Pierre Bordage répond à vos questions (2, 3 et 4 juillet)

systar
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Message par systar » mar. juil. 03, 2007 8:27 am

Pierre Bordage a écrit :Pour Roland : la religion est pour moi la négation même de la spiritualité. À partir du moment où l'on substitue le dogme et la structure à l'expérience, à la perception directe, on perd l'essence même de la spiritualité, qui est la liberté. Les paroles prophétiques sont la plupart du temps libératrices, elles indiquent une façon de se sortir des conditionnements qui interdisent d'entrevoir d'autres réalités, sa propre réalité en fait, qui est forcément différente de celle du voisin (cf Porteurs d'Âmes). Ce qu'en font les disciples, après... Le plus bel exemple : la différence incroyable entre les paroles du Christ, alors même qu'elles ont été retouchées par l'Église, et leurs application par cette même Église. Comment une parole comme "tu ne jugeras pas", a pu aboutir à l'Inquisition et aux guerres de religion, voilà une passionnante illustration de l'énigme humaine.
Pour mettre mon grain de sel catho en marge de l'Eglise: l'opposition que vous faites entre religion et spiritualité est très forte. Elle a sans doute plusieurs origines, de type philosophique, théologique et historique.
Tout d'abord, il y a l'ambivalence fondamentale de l'Evangile lui-même. Bien malin qui saurait dire quel est le discours politique que véhiculait l'Evangile: il est pluriel et contradictoire. A la séparation de César et de Dieu (rendre à l'un ce qui est à l'un, etc.), on peut opposer Jésus disant qu'il vient apporter le glaive, baptiser les hommes "par le feu"... bref on n'en sort pas. C'est d'ailleurs pour ça que l'interprétation en est infinie. Et qu'on a des Jésus aussi différents que le Pasolini, le Scorsese, le Zeffirelli... pour prendre des exemples cinématographiques: chacun sonde une possibilité interprétative de l'Evangile, sans qu'aucune ne soit infondée.
Cela nous mène à réfléchir sur le potentiel théocratique du message chrétien, paradoxalement, et sur le fait qu'un message, si universel qu'il se veuille, doit, pour s'incarner, entrer dans l'histoire, s'historiciser, et entrer dans des relations de pouvoir. Tout message un tant soit peu général, et non une quête strictement personnelle (ce que vous nommez "spiritualité"), ne peut perdurer et se communiquer qu'en empruntant les voies d'un certain pouvoir, d'une certaine temporalité, d'une certaine géographie. D'où la diffusion du message chrétien dans tout l'Empire romain, et la constitution de l'Eglise. Et puis, c'est tout de même Jésus qui a appelé de ses voeux la constitution de l'Eglise: "Pierre, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise..."
Philosophiquement, c'est donc l'énigme d'une universalité qui ne peut se communiquer qu'en s'historicisant, en devenant concrète, temporelle.
Aujourd'hui, bien des gens sont fascinés par le message chrétien intemporel, sans voir que celui-ci, vécu pleinement, ne peut pas ne pas passer par la voie/voix d'une institution...

Mais pour conclure sur cette notion de spiritualité, je la trouve très belle, et je suis d'autant plus content de la retrouver chez vous que c'est peut-être Alain Damasio qui m'a le mieux initié à cette forme de spiritualité sans dogme et sans transcendance, par La Horde puis par les échanges qu'il a bien voulu avoir avec moi. Cette soif de spiritualité libre et profonde est tout à fait fascinante, même pour un chrétien qui prétend trouver dans le dogme de la Résurrection la clef de tout sens et de toute vie vraiment aimante.

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Eons
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Message par Eons » mar. juil. 03, 2007 9:41 am

Allez, à mon tour. :wink:

Pierre, je t'ai découvert avec Rohel (dont, entre parenthèses, je cherche toujours vainement L'enfant à la main d'homme).
J'ai, depuis, lu ta trilogie des guerriers du silence, le dyptique de Wang, Les fables de l'Humpur, Abzalon/Orchéron, ainsi que ton recueil de nouvelles paru chez l'Atalante.
Et j'ai constaté une chose. Cela n'engage bien sûr que moi, mais j'ai lm'impression que plus tes textes sont longs, meilleur tu es. Parce que autant j'ai dévoré Rohel et les Guerriers, autant la moitié des nouvelles de ton recueil m'ont laissé un sentiment mitigé.

Certains auteurs sont excellents en textes courts mais moyens ou même médiocres dès qu'il s'agit de romans. Ce sont des sprinters.
Pour d'autres ,c'est l'inverse. Ce sont des coureurs de fond.
Estimes-tu faire effectivement partie de cette dernière catégorie ?

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Eric
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Message par Eric » mar. juil. 03, 2007 9:42 am

Bonjour Pierre,

Il me semble que tu es un des rares auteurs du cercle de l'Imaginaire, à vivre uniquement de ta plume. Comment se gère au quotidien une carrière "exclusive" d'auteur ? Et au-delà de ça, est-il réellement possible, en France, de vivre de sa plume ?
"Ueeuuggthhhg", laissa échapper Caity. Ce qui aurait pu vouloir dire n’importe quoi.

Pierre Bordage
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Message par Pierre Bordage » mar. juil. 03, 2007 10:45 am

Pour Systar : la nécessité d'entrer dans des relations de pouvoir tue justement la spiritualité et entraîne la formation d'un appareil qui ne peut que fonctionner sur les modèles existants et donc reproduire les erreurs du passé. C'est le conditionnement qui reprend le dessus. Bon exemple avec Rome. L'Église est devenue romaine, c'est à dire qu'elle s'est bâtie sur les ruines de l'empire en s'inspirant de sa hiérarchie, de ses frontières, de sa volonté de conquête et même de sa capitale. Autrement dit, une quête spirituelle collective finit souvent, presque toujours, par se couler dans les conditionnements antérieurs, puisque l'enjeu du pouvoir revient sur le devant de la scène. La quête spirituelle est nécessairement individuelle, même si, paradoxe, elle passe par le biais d'un religion. J'aime par exemple les mystiques chrétiens comme Angelus Silesius, ou les soufis. Dans les deux cas, on a des adeptes qui finissent par se détacher de l'appareil, du dogme, et revendiquer une totale liberté, qui parfois leur vaut les pires ennuis avec les hiérarchies, les orthodoxies. Quant à la constitution de l'Eglise voulue par Jésus, quelle signification donner au mot Eglise ? Et puis quelle vérité historique dans cette phrase, dont la vertu principale est de légitimer les papes ?

Pour Eons : tu auras du mal à trouver l'enfant à la main d'homme ailleurs que chez les bouquinistes. Sinon, l'intégrale est disponible à l'Atalante, en trois volumes (pub !!!)
Pour la nouvelle, tu as raison, je ne suis pas un novelliste naturel, ayant tout de suite commencé par le texte long, mais j'y prends goût, de plus en plus, pour le formidable exercice de précision que réclame la nouvelle. Je reste adepte des textes longs, mais je continuerai d'écrire des nouvelles, si on m'en demande. Il faut la plupart du temps que je sois provoqué, par un sujet, un anthologiste, pour m'y mettre, preuve que ce n'est pas encore vraiment naturel. Ensuite, que mes nouvelles plaisent à certains et déplaisent à d'autres, c'est affaire de goût. Merci en tout cas de plonger dans mes romans.

Pour Eric : nous sommes plusieurs à vivre de nos plumes (de nos touches). Beaucoup d'auteurs jeunesse entre autres. Ce qui veut dire que je travaille tous les jours quand je suis à la maison et que je ne suis pas obligé, sous la menace, de répondre aux questions des amateurs du genre :wink: . je travaille du matin au soir, comme n'importe quel autre travailleur, je considère mon bureau comme un atelier, et me dis que le boulanger ou le menuiser ne se pose jamais la question de savoir s'il va aujourd'hui travailler ou non. Je me mets au travail quoi qu'il arrive, et reste devant mon ordi toute la journée. De 8.30 à 18/19 heures. Et je m'y tiens, même si certains jours je suis moins performant que d'autres.
Peut-on vivre en France de ce métier ? Lapalissade : tout dépend de l'accueil fait à tes livres. Si tu ne vends pas beaucoup, aucune chance, ou alors il faut trouver d'autres formes, comme le scénario, la BD, le journalisme, etc... Si tu vends correctement et que tu n'as pas de panne d'inspiration (ou de dépression), alors c'est possible. Tout est possible, rien n'est écrit, ha, ha.

systar
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Message par systar » mar. juil. 03, 2007 10:55 am

Pierre Bordage a écrit :Pour Systar : la nécessité d'entrer dans des relations de pouvoir tue justement la spiritualité et entraîne la formation d'un appareil qui ne peut que fonctionner sur les modèles existants et donc reproduire les erreurs du passé. C'est le conditionnement qui reprend le dessus. Bon exemple avec Rome. L'Église est devenue romaine, c'est à dire qu'elle s'est bâtie sur les ruines de l'empire en s'inspirant de sa hiérarchie, de ses frontières, de sa volonté de conquête et même de sa capitale. Autrement dit, une quête spirituelle collective finit souvent, presque toujours, par se couler dans les conditionnements antérieurs, puisque l'enjeu du pouvoir revient sur le devant de la scène. La quête spirituelle est nécessairement individuelle, même si, paradoxe, elle passe par le biais d'un religion. J'aime par exemple les mystiques chrétiens comme Angelus Silesius, ou les soufis. Dans les deux cas, on a des adeptes qui finissent par se détacher de l'appareil, du dogme, et revendiquer une totale liberté, qui parfois leur vaut les pires ennuis avec les hiérarchies, les orthodoxies. Quant à la constitution de l'Eglise voulue par Jésus, quelle signification donner au mot Eglise ? Et puis quelle vérité historique dans cette phrase, dont la vertu principale est de légitimer les papes ?.
Oui, Pierre, je me faisais l'avocat du diable, mais effectivement le pouvoir menace toujours d'asphyxier les quêtes intimes.
Pour évoquer néanmoins des perspectives plus réjouissantes, sans doute faudrait-il creuser du côté du messianisme juif (Mendelssohn, Cohen, Rosenzweig, Scholem, jusqu'à Lévinas et tant d'autres!) pour voir la manière dont un devenir collectif peut non pas s'opposer à, mais porter une spiritualité intime, basée sur l'attente d'une transmutation de la nature même du temps ("il est temps que le temps advienne", écrivait Paul Celan)... Encore un possible sujet de roman, ça! :D

Fabien Lyraud

Message par Fabien Lyraud » mar. juil. 03, 2007 11:08 am

je travaille du matin au soir, comme n'importe quel autre travailleur, je considère mon bureau comme un atelier, et me dis que le boulanger ou le menuiser ne se pose jamais la question de savoir s'il va aujourd'hui travailler ou non. Je me mets au travail quoi qu'il arrive, et reste devant mon ordi toute la journée. De 8.30 à 18/19 heures.
Est ce que tu travailles sur un seul texte à la fois ou tu travailles plusieurs textes en paralléle ?

Pierre Bordage
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Message par Pierre Bordage » mar. juil. 03, 2007 11:26 am

Pour Fabien : un seul à la fois du même genre, un seul roman, un seul scénario, une seule nouvelle, mais je peux mener de front des textes de genres différents. Par exemple, je me consacre jusuq'à 16 heures à l'écriture d'un roman, et, à partir de là, je me mets au scénario. Même que ça me délasse de changer de sytle d'écriture.

Ferocias
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Message par Ferocias » mar. juil. 03, 2007 11:47 am

Ecriture, livres, lecteurs-trices

Pendant les dernières rencontres de l'imaginaire de Sèvres, j'ai discuté avec Eric-B. Henriet qui avançait que l'écriture n'était qu'un accident de l'histoire, un moyen inventé par les hommes à une époque donnée pour surmonter une difficulté. Les développements technologiques devraient donc permettre de dépasser la contrainte scripturale et d'aller davantage vers l'image.

On parle souvent de crise de la lecture, de la baisse du nombre de lecteurs ("les jeunes ne lisent plus") alors même que le secteur jeunesse est plutôt florissant (le bouquet final avant l'extinction totale?). Pourtant, pour le constater dans ma pratique profesionnelle chaque jour, il y a une avidité de savoir, d'évasion, de rêve de la part des adolescents (qui font en partie le succès de la Fantasy).

Le nombre de "gros" lecteurs-trices (et je pense que les amateurs de SF en font souvent partie) me semble au contraire augmenter comme s'il y avait une césure entre absolument non-lecteurs-trices et lecteurs-trices.

(bon en fait ce n'est pas vraiment une question, mais ce type de réflexions doit traverser l'esprit de ceux qui vivent de leur plume - pardon de leurs touches - non?)
Vous aimez la littérature populaire?
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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mar. juil. 03, 2007 12:09 pm

Pierre Bordage a écrit :La quête spirituelle est nécessairement individuelle, même si, paradoxe, elle passe par le biais d'une religion.
Mon expérience personnelle me suggère que les mouvements de type mystico--religieuse, qu'il s'agisse de sectes ou de religions, fonctionnent à la base tous à peu près de la même manière : en fournissant une explication à des phénomènes dont la réalité est indéniable, mais dont la nature échappe au pékin moyen.

Les différences entre les "explications" en question soulignent à mon sens qu'il s'agit de simples interprétations concurrentes, dont la validité est dès lors sujette à caution. Mais bon…

Tout ça repose à mon sens sur le passage du non-verbal au verbal. Sur une formulation — ou plutôt une traduction — en un langage humain d'expériences intérieures a priori indicibles. Mais ce passage du non-verbal au verbal est aussi un passage de l'individuel au collectif, et l'étymologie du terme "religion" va d'ailleurs dans ce sens.

(Entre parenthèses, cette opposition entre l'individu et le groupe rend l'hérésie inéluctable, mais c'est valable dans beaucoup d'autres domaines.)

Cette description est-elle compatible avec la manière dont tu vois les choses ?

Et, si oui, la perversion de tout mouvement collectif basé sur la spiritualité ne se situerait-elle pas avant même la constitution d'une structure de pouvoir, dès qu'apparait la volonté de réunir en les transcrivant sous une forme intelligible des expériences si intérieures et si personnelles qu'il est impossible de les comparer ?
« Regarde vers Lorient / Là tu trouveras la sagesse. » (Les Cravates à Pois)

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lolo_de_mars

Message par lolo_de_mars » mar. juil. 03, 2007 12:16 pm

Pierre,

Vous avez des couvertures de romans splendides, une imagination hallucinante, mais un site internet tout pourrit !!! :D

Avez vous prévu de remédier à cela ??

Chtef

Message par Chtef » mar. juil. 03, 2007 12:27 pm

Roland C. Wagner a écrit : Mon expérience personnelle me suggère que les mouvements de type mystico--religieuse, qu'il s'agisse de sectes ou de religions, fonctionnent à la base tous à peu près de la même manière : en fournissant une explication à des phénomènes dont la réalité est indéniable, mais dont la nature échappe au pékin moyen.
C'est marrant ça m'a fait penser à une explication de Raël qui prouvait la nature divine de l' Homme en s'appuyant sur sa résistance aux radiations par rapport à un bloc de béton (je cite de mémoire).

systar
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Message par systar » mar. juil. 03, 2007 12:34 pm

Roland C. Wagner a écrit :
Pierre Bordage a écrit :La quête spirituelle est nécessairement individuelle, même si, paradoxe, elle passe par le biais d'une religion.
la perversion de tout mouvement collectif basé sur la spiritualité ne se situerait-elle pas avant même la constitution d'une structure de pouvoir, dès qu'apparait la volonté de réunir en les transcrivant sous une forme intelligible des expériences si intérieures et si personnelles qu'il est impossible de les comparer ?
Tu y es, Roland: c'est là, dans ce passage à l'intersubjectivité, que se constitue en même temps le pouvoir, je pense. C'est un processus de genèse du langage par le pouvoir, et du pouvoir par le langage... C'est tellement inextricable qu'on pourrait presque parler, si l'on n'avait pas tant peur d'utiliser une tarte à la crème de la philo, d'une "dialectique" entre langage et pouvoir dans la naissance des religions révélées...
Et là on devient obscur, alors on se tait et on laisse Pierre répondre... :)

Fabien Lyraud

Message par Fabien Lyraud » mar. juil. 03, 2007 2:16 pm

Il me semble qu'il y a quand même une forte fascination pour les philosophies religieuses orientales (Boudhisme et Taoïsme) chez Pierre. On sent une opposition entre deux conceptions de la nature de la religion : d'un coté la relgion révélée qui est destructrice et de l'autre la philosophie religieuse et les croyances animistes ou chamaniques qui permettent son élévation. Donc le rapport de Pierre vis à vis de la religion est assez complexe.

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orcusnf
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Message par orcusnf » mar. juil. 03, 2007 4:45 pm

Pour rester religieux, dans tes space op, ta méchante église ressemble toujours un peu beaucoup à la catholique, pourquoi un tel acharnement ? Peut d'être traité de raciste si elle ressemble à la juive ou à la musulmane ?
http://www.fantastinet.com l'actualité de la littérature de l'imaginaire

Pierre Bordage
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Message par Pierre Bordage » mar. juil. 03, 2007 6:12 pm

Salut à tous, me revoilà après une petit interruption pour cause d'interview.

Pour Ferocias : oui, ce genre d'interrogation me traverse, moi qui vit de mes touches.
Quelle sera la forme de communication de l'avenir ? Pour l'instant, l'écrit ne ne semble pas trop en danger, dans la mesure où aucun autre système ne permet l'intimité spécifique qui s'installe entre l'auteur et le lecteur. Aucun autre système ne permet à chacun de s'emparer de l'histoire, aucun n'a un tel pouvoir d'évocation. L'image et le son imposent une version imaginaire, l'écriture éveille les imaginaires personnels. Raison pour laquelle on est souvent déçu par une adaptation film ou BD d'une oeuvre littéraire. Alors, accident de l'histoire ou non, l'écrit a encore de beaux jours devant lui.

Pour Roland : exact, le passage au verbal, la retanscription par des mots limités, piégés dans leur histoire, d'une expérience indicible, est le commencement des interprétations, et donc du pouvoir. Et donc, effectivement, dès qu'un disciple ou un adepte décide de porter sa propre expérience, ou pire ce qu'il croît être l'expérience de son prophète, sur la place publique en utilisant l'outil des mots, du langage, il sème la graine de la perversion. Et pourtant, nous avons besoin de mots pour communiquer.
C'est un cercle vicieux duquel l'humanité a beaucoup de mal à se sortir. Comment en effet expliquer par les mots qu'il faut se sortir des mots ?

Pour Lolo de mars : bon oui d'accord, mon site internet est pourri, mais c'est seulement que je le laisse en jachère, n'ayant pas trop le temps, ne prenant pas le temps, de le cultiver. :( Je n'ai pas encore prévu d'y remédier, hormis peut-être le fait d'y passer davantage de temps, mais je vais essayer de faire quelque chose tout de même. En tout cas, je ne tiendrai pas de blog, j'ai déjà assez de travail avec l'écriture de mes romans. Pour les couvertures, il faut remercier Gess, Caza et le cabinet graphique Rampazo, qui travaille pour le Diable Vauvert.

Pour systar : je ne pensais pas qu'on était si intello dans un forum de SF :lol: Faut bosser alors ? Le langage est-il synonyme de pouvoir ? Oui, évidemment, car il est structuré par le temps. Un truc que j'adore faire : regarder l'étymologie des mots. C'est toute une histoire qui se met en place, une suite de conditionnements qui se succèdent, et on pourait reconstituer une grande partie de l'histoire humaine rien qu'en consultant un dictionnaire (un de mes projets de roman, d'ailleurs). Le disciple ou le prêtre adapte un langage à ses propres vues, forcément subjectives, et en fait un instrument de pouvoir en imposant son interprétation. L'interprétation, voilà la graine de discorde.
Regardez quand on publie un livre, le nombre d'interprétations complètement différentes, voire totalement opposées. On se sert du langage pour étayer sa propre légitimité, et cela rejoint Porteurs d'Âmes, pub :roll: , où le transfert de l'âme dans un corps d'emprunt permet de se rendre compte que toute expérience de vie est légitime, puisqu'elle est. En fait, je crois que le mot clef de la spiritualité est acceptation — qui ne veut pas dire résignation.

Pour Fabien : ce qui m'a intéressé dans certaines mystiques orientales, c'est justement cette invitation permanente à se dépouiller de ses conditionnements, de la fameuse maya décrite dans l'hindouisme. Le tao et son enseignement paradoxal, jamais figé, marchant toujours par contraires, comme pour défier notre tendance à la logique. Les enseignements de Krishnamurti, nous invitant sans cesse à prêter attention à nos différents, et parfois subtils, conditionnements. Et plein d'autres qu'il serait fastidieux ici d'énumérer. Je retrouve cet esprit chez les mystiques chrétiens, soufis et les kabalistes. Ce que je fuis, ce sont les commandements, les dogmes, tout ce qui installe les êtres humains dans les certitudes.

Verrouillé

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