Lensman a écrit :Qu'est-ce que la légitimation? Pourquoi et par qui? quelle attitude avoir envers elle? Lem, à deux ou trois reprises, a rappelé son obsession (en disant ne pas vouloir ou ne pas pouvoir la justifier) à faire entrer la SF de manière "honorable" dans ces manuels et dictionnaires de la littérature dont il nous donne des extraits.
La légitimation, c'est la fin du déni, tout simplement. C'est le fait de pouvoir dire : je lis (ou j'écris) un roman de science-fiction et que ça ne pose pas plus de problème que de dire : je lis (ou j'écris) un roman historique.
En pratique, ça consiste à divulguer "le point de vue SF" – ce que tu appelles "l'état d'esprit". Quand le public, éventuellement cornaqué par la critique, approche un roman policier, il sait intuitivement où placer ses attentes, comment se positionner par rapport au texte. Il se place dans le bon état d'esprit pour le recevoir et le comprendre tel qu'il a été écrit. Ce n'est pas le cas pour Notre Art, raison pour laquelle j'insiste tant sur le sense of wonder : le jour où il sera implicite (donc admis) qu'ouvrir un texte de SF suppose de se mettre dans un certain état de réceptivité, de disponibilité, ça voudra dire que cet état a été intégré à la gamme des attitudes possibles devant la littérature, en France, et que le travail de légitimation est terminé. Il ne s'agit pas de forcer la SF à se couler dans une "norme littéraire" d'ailleurs assez hypothétique ; mais simplement d'élargir ce qu'on considère comme de la littérature pour établir la place de la SF. Somme toute, si on voulait transposer cette situation dans le domaine de la peinture au début du XXème siècle, on pourrait dire qu'il s'agit d'apprendre aux amateurs qu'il y a certains tableaux auxquels il est vain de demander une image naturaliste ou une application sage de la perspective ; pour comprendre Nos Toiles, il faut avoir une conception élargie de la peinture.