confrontée au noble écossais Branagh dun Dornaigil, meurtrier de son père, dont le désir de vengeance répond au sien.
On sens déjà un fort potentiel en termes d'intrigues complexes, en terme de romanesque, et même de souffle épique et tragique. Et en cela, la grande Histoire et la petite se complétent à merveille.
S'attacher au destin des Cathares, grand perdant historique, a forcément un grand potentiel héroïque et tragique (à moins de faire dans l'uchronie, mais il n'y a qu'un sci fiste pour avoir une idée aussi tordue) surtout si l'intrigue de la série s'étale sur toute la durée de la Croisade contre les Albigeois, de 1209 à 1243. Si ça n'a pas de souffle, ça...Et les personnages eux-même possédent, par leur histoire même, la carrure qu'il faut pour répondre à cette ambiance shakespearienne : ainsi le face-à-face de Branagh et Héléna, capable de durer des années, de plus en plus obsessif du côté de l'écossais, au point d'en rappeler une certaine chasse à la baleine blanche par un certain capitaine Achab, mais aussi la fratrie de Lorac dispersée, et brisée par la trahison de Richard devenue un personnage bien plus détestable que Guillaume (le fils de sa soeur de lait, que nous verons grandir au fil des tomes, est issu d'un viol par Richard, pour tout dire). Et pas mal d'autre personnages charismatiques, dont Isarn, le frondeur cathare à l'aura de légende malgré sa hideuse figure d'estropié. Les personnages sont incontestablement une réussite majeure de la BD, ceux sans laquelle nous ne suivrions certes pas avec autant d'entrain la dernière guerre des Cathare.
Bon, pour être honnête, tout ça, ça prend la première moitié de la série, la plus flamboyante. Les méchants ci-devant évoqués verront leur compte réglé à la fin du tome 5 (à l'intérieur du tome d'intégrale, quoi). Du coup, si l'on accepte vraiment d'y aller à la hache pour couper le cycle en deux, on trouvera plus difficilement l'équivalent de ce souffle dans la seconde moité du cycle, ce qui est paradoxal puisque cette seconde moitié entame un retour salutaire au destin cathare, inexplicablement délaissé dans les albums 4 et 5 au profit d'intrigues politiques un peu improbables en terre d'Angleterre. Cela n'empêche pas de très belles pages par ailleurs, avec notamment le dyptique italien constitué par les tomes 7 et 9. C'est au cours de cette seconde moité que Jarbinet semble plus à l'aise avec les envolées poétiques -nous lisons pour la première fois la voix off des personnages- et globalement l'on philosophe plus, parce que l'horizon se fait de plus en plus proche et sombre.
Le tome 9 a vraiment failli me décourager, avant que je ne me rendre compte de ses subilités cachées : abandonner la charismatique Héléna (un sacré bout de femme, il y a pas à dire, un véritable personnage féministe en plein Moyen-Âge, le tout de façon très crédible grâce au talent de Jarbinet pour ne jamais forcer le trait -voir surtout le tome 6), abandonner la charismatique Héléna, disais-je, le temps d'un album narré par son fils, surtout pour suivre ses premiers émois amoureux avec la belle juive Leïla (qui donne son titre au tome, d'ailleurs) il y a de quoi faire tomber plus d'une série des mains. Mais pour une histoire d'amour adolescente, il s'agit d'une histoire entre exilés apatrides et vagabonds, ce qui change tout de suite la donne. Et puis nous la retrouvons au tome suivant, Héléna, avec son fils et Leïla devenus adultes (donc moins potentiellement énervants, même si pour être juste il ne l'ont mais vraiment été) pour le sombre final, la chute de Montségur, qui fait un drôle d'effet après l'euphorie de la reconquête qui domine le tome précédent (et où je soupçonne un art de la recomposition historique, dans tous les cas l'effet en est poignant quand on arrive en fin de série). Pour les dernières pages, j'aurais peut-être imaginé quelque chose de plus grandiose. Peut-être est-ce un vain fantasme de pré-lecture, car la réalité finale n'est pas assez glorieuse pour permettre la grandiloquence, puisqu'il s'agit de ce qu'on pourrait appeller l'après-catharisme. Il me semble toutefois qu'elle est assez vite expédiée, mais c'est parce que j'ai envie de faire mon chieur.
Si tous les tomes ne sont pas tous aussi passionnants les uns que les autres -soyons clairs, aucun n'est mauvais- la reconstitution historique est elle d'une qualité constante, très léchée, le soin n'étant pas seulement apporté aux décors et au costume mais à la langue, un pastiche de l'ancien français dont la réussite est d'autant plus digne d'être saluer qu'on ne compte plus les auteurs à s'y être cassé les dents.
Pour les dessins, la situation est plus complexe : il est clair qu'en terme graphique la série se bonifient au fil des tomes, notamment au niveau des expressions des personnages, guère convaincantes aux tous débuts. En revanche, un élément que le dessinateur Jarbinet maîtrise dés le départ, et qui explose dans les derniers tomes, ce sont les paysages. Il peut paraître cliché de parler de ceux-ci comme d'un personnage à part entière de l'intrigue, mais ici ce n'est pas seulment vrai mais d'une logique pas du tout surprenante : que serait le dernier combat des Cathares sans la sublime et sauvage nature languedocienne, qui abritent leurs forteresses et leurs embuscades, bref leur permet à la fois la clandestinité et la puissance d'une nation en guerre ? Bien sûr, il n'y a pas que le Languedoc à être sublimé car le crayon du dessinateur : il y a aussi les landes embrumées du dyptique anglais, et surtout, surtout, le dyptique italien avec ses paysages de Toscane (on passe aux Alpes dans une partie du second tome) qui sont le sommet du cycle dans la poésie paysagiste. Voilà qui a pu me faire regretter d'avoir les cinq premiers tomes en moyen format, j'aurais donc la perversité de fortement encourager ceux qui s'en sentent financièrement capable d'acheter la série en grand format.

Au final, la série ne réinvente peut-être pas forçément la poudre dans le monde encombré des BD historiques, mais cela reste une très bonne série, sans doute supérieure à la moyenne des série historiques qui pullulent sur nos étals. Même si je ne connais pas (sauf de nom) d'autres séries sur les Cathares, je conçois tout à fait qu'elle soit considérée comme l'une des plus grandes référence sur ce thème.
"La Lune commence où avec le citron finit la cerise" (André Breton)

http://karelia.over-blog.com/
Et pour ne pas faire que ma propre promo :
http://musardises.moonfruit.fr/

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