Mélanie Fazi online

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Florent
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Message par Florent » mer. avr. 09, 2008 10:02 am

J'ai une question un peu tordue : en tant que lectrice, t'es t-il arrivé de détester un livre, d'avoir envie de le passer dans un mixer, que ce soit à cause de sa forme, ou d'un fond nauséabond ? (C'est une question bizarre, je sais).
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Mélanie
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Message par Mélanie » mer. avr. 09, 2008 10:16 am

Daylon a écrit :J'aurai voulu savoir: conserves-tu le même rapport quasi synesthésique avec tes textes, a posteriori (disons quelques mois, voir quelques années plus tard) ?
Vois-tu toujours les mêmes images et entends-tu les mêmes musiques ou évoluent-elles avec le temps ? (ou bien le cordon est-il coupé, tout ça)
Le cordon est coupé, mais pas dans le sens où tu l'entends. Je viens de me poser la question par rapport à mon plus vieux texte publié, "Le noeud cajun", qui date de 1998. Quand je le relis, j'ai l'impression qu'il a été écrit par quelqu'un d'autre. Ça ne tient pas tant au style qu'à la personne que je devine derrière : moi à 21 ans, avec un vécu et une vision du monde un peu différents. De ce point de vue-là, le cordon est coupé : je serais incapable d'écrire ça aujourd'hui.

En revanche, quand je pense à ce texte, une image me vient tout de suite, et c'est celle par laquelle tout avait commencé : le personnage d'Eugene Ellis assis devant chez lui, fusil en main. Je revois très précisément le décor, les personnages, Eugene a exactement la même tête qu'il y a dix ans. Normal, il avait les traits d'une personne réelle (c'est souvent le cas quand je crée des personnages : pas forcément les traits de personnes que je connais "en vrai" mais plutôt des gens qui sont déjà des "images" pour moi : acteurs, musiciens, etc).

Donc, tout ça ne change pas avec le temps. J'ai un autre exemple en sens inverse. La nouvelle "Notre-Dame-aux-Ecailles" était partie d'une chanson de PJ Harvey qui s'appelle Stone. Chaque fois que je réécoute Stone, j'éprouve toujours exactement la même sensation, qui correspond à l'ambiance que je voulais créer dans cette nouvelle. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai associé cette chanson à ma nouvelle, ou parce que la chanson suscitait déjà cette émotion chez moi et que j'ai construit le texte autour. Mais ça ne rate jamais.
Tes lecteurs te rapportent-ils régulièrement des musiques / des films / toute œuvre auxquels ils auraient pensé en te lisant ?
Ça arrive de temps en temps. Pour Arlis des forains, on m'a parlé de La nuit du chasseur, de Cristal qui songe ou encore de la nouvelle de King "Les enfants du maïs". Cristal qui songe, je ne l'avais pas encore lu. "Les enfants du maïs", effectivement, j'y avais pensé en cours de rédaction. La nuit du chasseur, je connais et j'adore mais ça ne m'était pas venu à l'idée. Si j'avais pensé à une référence précise en choisissant de mettre en scène deux enfants dans un contexte de petite ville américaine, c'était plutôt To kill a mockingbird.
Penses-tu que ce rapport sensoriel soit aussi important à l'écriture qu'à la lecture ?
Qu'il soit important que les sensations soient les mêmes pour l'auteur et le lecteur ?
En voilà une question qu'elle est bonne. Chez moi, ce rapport sensoriel est indispensable à l'écriture, mais c'est une approche personnelle, ça ne va pas être le cas de tous les auteurs. Même chose pour les lecteurs. Je sais qu'en tant que lectrice, j'ai besoin de visualiser ce que je lis. Ce qui me pose parfois problème. Si je tombe sur un concept de SF que je n'arrive pas à me représenter par exemple - ou alors, ado, quand je lisais Lovecraft et que je n'adhérais pas totalement parce que je n'arrivais pas à visualiser ses créatures. Je sais, ça fait partie du truc, mais j'ai eu du mal au départ. On n'aborde pas tous un livre de la même manière. Moi, je vais m'intéresser surtout aux personnages et aux émotions. Quelqu'un d'autre va rechercher avant tout une histoire bien ficelée. Un troisième lecteur va chercher des idées qui le font cogiter. Le rapport sensoriel varie de la même façon d'une personne à l'autre.

Quant à ta deuxième question, j'ai envie de dire qu'elle souligne un paradoxe. C'est ce qu'on essaie de faire, effectivement (enfin moi en tout cas), mais en même temps, c'est impossible. Parce que deux personnes n'auront jamais la même façon de se représenter ou de ressentir les choses, parce qu'on n'a pas les mêmes références, le même univers... Même quand tu décris précisément ce que tu as en tête, le lecteur va recevoir l'idée globale mais pas visualiser les mêmes détails. Un exemple très bête : tu parles d'un personnage très beau et très séduisant, personne ne verra la même chose, parce qu'on n'a pas les mêmes critères en la matière.
Partant de là, ça me sidère toujours quand des lecteurs me parlent de ce qu'ils ont ressenti en lisant un de mes textes et que ça correspond à ce que j'essayais de faire passer. Ça, c'est un mystère pour moi : puisque chacun ressent et visualise un texte à sa façon, comment ce truc quasi télépathique est-il possible ? En tout cas, quand j'écris, j'essaie de ressentir les scènes et les ambiances de la façon la plus précise possible, tout en sachant que le lecteur l'interprètera à sa façon. Mais souvent, ça marche, et je ne comprends toujours pas comment.
(c'est très redondant, comme post, mais j'ai du mal à m'éclaircir les idées, le matin)
Meuh non, ce n'est pas redondant. Et puis je suis mal réveillée aussi, ça tombe bien.

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Message par Mélanie » mer. avr. 09, 2008 10:40 am

Florent a écrit :J'ai une question un peu tordue : en tant que lectrice, t'es t-il arrivé de détester un livre, d'avoir envie de le passer dans un mixer, que ce soit à cause de sa forme, ou d'un fond nauséabond ? (C'est une question bizarre, je sais).
Ça m'est arrivé. Le truc, c'est qu'en cherchant des exemples, les premiers qui me viennent sont des choses que j'ai lues dans un contexte pro, en tant que traductrice, ce qui modifie un peu le regard. Soit des textes que j'ai pris en grippe à force d'être plongée dedans, soit des trucs que j'ai refusés de traduire. Du coup, je n'ai pas envie de donner les noms.

Donc, si j'essaie de me rappeler les points sur lesquels j'avais réagi... La forme, effectivement. On tombe parfois sur des livres tellement mal écrits qu'on se demande comment ça a pu passer la barrière de la publication. Des fois, franchement, on hallucine. J'ai de moins en moins de patience avec ça. Quand moi qui suis francophone, je lis un texte en anglais en me disant "Je serais capable d'écrire l'anglais mieux que ça", il y a un problème.
Sinon, au niveau du fond, j'identifie deux choses que je ne supporte absolument pas et qui sont liées. La première, ce sont les personnages vraiment trop cliché. Les héros courageux, altruistes et parfaitement insipides, les méchants vraiment très méchants, les gros durs qui ont finalement un coeur d'or, etc. Les personnages passe-partout auxquels le lecteur est censé s'identifier, mais qui sont tellement lisses qu'on ne peut même pas s'y intéresser (comment est-ce qu'on pourrait s'identifier à un personnage qui n'a ni failles ni défauts ??). Le deuxième truc qui me donne vraiment envie de passer un livre par la fenêtre, c'est quand on sent nettement qu'un auteur de sexe masculin plaque ses fantasmes sur un personnage féminin. Surtout quand ce sont des fantasmes très ado. Ça donne des personnages féminins auxquels on ne peut pas croire une seconde, et dans certains cas, on sent derrière une vision de la femme que je trouve assez malsaine.

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Message par Florent » mer. avr. 09, 2008 10:50 am

J'en déduis que tu adores l'héroïc fantasy :mrgreen:

Je suis globalement d'accord avec toi, si ce n'est par exemple pour un auteur comme Robert Howard. Pour moi, les Conan s'inscrivent dans une tradition pulp, à lire au premier degré, avec tout ce que cela inclue de serpents géants et d'esclaves à moitié nues sauvées par le héros.

Je ne dirais pas que c'est véritablement malsain, parce que chez Howard on trouve aussi des femmes fortes, des hommes faibles et cruels, et qu'il est aussi l'auteur de Red Sonya de Rogatino. Que des personnages féminins correspondent à des fantasmes masculins, oui c'est vrai (et d'ailleurs je pense que la littérature, quelque part, peut aussi être l'expression de fantasmes), mais ces fantasmes peuvent aussi prendre plusieurs visages (pour certains, l'héroïne forte de caractère et dominatrice peut aussi représenter un fantasme).

Qu'est-ce que je voulais dire, moi... 8) Heu oui, disons que ce dont tu parles, c'est un peu aussi comme le rapport à la mort, ou à la morale : un héros qui trucide tout le monde sans aucun point de vue moral, ça peut poser un problème. Ou alors c'est totalement assumé, comme dans Conan, donc.
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Message par jlavadou » mer. avr. 09, 2008 11:08 am

Je n'ai pas précisément d'exemple en tête (ça fait un bail que je ne t'ai pas lue), mais j'ai gardé à l'esprit une similitude entre certaines ambiances que tu décris dans tes textes et certains films de Tim Burton. Est-ce une influence directe pour toi, et sinon, est-ce un univers qui te parle ?

Je ne peux pas m'empêcher par exemple de penser que les personnages joués par Helena Bonham Carter pourraient très bien se retrouver dans tes textes...

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Message par Mélanie » mer. avr. 09, 2008 11:11 am

Florent a écrit :J'en déduis que tu adores l'héroïc fantasy :mrgreen:
Howard, je ne l'ai pas lu donc je ne peux pas en parler (mais ce que j'en ai entendu dire m'intrigue, je le lirai sans doute un jour). C'est vrai que la fantasy m'intéresse moins que le fantastique, et que je ne la supporte pas quand elle repose sur des clichés. Cela dit, j'ai aimé des livres de fantasy qui reposaient sur des bases assez classiques. Comme la série de Chalion de Lois McMaster Bujold - mais là, il y a une vraie subtilité dans les personnages.
Je ne dirais pas que c'est véritablement malsain, parce que chez Howard on trouve aussi des femmes fortes, des hommes faibles et cruels, et qu'il est aussi l'auteur de Red Sonya de Rogatino. Que des personnages féminins correspondent à des fantasmes masculins, oui c'est vrai (et d'ailleurs je pense que la littérature, quelque part, peut aussi être l'expression de fantasmes), mais ces fantasmes peuvent aussi prendre plusieurs visages (pour certains, l'héroïne forte de caractère et dominatrice peut aussi représenter un fantasme).
En fait, je pensais à autre chose quand je parlais de personnages correspondant à des fantasmes. Une manière de parler de la sexualité féminine en étant totalement à côté de la plaque, par exemple. Et là, pour le coup, je pensais à des textes de fantastique, pas de fantasy. Des personnages censés être des gens ordinaires, pas des figures mythiques.
C'est vrai que la littérature peut être l'expression de fantasmes, je pense même que ça intervient en grande partie dans le processus créatif. Mais par rapport à cette histoire de personnages féminins, si l'auteur est suffisamment habile, il peut réussir à contourner ce côté cliché. Si au contraire il est mauvais, ça va donner quelque chose de ridicule et/ou malsain. Et là, le côté fantasme adolescent va se voir de manière vraiment gênante.

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Message par Florent » mer. avr. 09, 2008 11:25 am

Oui, sur cette question du fantasme, voire de la frustration, on peut même dire que certains chef d'oeuvres reposent là-dessus. Je pense au Dracula de Stoker, qui est né de la frustration provoquée par le carcan puritain imposé à l'époque. Et Stoker met en scène ses fantasmes de façon habile, subtile justement (les 3 harpies qui épuisent la vigueur de Jonathan Harker).

Je comprends ce que tu veux dire ; en fait, tu fais référence à... Je n'ose pas le dire, mais disons la littérature de bran... qui règlent leurs comptes en mettant en scène des mâles dominants auxquels ils s'identifient pour leur faire faire ce qu'ils n'osent pas faire dans la vie. En effet c'est assez malsain, si l'auteur n'a pas de recul là-dessus.

D'ailleurs tiens, ça me permet d'orienter la discussion vers quelque chose qui me semble intéressant : la différence d'approche de l'écriture entre hommes et femmes. Je vais éviter les clichés (les femmes plus sensibles, plus romantiques, etc.) qui à mon avis relèvent de tout ce qu'on peut dire de stupide dès qu'on essaye de généraliser, mais à ton avis : existe-t-il une différence dans la façon d'appréhender les choses entre un auteur homme et un auteur femme ? (Par exemple, ça me vient à l'esprit : le traitement très subtil de l'homosexualité par Anne Rice dans Entretien avec un Vampire, je ne sais pas pourquoi mais je ne crois pas qu'un homme aurait pu le traiter aussi habilement).
Modifié en dernier par Florent le mer. avr. 09, 2008 11:26 am, modifié 1 fois.
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Message par Mélanie » mer. avr. 09, 2008 11:25 am

jlavadou a écrit :Je n'ai pas précisément d'exemple en tête (ça fait un bail que je ne t'ai pas lue), mais j'ai gardé à l'esprit une similitude entre certaines ambiances que tu décris dans tes textes et certains films de Tim Burton. Est-ce une influence directe pour toi, et sinon, est-ce un univers qui te parle ?

Je ne peux pas m'empêcher par exemple de penser que les personnages joués par Helena Bonham Carter pourraient très bien se retrouver dans tes textes...
J'adore Helena Bonham Carter, depuis l'époque où je la voyais surtout dans des films en costume comme Howards End. Avant qu'elle se spécialise dans les rôles de cinglée. C'est marrant, mais en voyant récemment Sweeney Todd, je me disais justement que ce serait sympa de créer un personnage qui lui ressemble (je disais tout à l'heure que je m'inspirais de personnes réelles pour construire mes personnages).

Tim Burton a longtemps été un de mes réalisateurs préférés, puis j'ai décroché à partir de Sleepy Hollow qui m'avait déçue. Je continue à aller voir ses films mais ils m'emballent moins qu'avant. Ado, j'avais la VHS de Beetlejuice que je me repassais régulièrement avec ma soeur le dimanche après-midi, je connaissais les dialogues par coeur. Je me rappelle aussi à quel point j'étais intriguée par Edward aux mains d'argent à sa sortie, à quel point j'étais déçue de l'avoir raté en salles (il n'est pas resté longtemps à l'affiche à Dunkerque), à quel point je l'ai adoré quand je l'ai enfin vu. Très clairement, son univers me parle. Pour autant, je ne crois pas qu'il m'influence tant que ça. Pas de manière consciente en tout cas. Son univers est beaucoup plus baroque, beaucoup plus cinglé que le mien. Moi, je donne plus dans la demi-teinte que dans la démesure. Là où je me sens des points commun avec lui, c'est au niveau des personnages. Les siens comme les miens sont souvent en décalage avec le monde qui les entoure. Et il a un rapport à l'imaginaire enfantin dans lequel je reconnais un peu le mien. Ce qui renvoie à une autre question que tu m'as posée un peu plus tôt.

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Eric
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Message par Eric » mer. avr. 09, 2008 11:40 am

Pour rebondir sur ces fameux textes que tu as pris en grippe à force de les traduire, jusqu'où vont les libertés que tu prends avec ce genre de textes ?

En clair, est-ce qu'à un moment donné l'auteur prend le pas sur la traductrice, et tu te dis "Non, ça c'est vraiment trop mal écrit, je ne peux pas laisser ça comme ça !" ?
"Ueeuuggthhhg", laissa échapper Caity. Ce qui aurait pu vouloir dire n’importe quoi.

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Message par Mélanie » mer. avr. 09, 2008 11:45 am

Florent a écrit :Je vais éviter les clichés (les femmes plus sensibles, plus romantiques, etc.) qui à mon avis relèvent de tout ce qu'on peut dire de stupide dès qu'on essaye de généraliser, mais à ton avis : existe-t-il une différence dans la façon d'appréhender les choses entre un auteur homme et un auteur femme ?
Effectivement, le cliché de l'écriture féminine plus sensible, je n'y crois pas. Pour le reste, c'est une vaste question à laquelle je n'ai pas de réponse définitive. Déjà, je pense que ça dépend énormément des individus. L'écriture, c'est avant tout le reflet d'une personnalité. Et justement, tous les auteurs féminins n'ont pas la même, n'ont pas grandi dans le même contexte, n'ont pas le même rapport à leur corps, à leur féminité, à leur place en tant que femme dans la société, etc. Autant de choses qui vont influer, de manière directe ou non, sur l'écriture. Du coup, s'il y a une différence entre l'écriture masculine et féminine, je ne vois pas ça comme quelque chose d'inné (les femmes "naturellement plus sensibles" et autres clichés) mais plutôt le résultat d'un contexte particulier. Selon qu'on naît homme ou femme, on n'est pas tout à fait élevé de la même façon, le monde qui nous entoure n'a pas le même regard sur nous, les mêmes attentes... Donc, on n'a pas la même expérience du monde. Pour moi, la différence est là. Après, cette expérience du monde varie énormément d'une personne à l'autre. Et l'écriture aussi.

Il y a un livre qui m'a beaucoup fait réfléchir sur le sujet, c'est Journal de la création de Nancy Huston. En gros, elle part de l'idée qu'une certaine vision du rôle de l'homme et de la femme - c'est l'homme qui travaille et qui crée, c'est la femme qui élève les enfants - est encore ancrée dans les esprits de manière assez insidieuse, et que ça influe sur le rapport qu'ont les femmes à la création. Je vous décris ça de manière schématique, mais elle l'explique de façon plus subtile. Donc, elle s'attarde sur le cas de plusieurs femmes écrivains de différentes époques pour étudier leur rapport à la création, mais aussi à leur corps, à leur féminité, et établit des liens entre tout ça. Non seulement c'est passionnant, mais j'ai trouvé ce livre assez dérangeant, dans le sens où il m'a forcée à me remettre en question. Il propose des pistes intéressantes pour réfléchir au sujet, en tout cas.

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Message par Mélanie » mer. avr. 09, 2008 11:54 am

Eric a écrit :Pour rebondir sur ces fameux textes que tu as pris en grippe à force de les traduire, jusqu'où vont les libertés que tu prends avec ce genre de textes ?

En clair, est-ce qu'à un moment donné l'auteur prend le pas sur la traductrice, et tu te dis "Non, ça c'est vraiment trop mal écrit, je ne peux pas laisser ça comme ça !" ?
La plus grosse liberté que j'aie jamais prise en traduisant, c'est de supprimer une ou deux fois une expression que l'auteur utilisait au moins dix fois à l'identique au cours du livre pour décrire exactement la même chose. Est-ce que j'ai eu raison, je n'en sais rien. Mais là, ça devenait lourdingue et ça ne servait à rien.

En tant que traductrice, je suis payée pour rendre un texte aussi proche que possible de l'original, mais aussi un texte qui tienne la route en français. Dans les cas où le texte est écrit en mauvais anglais, ça pose effectivement problème. Mais de toute façon, le réflexe de base quand tu traduis, c'est de chercher une tournure qui corresponde à celle que tu lis en VO - en bon français. Tu ne vas pas t'amuser à chercher exprès une phrase qui ne veuille rien dire par souci de fidélité. Je garde constamment en tête que je dois rendre un texte clair et lisible pour le lecteur français. Donc, oui, ça m'arrive de retoucher. Je ne vais pas m'amuser à réécrire tout un passage ou à rajouter des métaphores, mais je vais parfois condenser un peu la phrase, remplacer une relative par un adjectif pour alléger. Mais ça, je le fais déjà sur les bons textes - c'est un travail d'adaptation, pas de réécriture. De toute façon, si une phrase est vraiment trop bancale en français, j'ai le réflexe de la corriger en me relisant. Je n'arrive vraiment pas à laisser une phrase qui ne tienne pas la route. (Ou alors, c'est que je ne l'ai pas fait exprès, mais ceci est une autre histoire.)

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Message par Daylon » mer. avr. 09, 2008 2:56 pm

Pour revenir à ces clivages de personnages féminins/masculins (et de personnages tout court, en fait) et pour rebondir sur la phrase suivante:
Mélanie a écrit :L'écriture, c'est avant tout le reflet d'une personnalité.

... Essaies-tu de construire des personnages (de manière objective, j'entends) ou te servent-ils d'archétypes pour exprimer un sentiment ou une idée particulière ?
Tes personnages existent-ils hors de toi ou ne sont-ils que des projections de ta propre personnalité ?
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Message par Mélanie » mer. avr. 09, 2008 4:51 pm

Daylon a écrit :... Essaies-tu de construire des personnages (de manière objective, j'entends) ou te servent-ils d'archétypes pour exprimer un sentiment ou une idée particulière ?
Alors là, je t'avoue que j'ai du mal à répondre. Je n'essaie pas de les construire de manière consciente en tout cas, sauf dans le cas de personnages secondaires qui ont juste une fonction précise à remplir brièvement. Pour les personnages principaux, ça se fait de manière très spontanée - il peut m'arriver de bloquer sur un texte dont j'ai déjà l'idée principale, juste parce que je ne "sens" pas les personnages. Ils se construisent souvent autour d'un nom ou d'un visage. Pourquoi/comment, j'aurais du mal à l'expliquer... A un moment donné, ce visage ou ce prénom va m'évoquer quelque chose de précis, un personnage va naître autour et acquérir une vie propre. J'essaie de le visualiser précisément, de le rendre assez vivant pour que le lecteur le voie à son tour, mais globalement, ça se fait tout seul. Il m'arrive plus souvent de bâtir une histoire et un décor autour d'un personnage qui est né spontanément que d'essayer de façonner un personnage pour qu'il colle à une histoire. J'imagine qu'effectivement, chacun doit correspondre à un sentiment ou une idée que j'ai envie de mettre en avant. Mais ce n'est pas quelque chose que je théorise. A la limite, je comprends longtemps après de quoi il s'agissait. Rarement avant ou pendant.

Sans compter qu'on a des surprises, des fois. Dans "Le train de nuit", une des nouvelles de Notre-Dame-aux-Ecailles, il y a un personnage de jeune fille un peu cinglée que je me suis bien amusée à créer. Au départ, j'avais en tête un personnage assez inquiétant, censé provoquer un certain malaise. Mais au fur et à mesure que la nouvelle se construisait, je m'y suis attachée et elle est devenue le personnage le plus joyeux de la nouvelle - dans un contexte qui ne l'est pas du tout. Ça m'a étonnée, tellement ça allait à l'encontre de ce qu'était ce personnage à la base. Mais c'était plutôt une surprise agréable. Ce n'est pas la première fois que ça se produit.
Tes personnages existent-ils hors de toi ou ne sont-ils que des projections de ta propre personnalité ?
A mes yeux, la plupart d'entre eux ont une personnalité distincte. Mais j'ai quand même assez de recul pour soupçonner qu'il me ressemblent par certains aspects dont je n'ai pas forcément conscience. Certains personnages, notamment parmi ceux que je fais parler à la première personne, me ressemblent très clairement. Pour d'autres, c'est beaucoup plus diffus. Mais je ne suis pas sûre d'avoir déjà mis en scène des personnages qui ne partagent pas ne serait-ce qu'un ou deux points communs avec moi.

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Message par Eric » mer. avr. 09, 2008 10:27 pm

Comme le montre la sportivité avec laquelle tu joues le jeu de cette itw en ligne, tu es l'une des personnalités de la SFF les plus actives sur les forums. Qu'est-ce que cette proximité t'apporte ?
"Ueeuuggthhhg", laissa échapper Caity. Ce qui aurait pu vouloir dire n’importe quoi.

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Message par Mélanie » mer. avr. 09, 2008 10:58 pm

Eric a écrit :Comme le montre la sportivité avec laquelle tu joues le jeu de cette itw en ligne, tu es l'une des personnalités de la SFF les plus actives sur les forums. Qu'est-ce que cette proximité t'apporte ?
Cool, c'est bien la première fois qu'on me traite de sportive. 8)
Ce que l'histoire ne dit pas, c'est que je suis aussi une grosse flemme qui trouve toujours un prétexte pour aller surfer sur le Net au lieu de travailler. Blague à part, dès que j'ai découvert le Net il y a une dizaine d'années, j'ai tout de suite adoré les mailing lists puis les forums. Peut-être que ça m'avait manqué, à l'adolescence, de ne pouvoir discuter de mes centres d'intérêts avec personne ou presque. J'ailme bien ces lieux virtuels où on se regroupe autour de passions communes pour discuter de tout et de rien. Je m'intéresse forcément beaucoup à ceux qui se consacrent à la SFF, à la fois par intérêt/curiosité et parce que c'est lié à mon travail - ça fait partie de ma vie de tous les jours. J'aime bien me tenir au courant des parutions et des événements, voir comment tel livre va être reçu, suivre des échanges sur des sujets ou des auteurs qui m'intéressent... Après, il y a le plaisir d'y retrouver des copains et collègues (de plus en plus nombreux sur les forums depuis quelque temps), ou au contraire de découvrir des personnalités virtuelles puis de croiser ces gens en vrai. Ado, j'aurais vraiment adoré avoir ce genre d'outil sous la main pour parler de livres, de films ou de musique. A part un cousin qui lisait et écoutait un peu les mêmes choses que moi, je ne connaissais personne à Dunkerque qui partage mes goûts. Le Net est un vraiment outil génial pour ça.

Depuis que je publie mes propres livres et que je traduis de manière régulière, c'est vrai que ça m'intéresse aussi beaucoup de recevoir des avis de lecteurs - y compris les critiques mitigées ou négatives. J'aime beaucoup la proximité que les forums permettent à ce niveau : on y croise des auteurs, des éditeurs, des traducteurs, et on peut très facilement les contacter. J'ai adoré cette proximité dès la toute première fois où je me suis inscrite sur une liste SFF en 2000. Ça permet de descendre les auteurs et autres professionnels de leur piédestal en les mettant au même niveau que les lecteurs lambda, et c'est quelque chose qui me plaît assez.

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