Gérard Klein a écrit :Il y a dans science-fiction un mot terrible.
Ce mot terrible est science.
La science, ou plutôt faudrait-il parler de sciences car elles entretiennent entre elles assez peu de rapports sauf une vague idéologie et un semblant de méthodologie commune, mais nous retiendrons ici le terme science pour les subsumer, sachant qu'il s'agit d'un impropre raccourci.
Je t'invite à lire quelques uns des travaux issus du SFI.
Malgré les initiales, cela n'a rien à voir avec la science-fiction.
Quoique...
Le Santa Fe Institute est un institut de recherche scientifique dédié à l'interdisciplinaire.
Constatant que les sciences ne communiquaient pas, quelques doux rêveurs ont décidé de travailler sur l'émergence du complexe par la mise en commun de disciplines scientifiques.
Mais c'est vrai que ça date de 1984 ; sans doute beaucoup trop jeune pour être étudié dans ce thread.
Parmi les gugusses qui ont créé le SFI, il y a un certain Murray Gell-Mann. Un des doux rêveurs. Prix Nobel de physique, "inventeur" du quark en 1963 (la confirmation expérimentale ne viendra que 10 ans plus tard),
MGM raconte l'anecdote suivante : "En 1963, lorsque j'ai donné le nom de quark aux constituants fondamentaux du noyau, je n'ai d'abord eu que le son, sans l'orthographe qui aurait pu être kwork. Ensuite, lors d'une de mes incursions dans
Finnegans Wake de James Joyce, je suis tombé sur le mot quark dans la phrase Three quarks for Muster Mark !... L'ouvrage représente le rêve d'un tenancier de pub. Les mots du texte ont plusieurs sources simultanées comme les mots-valises dans
De l'autre coté du miroir..."
Autant pour la coupure entre les deux cultures.
J'invite par ailleurs tous ceux que la science, qui semble toujours d'un abord trop difficile et complexe, intéresse, à lire la merveille d'ouvrage d'explication des évolutions des concepts scientifiques qu'a écrit MGM : "
Le quark et le jaguar : voyage au cœur du simple et du complexe".
Qu'est-ce qui relie la physique des particules la plus abstraite aux objets de notre vie quotidienne ? Comment penser à la fois, et selon quelle didactique, les constituants les plus simples de la matière, l'histoire de l'évolution, les organismes vivants les plus sophistiqués, et toute la complexité biologique et culturelle de l'homme - jusqu'à ses langues et ses formes de société ? Apparemment, il n'existe pas de lien entre les uns et les autres. Pourtant, Murray Gell-Mann, prix Nobel 1969 pour la théorie des Quarks dont il a été l'inventeur, montre comment, de la bactérie qui développe une résistance aux antibiotiques jusqu'à l'enfant qui apprend à parler, de la formation des galaxies à celle des différentes cultures, de la pensée créatrice à la simulation informatique, se déploie l'interrelation de la simplicité la plus nue et de la complexité extrême. Professeur émérite au Californian Institute of Technology (le Caltech) et fondateur du Santa Fe Institute, partisan d'un équilibre harmonieux entre progrès technologique et protection de l'environnement, Murray Gell-Mann souligne l'extraordinaire richesse de cette nouvelle approche où se rencontrent les avancées les plus spectaculaires de la physique quantique, de celle des particules, de la cosmologie, de la théorie de l'évolution, de la biologie et de la génétique, et des nouveaux outils informatiques. Fascinant par l'étendue de ses connaissances, Le Quark et le Jaguar est un livre de référence indispensable à ceux qui, attirés par un voyage au coeur du simple et du complexe, veulent connaître et comprendre l'unité du monde et du vivant.
Et pour votre plus grand plaisir, MGM fait référence plusieurs fois à la science-fiction comme exemple du processus d'imagination qui devrait guider le chercheur.
Donc la science inspire la crainte du moins à ceux qui ne la pratiquent pas et en ignorent à peu près tout.
Le problème de ce cliché, c'est qu'il a été pris avec un Brownie n° 2.
Un peu comme "The Two Cultures" qui date de 1959. Année qui devrait pourtant être célébrée dans la SF comme celle ou les scientifiques reconnaissaient que la SF était capable de prévisions.
Le 4 janvier, Luna 1 réalisait le premier survol de la Lune, faisant dire à Gagarine (propagande ou pas ?) : "Nous avons enfin réalisé le rêve de Jules Verne. La science-fiction et la science ne font plus qu'un".
Je ne sais ce qu'il en est advenu en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et si la troisième culture appelée de ses vœux par Snow dans un ouvrage ultérieur est survenue, mais en France dans le milieu littéraro-culturalo-médiatocratique, voire politico-administratif qu'il m'est arrivé, sous mes diverses casquettes de fréquenter ces cinquante dernières années, je peux affirmer qu'il n'en est absolument rien et que le mot "science" continue à y être discrètement obscène.
Pour les USA, j'ai déjà répondu avec Gell-Mann.
Pour la France, comme tu le dis, "
dans le milieu littéraro-culturalo-médiatocratique" qu'il t'arrive de fréquenter, il n'en est rien. A part te donner le conseil de ne plus le fréquenter, je ne sais que te répondre.
Quant au milieu "politico-administratif", quel rapport avec la choucroute, au demeurant savoureuse, qui nous occupe ?
Introduisez un vague sujet scientifique dans un dîner en ville même si l'actualité s'y prête et vous verrez la maîtresse de maison commencer à s'agiter. À la rigueur un sujet médical est tolérable surtout s'il y a un médecin ou un chirurgien à table. Brièvement.
On peut aussi, pour peu qu'il y ait un prêtre ou un notaire (puisqu'il semble que ce type de diner a à voir avec la SF ?) introduire, non pas la maîtresse de maison, mais le thème de l'opposition entre conscience et science ou bien broder sur les cravates.
A dire le fond de ma pensée, c'est d'abord l'ignorance scientifique abyssale de ce milieu qui m'a proprement terrifié surtout quand il s'agissait de personnalités dont les fonctions pouvaient ou devaient les amener à prendre des décisions technoscientifiques. Et quand je dis terrifié, je suis très en dessous de mon épouvante. Mais c'est un autre sujet.
Non, c'est LE sujet.
Pendant 50 ans, la science a été rejeté des milieux de décisions. Trop complexe. Trop lent, et pas assez vendeur dans un contexte de temps électoral court. "Les français sont de veaux".
Sauf que ce temps est dépassé. Copenhague et son origine, la création du GIEC, en est une preuve éclatante. Les décisions prises ne seront sans doute pas à la hauteur, mais le mouvement est irréversible.
Saviez-vous que nombre de membres français du GIEC avaient lu "
50° au dessous de 0" de K.S. Robinson ? Bon, c'est pas de la SF de haut vol (à mon goût) mais c'est de la SF !
Et qu'on ne me dise pas, comme fit un intervenant, que dans les plus hautes sphères, il y a des polytechniciens. J'en ai fréquenté beaucoup. J'en ai même un dans ma famille. Certes ils ont été frottés, un temps, d'un peu de sciences. Mais en dehors de ceux, éminemment respectables, chercheurs ou industriels pointus, qui en ont fait une vocation, ils n'en ont plus jamais entendu parler passé l'âge de vingt deux ou vingt trois ans. Ils font des choses sérieuses, dirigent des banques ou des entreprises, et n'ont guère le temps d'ouvrir Pour la science ou la Recherche. Ils se souviennent peut-être encore du second principe. Peut-être.
L'intervenant en question, c'est moi. Je t'invite à relire mon message. Son seul objet était de comparer les études suivies par les présidents de la république pour les classer par catégorie : littéraire ou scientifique (les études, hein, pas les présidents).
Toutefois, des polytechniciens, j'ai l'affreuse prétention d'en avoir fréquenté et d'en fréquenter plus que toi. Je te rassure, ils se souviennent bien du second principe. Même quand ils rallient le cimetière des éléphants.
Ils règnent sur la presse, l'édition, la télévision et la radio, bref les médias. Alors, la science(-fiction), ce n'est pas leur Culture, donc ce n'est pas la Culture.
Presse, édition, télévision, radio, média... Quel rapport avec la Culture ? Tu parles ici Économie. Même pas : Affaires.
Dans les années 1980, éditeur auprès de Robert Laffont, je lançais une entreprise insensée, soutenir le projet de Georges Ifrah d'écrire une Histoire Universelle des chiffres, ce qu'il mit cinq ans à faire.
Je ne t'en remercierai jamais assez. Cette Histoire Universelle est un double volume à mettre entre toutes le mains. De force si nécessaire !
le reste pour plus tard...