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par gutboy » lun. mars 16, 2009 2:35 pm
Ayé vu Watchmen samedi.
Beaucoup aimé.
Le générique est un morceau de bravoure absolument magnifique: résumer 25 ans d'histoire déviée en quelques tableaux hyper ralentis, sur fond de Bob Dylan (The times they are a-changin, évidemment) chapeau.
Franchement pour le fan de la BD c'est splendide, ça m'a foutu la chair de poule.
N'en déplaise à tous ceux pour qui les ralentis sont pénibles, moi je vote pour. Ils permettent paradoxalement de montrer bien plus de choses que les saccades d'images/coupures enfilées à la chaine, version cocaïnomane épileptique, qui ont envahi les films dits d'action ces 5 dernières années. Sur l'adaptation en film du background de la BD, ben ça fonctionne.
Ca fonctionne même à mon avis au maximum si on tient compte de la durée du film: 2h45. Long pour un film mais très court en regard de la BD.
Snyder s’en sort vraiment bien dans le temps imparti.
Il prend son temps pour poser les personnages. La scène de l'enterrement du comédien par exemple, le genre de scène qui prend 30 secondes dans un film d'action. Ici Snyder pose sa scène, reprend les flashbacks et les découpages de la BD. Pour notre plus grand plaisir. C'est très beau.
Grande réussite du film, tout du long: la reprise généralisée de très nombreuses scènes et plans de la BD.
A ma grande surprise en discutant hier avec mes estimés collègues, à l’occasion de la journée signature Xavier Bruce qui est super sympa et très timide, Jacques Barbéri qui est très sympa aussi même s'il vient de Marseille (nul n'est parfait) et Stéphane Beauverger qui est très sympa aussi même si ses A majuscule sont curieusement dessinés, une très agréable journée d’ailleurs, avec en plus Laurent Rivelaygue qui ma dédicacé son Poisson-Chien chez La Volte avec un joli dessin de poisson-chien pour lequel il a eu la bonne idée de rajouter la niche et l'aboiement pour qu'on comprenne bien que cest un poisson chien, avec l'éditeur de La Volte Mathias Echenay qui a du me prendre pour un gros lourd quand j'ai relevé le retard d'un an et demi sur Noon, mais que bon c'est pas grave c'est Noon alors ça vaut l'attente, Stéphanie Aparicio qui fait la conception graphique de La Volte et que la police de caractère des bouquins elle est géniale pace que parfaitement lisible et élégante à la fois, et Corinne Billon l'illustratrice dont je ne me remets pas du départ en début d'après midi avant que j'ai eu le temps de lui demander une dédicace sur Le Déchronologue parce que bon faut pas déconner c'est vachement chouette ses illlustrations sur les couv. de La Volte, sans oublier en guest star américaine Bull himself), à ma grande surprise, disais-je avant d’être bruyamment interrompu par moi même, c’est un des reproches que j’ai le plus entendu : « ouais bof, il s’est contenté de reprendre les scènes telles quelles »
Je dis : ben ouais. Heureusement.
Watchmen est découpée cinématographiquement. Les travellings y sont. Les fondus y sont. Les scènes y sont. Le dialogue y est. Tout y est précisément, volontairement cinématographique.
Quelle plus-value y aurait-il eu à tout reconstruire différemment ??
L’argument m’échappe.
Autre point positif au film : les héros eux-mêmes. Ils ont une réelle consistance, en tout cas par rapport aux héros de films de super-héros jusqu’à ce jour. Le réalisateur s’attache du mieux possible à garder l’esprit de la BD sur ce point : Chacun est faible ou fort selon le moment, le lieu, la situation. Ils ne sont ni blancs ni noirs. Ils sont plus humains. Plus que tous les superhéros du cinéma à ce jour. C’est cru, largement plus réaliste. A mes yeux, le film est plutôt réussi sur ce point.
Détail trivial, et pourtant significatif : Docteur Manhattan est nu, donc on voit son sexe. Ce n’est ni provocateur ni choquant ni quoi que ce soit : quand un mec est à poil, il est à poil. Point. Quand Hulk se transforme, il garde son slip. On est sur deux niveaux de sérieux plutôt différents.
Watchmen, le film, ne s’adresse pas plus au jeune public que Watchmen, la BD.
Moore avait osé faire tomber les demi-dieux de leur piédestal en racontant leur fragilité psychologique (pour ne pas dire mentale). Snyder arrive presque au même résultat à mon sens.
En cassant les codes du film de superhéros, le réalisateur arrive, dans les limites du format et du temps imparti, à rejoindre le propos de Moore.
Ce qui peut d’ailleurs provoquer une étrange réaction pour le public non averti, j’y reviendrai.
Parmi les scènes marquantes sur cet aspect, il y a également un passage assez fort, quoique très court : Laurie descend les marches habillée pour la première fois en Spectre Soyeux. Rien que le nom de code, déjà dans la BD ça fait sourire. A entendre à l’écran dans la bouche de Rorschach c’est risible. Et c’est bien vu.
Le Spectre Soyeux, donc, descend les marches en costume. Latex noir et jaune moulé au corps, , le noir sur ses jambes finissant en haut des cuisses en forme de porte-jarretelles.
Du point du vue de Dan Dreiberg qui la regarde descendre ces quelques marches : le Fantasme Absolu. Il en a du mal à déglutir, le pauvre.
Du point de vue du spectateur : le mouvement de caméra, l’éclairage, le ralenti, le mouvement de ses cheveux : c’est subitement la bande annonce d’un porno chic qui envahit l’écran. Dans la cave d’un quadragénaire débonnaire. Grotesque. Hors contexte.
C’est bien vu.
Ce que révèlent ces 10 secondes de film de la psychologie des personnages dasn cette scène marche peut-être encore mieux dans le film que dans la BD.
Je passe sous silence la prestation du Comédien, le personnage est parfait.
Rorschach est très réussi également. Il est traité un peu vite à mon goût. J’ai regretté que son passage en prison soit si court, si je peux m’exprimer ainsi... La puissance du personnage dans la BD venait de la découverte très très progressive de ce qui l’a rendu tel qu’il est, au travers de ses rapports avec le psychiatre. Ca m’a manqué ici. Et ses rapports avec le Hibou ne sont pas assez travaillés. Du coup la décision de le libérer et la scène après le « départ » de Laurie pour Mars, si belle dans la BD, tombent un peu à plat.
La scène des toilettes est un des rares moments d’humour –noir, certes- du film et j’ai beaucoup ri. C’est mal de rire d’un meurtre, certes. Mais bon, rien que d’y repenser en écrivant là tout de suite maintenant, j’en souris encore. Juste après la méga baston, Laurie et Dan plantés là comme des poireaux à n’en pas croire leurs yeux pendant que Rorschach file au petit coin, sans comprendre la portée réelle de l’acte, c’est juste savoureux en images.
Et puis, friandise absolue, la phrase culte de Rorschach y est prononcée : « Ce n’est pas moi qui suis enfermé avec vous. C’est vous qui êtes enfermés avec moi ». On pardonnera beaucoup de travers au film, juste pour cette phrase.
Les travers, justement, parlons-en. Le film a-t’il des ratés ? Oui. Sans aucun doute.
Le costume du Hibou pour commencer. On a dit Hibou, bordel, pas Chauve-souris. Son costume est batmanesque. Raté. Le costume du hibou doit être comme son porteur : plutôt has been, limite usé. Facile à sous estimer. Dans le film, personnage est très bien traité quand il est Dreiberg, et très mal rendu quand il est le Hibou. Dommage.
Ozymandias ensuite. Ozymandias dans la BD est un athlète et le gendre idéal. Dans le film c’est un freluquet méprisant. J’imagine assez bien que sans connaitre la BD le personnage est antipathique. Il ne devrait pas l’être.
Là encore, son passé est traité trop rapidement : 3 minutes s’achevant par la tentative de meurtre. 3 minutes qui le font davantage passer pour un illuminé fanatique doublé d’un fumier ultra-capitaliste et arriviste. Alors qu’Ozymandias est bien plus large que ça. Ce n’est pas un fumier ultra-capitaliste par principe. Il devient hyper riche dans le seul but d’avoir les moyens d’accomplir son geste ultime. C’est infiniment plus subtil que le personnage de l’écran. On mettra ça sur le compte du manque de temps pour tout restituer en seulement 2h45.
Passons à la question qui fait débat : la fin est-elle une trahison ? L’acte ultime d’Ozymandias est très différent dans le film. Mon opinion ? Ca tient. C’est une entorse, certes, mais elle permet d’éviter l’île, si je puis dire. Un élément qui aurait probablement nécessité beaucoup d’efforts à intégrer dans le film. La solution choisie ici n’est pas moins monstrueuse par son ampleur. Elle me semble avoir moins de possibilité de fournir le choc psychologique nécessaire à l’unité mondiale, mais elle est assez correcte.
En résumé : vous connaissez et aimez la BD ? Allez voir ce film.
Ma grande question perso en sortant du cinéma a été : comment un spectateur n’ayant jamais entendu parler de la BD verrait-il ce film ? Ou, autrement dit, est-ce que ce film peut avoir un sens au-delà du petit monde des fans de Moore ? Pas sûr. Pas sûr du tout même, me suis-je répété tout le week-end (on a les questions métaphysiques qu’on peut).
Comme le dit Laurie à sa mère à la fin : « la vie nous emmène parfois dans des endroits étranges »
Un des endroits étranges où ma vie professionnelle m’a emmené, c’est le bureau que je partage avec Joe Collègue. Joe Collègue, au lieu de passer son temps sur des forums de SF, il est embêté quand il va sur le net parce qu’il a un pop-up pour des paris en ligne à chaque fois qu’il se connecte au site de L’Equipe. Joe Collègue, au lieu de passer du temps à lire, il passe du temps à regarder la télé. La normalité étant définie par l’ensemble des pratiques les plus généralement répandues, autant dire que Joe Collègue est plus normal que vous et moi. Passer 8 heures par jour avec un mec normal, ben c’est ma définition d’un endroit étrange.
Et puis ce matin, hop, par hasard, parmi les rituels normaux : « salut comment ça va tu as passé un bon weekend oui c’était bien il a fait beau on a eu de la chance parce que vendredi ça s’annonçait plutôt gris mais bon le retour du soleil c’est bien agréable » en usage dans le monde du travail, mon collègue glisse un discret « on est allés au cinéma voir Watchmen ».
Moi : « Ah bon ? tu connaissais la BD ? »
Joe Collègue : « Non pas du tout »
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah me dis-je. Déjà qu’il était normal, mais il le devient encore plus. Voilà qu’il ne connait Watchmen ni d’Eve ni d’Alan.
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah, lui dis-je donc, qu’est-ce tu en avez t’il pensé ?
Ca se révèle très intéressant :
« Pour un film de super-héros, c’est un film original. Il y a davantage d’histoire que d’action, et c’est un peu déstabilisant. J’avais uniquement vu la bande annonce, et elle induit en erreur de façon abusive. Ce film n’est pas ce à quoi je m’attendais. Je m’attendais à voir un film de comics classique avec des méchants, des gentils et des bastons. Du coup j’ai passé une bonne partie du film à attendre que ça décolle, que l’action démarre vraiment. Mais en fait c’est plutôt pas mal, notamment le fait que justement il n’y a pas vraiment de bons, pas vraiment de méchant. L’ambigüité entre le bien et le mal en chacun des personnages est très surprenante. Ma femme a trouvé ça super bien. Ca change vraiment des films classiques, et en fait je me dis que j’aimerai bien le revoir maintenant que j’ai compris l’angle sous lequel les personnages sont traités »
Alors vous je sais pas, mais moi, si Joe Collègue a reçu le film comme ça, ben je dis : bravo Mr Snyder, vous avez réussi votre coup.
Apparté: Purée j’ai cité la moitié des auteurs chez La Volte, j’ai cité cinq fois le nom de la collection dans le même paragraphe et je possède 10 des 15 ou 16 ouvrages publiés par cet éditeur, si ça c’est pas une déclaration d’amour alors j’y connais rien.
Listen now. Whoever you are, with these eyes of yours that move themselves along this line of text; whoever, wherever, whenever. If you can read this sentence, this one fragile sentence, it means you're alive. (Jeff Noon - Falling out of cars)