Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lensman
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Message par Lensman » mar. déc. 08, 2009 8:33 pm

Lem a écrit : Si tu admets ça (j'essaie de trouver une solution non contradictoire au problème de ce fil), pourquoi ne pas admettre aussi que les prescripteurs et les critiques d'une culture qui juge infantile ou creuse la pensée qui se mouvait autrefois dans "ces beaux décors" juge de la même manière infantile ou creuse la littérature qui les réemploie ?
Et ne me dis pas "parce que sans la religion, ce ne sont plus que des décors matériels, ils n'ont plus rien de sacré" : je te parle bien de perception d'ensemble. Tout ce que les prescripteurs et critiques ont lu de la SF, ce sont ses titres, ses 4èmes de couves et les prières d'insérer des éditeurs.
Déjà, les "beaux décors", c'est pour certains textes de SF, c'est bien loin d'être général (Henneberg, d'ailleurs, est souvent perçu - à tort ou à raison - comme de la SF proche de la Fantasy). Donc, ça ne concerne pas du tout l'exclusion de "Tous à Zanzibar", par exemple. Comme on revient au début de débat (c'est sans doute de ma faute, mais ça montre que pas grand chose n'a été résolu dans les questions, même si il y a eu plein de développements passionnants), l'exclusion des textes de SF nombreux, du genre spéculatifs à la "Tous à zanzibar" n'a pas été expliquée par la présence de la métaphysique. Tu as tendance (c'est normal, ce n'est pas un reproche en soi) à prendre des exemples où il est possible de faire une lecture de préoccupation métaphysique (encore que, pour Henneberg, on est plus dans l'exploitation d'image cenues de la religion, de la mythologie, des choses que je distingue personnellement de la métaphysique).
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » mar. déc. 08, 2009 8:50 pm

Les représentations ont une inertie ; elles durent. Une fois la perception générale de la sf compromise, il a dû être difficile pour quelqu'un du dehors d'avoir un accès immédiat et transparent aux textes. Quand toute une société relaie le message implicite "ce-genre-est-un-truc-bizarre-avec-de-la-fausse-science-et-de-la-métaphysique-pour-ado" (par exemple, en utilisant le terme sf comme synonyme de ridicule), il est plus compliqué d'être disponible à l'idée que tel ou tel livre échappe à cette description.
A ce sujet, j'ai une petite histoire.
La première fois que j'ai rencontré Michel Pagel, au début des années 90, il m'a donné ses romans au Fleuve que je n'avais pas lus et parmi eux, il y avait son premier, Demain matin au chant du tueur, un Fleuve standard avec une couverture de Vloo Artists représentant un androïde cow-boy dont on voyait les yeux en forme de globes chromés avec fentes et des mains mécaniques articulées. Mais j'ai déménagé peu après, j'ai perdu le bouquin et du coup, je ne l'ai pas lu.
Des années plus tard, j'en ai retrouvé un exemplaire dans une solderie et je l'ai racheté. Et là : surprise. La couverture de Vloo représentait un cow-boy pur et simple. Il n'y avait aucun "truc sf" dans l'image. J'avais associé sans même y penser Fleuve+SF+Western (je me souviens que j'avais pensé à Mondwest) et ma perception de l'image avait été instantanément brouillée;
Il n'est pas très difficille d'imaginer le même processus – en sens inverse : même si c'est bon, même si c'est de la science correcte, même si le niveau littéraire est superbe, l'écran de la mauvaise réputation s'interpose avec une telle force qu'on n'arrive pas à accéder au texte.

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Lensman
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Message par Lensman » mar. déc. 08, 2009 8:54 pm

Je signale aux amateurs le programme d'Arte de ce soir, qui va apporter des réponses à plein de questions (du genre "le Big Bang a-t-il eu lieu en 7 jours", etc):
http://www.arte.tv/fr/programmes/242,da ... ening.html
Oncle Joe

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Erion
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Message par Erion » mar. déc. 08, 2009 9:01 pm

Lem a écrit :Les représentations ont une inertie ; elles durent. Une fois la perception générale de la sf compromise, il a dû être difficile pour quelqu'un du dehors d'avoir un accès immédiat et transparent aux textes. Quand toute une société relaie le message implicite "ce-genre-est-un-truc-bizarre-avec-de-la-fausse-science-et-de-la-métaphysique-pour-ado" (par exemple, en utilisant le terme sf comme synonyme de ridicule), il est plus compliqué d'être disponible à l'idée que tel ou tel livre échappe à cette description.
C'est pas la société qui relaie ça, c'est la SF qui diffuse ça, et s'en réjouit. Les amateurs de SF aiment ça, ils sont même capable de rire là-dessus.

La "société" (vile et tentaculaire et méchante, crève rousseau, crève) n'y est pour rien.

Sinon, je peux parler du cosplay aux Utopiales aussi, tant qu'on y est.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/

Lem

Message par Lem » mar. déc. 08, 2009 9:06 pm

Lem a écrit :Il n'est pas très difficille d'imaginer le même processus – en sens inverse : même si c'est bon, même si c'est de la science correcte, même si le niveau littéraire est superbe, l'écran de la mauvaise réputation s'interpose avec une telle force qu'on n'arrive pas à accéder au texte.
Encore un exemple intuitif extrait du troisième et légendaire Non-A (La fin du A ; c'est bizarre, les bouquins que j'ai entassés au-dessus de mon bureau. Henneberg, Barbet, Van Vogt – dont j'ai aussi le Livre de Ptah, d'ailleurs). J'ouvre le livre au hasard et après trois lignes je tombe sur : "En tout premier lieu, il est A, l'être non mû, infini". Typiquement le genre de phrase pseudo-philosophique fumeuse qui tue la réputation d'un texte (et d'un genre).

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Lensman
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Message par Lensman » mar. déc. 08, 2009 9:06 pm

Lem a écrit : Il n'est pas très difficille d'imaginer le même processus – en sens inverse : même si c'est bon, même si c'est de la science correcte, même si le niveau littéraire est superbe, l'écran de la mauvaise réputation s'interpose avec une telle force qu'on n'arrive pas à accéder au texte.
Il y a aussi un problème, atour duquel on a un peu tourné, avec méfiance.
Les soucoupes volantes, par exemple... cela nuit à l'image de la SF quand on l'y associe.
Il y a pour moi quelques chose de très gênant parce que OUI, la SF et les soucoupes volantes sont effectivement associées et entretiennent des liens très étroits.
Pour un lecteur de SF depuis le plus jeune âge, la distinction "hétéroclitisme" et "SF sérieuse" se fera assez aisément, parce qu'il a l'habitude. Pour un lecteur non expérimenté, ce sera très difficile pour certains textes, où apparaissaient effectivement des soucoupes volantes, auquel d'entrée de jeu il ne va pas toucher, parce que pour lui, c'est "barjo". Si il voit le titre "La soucoupe de solitude" de Sturgeon, il va éviter. Et même s'il n'évite pas, il sera peut-être mal à l'aise en le lisant; car il se posera des questions sur son statut.
Le lecteur de SF, lui, sait s'y retrouver assez bien, il jauge assez vite le statut du texte (auteur de SF un peu barjo qui y "croit", auteur de SF qui utilise la thématique, clin d'oeil).
Il accepte (même s'il peut râler) la présence de ces motifs encombrants. Cela demande de l'entrainement, un peu d'agilité d'esprit, et de cette "culture SF" qui rend la SF si difficile à accepter pour tant de gens.
Oncle Joe

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Lensman
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Message par Lensman » mar. déc. 08, 2009 9:12 pm

Lem a écrit :
Lem a écrit :Il n'est pas très difficille d'imaginer le même processus – en sens inverse : même si c'est bon, même si c'est de la science correcte, même si le niveau littéraire est superbe, l'écran de la mauvaise réputation s'interpose avec une telle force qu'on n'arrive pas à accéder au texte.
Encore un exemple intuitif extrait du troisième et légendaire Non-A (La fin du A ; c'est bizarre, les bouquins que j'ai entassés au-dessus de mon bureau. Henneberg, Barbet, Van Vogt – dont j'ai aussi le Livre de Ptah, d'ailleurs). J'ouvre le livre au hasard et après trois lignes je tombe sur : "En tout premier lieu, il est A, l'être non mû, infini". Typiquement le genre de phrase pseudo-philosophique fumeuse qui tue la réputation d'un texte (et d'un genre).
Et de manière générale, c'est effectivement très mauvais signe (des tas de bouquins barjos sont farcis de ces formules ronflantes plus ou moins absurdes). Mais en SF, non. Seulement, il faut connaître les codes de cette littérature, accepter la quincaillerie.
Oncle Joe

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Message par systar » mar. déc. 08, 2009 9:18 pm

Lensman a écrit :
Lem a écrit :
Lem a écrit :Il n'est pas très difficille d'imaginer le même processus – en sens inverse : même si c'est bon, même si c'est de la science correcte, même si le niveau littéraire est superbe, l'écran de la mauvaise réputation s'interpose avec une telle force qu'on n'arrive pas à accéder au texte.
Encore un exemple intuitif extrait du troisième et légendaire Non-A (La fin du A ; c'est bizarre, les bouquins que j'ai entassés au-dessus de mon bureau. Henneberg, Barbet, Van Vogt – dont j'ai aussi le Livre de Ptah, d'ailleurs). J'ouvre le livre au hasard et après trois lignes je tombe sur : "En tout premier lieu, il est A, l'être non mû, infini". Typiquement le genre de phrase pseudo-philosophique fumeuse qui tue la réputation d'un texte (et d'un genre).
Et de manière générale, c'est effectivement très mauvais signe (des tas de bouquins barjos sont farcis de ces formules ronflantes plus ou moins absurdes). Mais en SF, non. Seulement, il faut connaître les codes de cette littérature, accepter la quincaillerie.
Oncle Joe
En fait de pseudo-philosophie, cette phrase mélange:
- l'infini: sans doute une référence à l'illimité, l'apeiron, référence à Anaximandre
- le non-mû, c'est aussi ce qui meut tout le reste: premier moteur du livre lambda de la Métaphysique d'Aristote.

C'est plutôt rigolo.

Lem

Message par Lem » mar. déc. 08, 2009 9:22 pm

Lensman a écrit :Et de manière générale, c'est effectivement très mauvais signe (des tas de bouquins barjos sont farcis de ces formules ronflantes plus ou moins absurdes). Mais en SF, non. Seulement, il faut connaître les codes de cette littérature, accepter la quincaillerie.
Pardonne-moi, Oncle. Je t'ai tendu un petit piège sans malice.
La phrase en A au-dessus n'est pas extraite de Van Vogt mais de l'un des derniers grands textes de métaphysique religieuse du XXème siècle, L'étoile de la rédemption de Franz Rosenzweig, 1921 (que m'a fait découvrir Systar). Elle conclut le passage suivant :
Si, dans cette mer silencieuse de la physis interne de Dieu, une tempête doit survenir qui fasse monter ses flots, si de son propre sein naissent des tourbillons et des vagues qui font entrer la surface silencieusement dans un mouvement déferlant – voilà ce que nous ne savons pas encore. En tout premier lieu, il est A – l'être non mû, infini.
Ceci ne prouve évidemment rien et je ne l'utiliserai pas dans le débat (car il n'y a pas de voiture volante chez Rosenzweig et la même proposition renversée ne donne rien). Je voulais juste montrer à quel point, lorsque l'esprit est éduqué à percevoir les choses d'une certaine manière, tout ce qui se présente à lui est déformé.

Edit : aha Systar ! Mais tu l'as quand même senti…

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Message par Lensman » mar. déc. 08, 2009 9:26 pm

systar a écrit :
En fait de pseudo-philosophie, cette phrase mélange:
- l'infini: sans doute une référence à l'illimité, l'apeiron, référence à Anaximandre
- le non-mû, c'est aussi ce qui meut tout le reste: premier moteur du livre lambda de la Métaphysique d'Aristote.

C'est plutôt rigolo.
Voilà. Il faut se rappeler que c'est de la fiction, et que c'est de l'illusionnisme.. Tu penses bien que ça n'a rien à voir avec l'image honorable de la grande littérature...
Mais le lecteur de SF, s'il est dans de bonnes dispositions, va passer sur les absurdités, s'il est pris par l'ambiance. C'est anti-littéraire au possible, c'est de la SF
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Message par systar » mar. déc. 08, 2009 9:32 pm

Lem a écrit : Edit : aha Systar ! Mais tu l'as quand même senti…
Une caisse de whisky pour cette infâmie :) Oser faire passer mon mage de Cassel pour l'autre foufou non-aristotélicien!

Ceci dit, avec l'Etoile, tu as une des clés de la mutation sans doute définitive que connaît la métaphysique... (je pense que je vais en parler bientôt, pas forcément avec Rosenzweig, mais je tournerai autour).

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Message par systar » mar. déc. 08, 2009 9:33 pm

Lem, tu l'as prise où, la citation?

Dans le méta-logique, au début?
(avec la construction progressive des équations A =A, etc?)

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Message par Lensman » mar. déc. 08, 2009 9:39 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Et de manière générale, c'est effectivement très mauvais signe (des tas de bouquins barjos sont farcis de ces formules ronflantes plus ou moins absurdes). Mais en SF, non. Seulement, il faut connaître les codes de cette littérature, accepter la quincaillerie.
Pardonne-moi, Oncle. Je t'ai tendu un petit piège sans malice.
La phrase en A au-dessus n'est pas extraite de Van Vogt mais de l'un des derniers grands textes de métaphysique religieuse du XXème siècle, L'étoile de la rédemption de Franz Rosenzweig, 1921 (que m'a fait découvrir Systar). Elle conclut le passage suivant :
Si, dans cette mer silencieuse de la physis interne de Dieu, une tempête doit survenir qui fasse monter ses flots, si de son propre sein naissent des tourbillons et des vagues qui font entrer la surface silencieusement dans un mouvement déferlant – voilà ce que nous ne savons pas encore. En tout premier lieu, il est A – l'être non mû, infini.
Ceci ne prouve évidemment rien et je ne l'utiliserai pas dans le débat (car il n'y a pas de voiture volante chez Rosenzweig et la même proposition renversée ne donne rien). Je voulais juste montrer à quel point, lorsque l'esprit est éduqué à percevoir les choses d'une certaine manière, tout ce qui se présente à lui est déformé.

Edit : aha Systar ! Mais tu l'as quand même senti…
Heu... ça passera parce que c'est dans un bouquin de SF, pour faire beau... Personne ne va lire le texte de Franz Rosenzweig, de toute évidence imbitable, sauf dans le cadre d'une recherche professionnelle sur l'histoire de la philosophie religieuse! Le lecteur qui voit ça avait effectivement bien raison de se méfier! (je rappelle qu'il va lire un roman...)
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le mar. déc. 08, 2009 9:41 pm, modifié 1 fois.

Lem

Message par Lem » mar. déc. 08, 2009 9:41 pm

systar a écrit :Lem, tu l'as prise où, la citation?
Premier Livre : Dieu et son être ou métaphysique. Paragraphe "signe".
Et je dois deux caisses de whisky en fait. Car j'en offre aussi une à Oncle pour avoir rosenzweigisé l'Armurier d'Isher.

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Aldaran
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Message par Aldaran » mar. déc. 08, 2009 9:43 pm

Lem a écrit :Je voulais juste montrer à quel point, lorsque l'esprit est éduqué à percevoir les choses d'une certaine manière, tout ce qui se présente à lui est déformé.
Plus qu'éduqué à percevoir les choses d'une certaine manière, sur ce coup-là, l'esprit en question a été mal aiguillé sciemment.
Un procédé qui fonctionne à merveille pour faire une bonne blague mais pas pour montrer (ou juste montrer) quelque chose.
Elle est bonne quand même.
Tonton ! Remets le deuxième cerveau en route, ils se moquent de toi !

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