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par Transhumain » mar. oct. 30, 2007 2:21 pm
Un "fatras mystico-nietzschéen qui soutient la philosophie des hordiers", Eric ?... C'est un peu facile. Les hordiers, et surtout leur traceur Golgoth, ne sont certes pas des enfants de coeur, et nous avons déjà discuté du sort des faibles dans les livres de Damasio, et en particulier dans La Horde. Mais doit-on encore rappeler que ce ne sont que des personnages ? Le roman ne fait l'apologie de rien, et certainement pas de la force, même au sens nietzschéen du terme. Ce qu'on retient surtout du roman, c'est cette extraordinaire force du lien. Nous n'existons, nous dit La Horde, que noués aux autres, qui nous habitent, que nous habitons. On retient aussi, même si ce n'est pas totalement réussi, l'idée d'être toujours en mouvement, de se renouveler sans cesse, au quotidien, y compris et surtout dans les situations répétitives (cf. Caracole). C'est là, surtout, qu'intervient Nietzsche (l'éternel retour, les trois métamorphoses), sans fracas ni fatras.
L'aspect "mystique", tout relatif puisqu'il n'y a aucun dieu, est lié, comme le devines dans ton papier Eric, à l'écriture (plus qu'à l'art du conte). C'est la dimension métatextuelle du livre, qui d'une certaine manière raconte sa propre genèse. Arriver en Extrême-Amont, c'est à la fois arriver à la fin du livre, et revenir à l'origine, c'est-à-dire au début d'un livre à venir. Bref, tout ça je l'ai expliqué dans Galaxies !
A propos des narrateurs multiples : les auteurs introduisent souvent (ni Damasio, ni Anatoli Kim n'ont inventé la narration polyphonique) les chapitres par le nom des personnages (cf. Faulkner, Ellroy, etc.). Et heureusement personne n'y voit rien de choquant ! Un nom, un glyphe, quelle importance ? D'autant que le glyphe, dans La Horde, condense à chaque fois quelques grands traits, ou destins, des personnages.
Avec cette polyphonie, La Horde ne cherche pas le tour de force, car dans ce cas Damasio se serait passé de ses glyphes, et si chaque narrateur est singulier, si Damasio crée parfois de vrais "courants de conscience" avec ses monologues intérieurs, il ne fait, souvent, que découper un récit somme toute classique, avec beaucoup de dialogues, en segments plus courts et attribués à plusieurs personnages. La raison de cet artifice est évidente : il s'agit avant tout de faire exister La Horde, et les individus qui la composent, à travers le regard des autres. Parce que cette idée de lien, de groupe, est au coeur du récit.