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Alain Damasio online sur Actusf

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fabrice
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Message par fabrice » ven. oct. 08, 2010 8:25 am

Alain Damasio a écrit : La technologie, ou plutôt l'enveloppe technologique dans laquelle nous évoluons et nous nous construisons, comme humain, change tout : notre boulot, le statut des livres, la façon de les lire (sur écran), la militance… Je suis d'une génération qui a vu l'arrivée de l'ordinateur personnel (le PC, personal computer), du portable, d'internet et rien que ces trois inventions ont complètement révolutionné notre façon de penser, d'apprendre, de communiquer, d'être au monde, d'échanger avec les autres. prenons ce forum : il était inimaginable en 1995, à peine 15 ans. Je dialogue avec des fantomes portés par leurs mots, je leur réponds avec mon fantôme bavard, quelque chose se passe, mais quoi ?

Le livre ne mourra pas sous sa forme papier mais il se déploiera AUSSI sous des formes fragmentaires, séquentielles, interactives, enrichies de sons, d'images, de possibilités d'échanges. Opportunités ? Oui, à condition d'être pleinement conscient que la littérature, dans sa forme livre papier, est infiniment loin d'avoir offert ce qu'elle pouvait offrir. Donc c'est comme si, sachant un peu jouer au tennis, on demandait aux joueurs de le faire sur un court antigravité et en 3D, en leur expliquant que le jeu n'en sera que plus riche. C'est juste faux parce que tout medium a besoin d'une certaine sobriété pour s'épanouir pleinement. La littérature est l'art du cerveau, à savoir l'art le plus abstrait qui soit, parvenant à susciter des sensations complètes et des idées à partir de l'alignement de lettres noires sur une surface blanche découpée en rectangle. Le langage passe directement dans le cerveau, qui reconstitue seul tout le champ sensuel, alors que la musique ou la peinture, le cinéma ou la sculpture passent par un vecteur sensuel prédominant (la vue, l'ouie, le toucher…).

Cette sobriété et cette pauvreté extraordinaire du matériau livre, on veut nous faire croire qu'elle doit être enrichie par la technique, qu'y ajouter de l'image ou du son, ou des possibilités interactives, ouvrira une richesse nouvelle. Je ne crois pas à ça, ou seulement pour quelques artistes hors norme qui sauront synthétiser le multimedia de façon géniale et croisée. Je crois que la sobriété de la forme livre est précisément ce qui en fait un medium infiniment riche. Parce que le cerveau y est l'organe récepteur pur et qu'à partir de lui, vous pouvez toucher la sensation de chaleur, la couleur, le poids, la force, la vitesse, la vision, le son, tout. Et le sens.
Mais si vous produisez le son en plus du livre, ou l'image en surplus de l'imaginaire, vous écrasez la faculté à imaginer, vous créez du stimuli-réaction alors que l'imaginaire doit être simplement effleuré, agi, en douceur. C'est ma conviction en tout cas.
Réponse très intéressante, Alain et qui, c'est marrant, me fait penser à certains textes de Philippe Muray : "[La littérature sert] à nous dégoûter d'un monde que l'on n'arrête pas de nous présenter comme formidablement désirable. [...] Notre univers actuel se remplit à toute vitesse de choses qui ont la prétention d'aller de soi et qui ne vont pas du tout, à mon avis, de soi." et, plus loin : "L'ennui, c'est que le réel, maintenant, est en proie à un mouvement d'escalade absolument stupéfiant. Le réel n'arrête pas d'inventer sa propre fiction. Le réel ne cesse de surenchérir dans le clownesque et le bouffon. [...] Le réel a inventé quelque chose qui est un défi vertigineux aux écrivains : l'autogestion de sa propre caricature." voire, enfin : "Les livres qui ne sont pas, d'une façon ou d'une autre, le tombeau d'un ou plusieurs des dieux de notre nouveau monde ne m'intéressent pas beaucoup." Te retrouves-tu dans ce genre de charges et, à certains égards (appauvrissement culturel et intellectuel, éloge de la surface étendue au détriment de la profondeur ciblée), acceptes-tu de te ranger dans ce que Systar nommerait, plus ou moins, le camp des "réacs de gauche" ?

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marypop
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Message par marypop » ven. oct. 08, 2010 9:08 am

Bonjour du matin.

Un petit retour sur La Horde et des choses que tu as écrites ... plus haut dans le fil.

OK pour le principe du "le voyage compte plus que la destination" qui m'a paru évident dans le texte.

Par contre quand tu parles de ce que tu as voulu faire avec le lien, si je comprends bien ta motivation, tu voulais montrer que le groupe plus fort que l'individu va sacrifier ses éléments les plus faibles si besoin ?
Ce n'est pas du tout ce que j'ai ressenti à la lecture, l'analogie la plus flagrante qui me soit venue à l'esprit étant un pack de rugby, où les "gros" (1 à 8) ne peuvent finalement pas se passer des "fragiles" (9 à 15). Et même si un seul réussit à passer pour marquer l'essai, c'est toute l'équipe qui gagne.

As-tu pensé à cette analogie avec le rugby (est-ce un sport que tu connais / as pratiqué ?) Est-ce contraire au message que tu voulais faire passer d'égoisme / individualisme en utilisant le groupe ?

Désolée si je fais un peu les questions et les réponses.
si on commence à mélanger sf archaïque et proto-sf, personne ne s'y retrouvera plus.
Dieu.

Alain Damasio
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Message par Alain Damasio » ven. oct. 08, 2010 9:45 am

fabrice a écrit : Réponse très intéressante, Alain et qui, c'est marrant, me fait penser à certains textes de Philippe Muray : "[La littérature sert] à nous dégoûter d'un monde que l'on n'arrête pas de nous présenter comme formidablement désirable. [...] Notre univers actuel se remplit à toute vitesse de choses qui ont la prétention d'aller de soi et qui ne vont pas du tout, à mon avis, de soi." et, plus loin : "L'ennui, c'est que le réel, maintenant, est en proie à un mouvement d'escalade absolument stupéfiant. Le réel n'arrête pas d'inventer sa propre fiction. Le réel ne cesse de surenchérir dans le clownesque et le bouffon. [...] Le réel a inventé quelque chose qui est un défi vertigineux aux écrivains : l'autogestion de sa propre caricature." voire, enfin : "Les livres qui ne sont pas, d'une façon ou d'une autre, le tombeau d'un ou plusieurs des dieux de notre nouveau monde ne m'intéressent pas beaucoup." Te retrouves-tu dans ce genre de charges et, à certains égards (appauvrissement culturel et intellectuel, éloge de la surface étendue au détriment de la profondeur ciblée), acceptes-tu de te ranger dans ce que Systar nommerait, plus ou moins, le camp des "réacs de gauche" ?
Salut Fabrice,

Ah, ça commence très fort ce matin par une question qui me fend en deux dans le sens longitudinal. Ma sensation est double : ce qu'écrit Murray est très beau et rhétoriquement enthousiasmant et en même temps, je ne peux que sentir ce qu'il y a dessous, une odeur et un goût de mort, de repli, de désenchantement amer qui m'éloigne et me répugne secrètement. On croit que la philosophie est une écriture neutre, conceptuelle mais il n'y a pas plus expressif et révélateur qu'un style philosophique, pas plus claire trahison des âmes. Et c'est toujours étrange quand, comme chez Cioran ou Murray, l'écriture est aussi jouissive, témoigne d'une telle puissance de vie, d'une telle virtuosité — mais mise au service du crépuscule, du vespéral, d'un goût évident pour un passé glorifié, hissé haut, duquel on toise un présent nécessairement décadent, délitescent, catastrophique. Beaucoup d'intellectuels ont perçu dans ce mouvement un véritable lieu commun de la pensée et il est aisé de retrouver ces approches au 17e, 18e, 19e, 20e, 21e siècle, chez un chapelet d'auteurs annonçant l'effondrement final de l'histoire, de la culture, du réel, de l'intelligence, de notre monde… Sauf que depuis le 18e et 19e et ses Cassandres, une pluie d'artistes et d'aérolithes brillants a illuminé la culture et continuera à le faire !

Bien sûr je suis atterré par Twitter par exemple, et l'extraordinaire bouillie d'auto-expression narcissiste dans laquelle on nage. Bien sûr je ricane hautement à l'enthousiasme technophile de l'immédiateté, de la connection généralisée, de FourSquare, du situisme pas situ pour un rond (coucou, je suis là, toi t'es où ?). Bien sûr. Mais je sais aussi que quel que soit le monde dans lequel on doit vivre, quel que soit ses limites, sa stupidité, ses excès, l'expansion de sa médiocrité qui est une conséquence très sûre de la démocratie et de l'égalitarisme outrancier et vulgaire qui dissout la pensée des différences, qui ne sait plus du tout évaluer, comme dirait Nietzsche, c'est-à-dire saisir ce qui est noble de ce qui est vil, ce qui est vivant (la grande santé) de ce qui suinte le morbide (les forces réactives), il existera toujours ds groupes, des individus, des forces, qui sauront empoigner ce monde, le retourner, prendre à plein corps la boue et en extraire des pépites. C'est la force de l'homme et du vivant.

Alors je ne crois pas à une décadence plus accentuée aujourd'hui qu'hier, je ne crois pas à une médiocrité supérieure de notre occident, mais je crois à une vigilance accrue, que la Sf, comme d'autres disciplines, doit activer, autour d'un amollissement des instincts vitaux qui viendrait à mon sens d'une perte (douce, tranquille) du rapport à l'étrange, à l'étranger, au hors de soi, au non-humain, au pas-de-chez-nous, au pas-comme-moi.

Je crois que la grandeur et la noblesse de l'humain s'est toujours maintenue grâce à sa confrontation permanente au hors-humain : la nature, l'environnement hostile, le climat difficile, les autres cultures, l'incompréhensible, l'inconnu, la guerre parfois.
Et que nos sociétés, lentement, continument, sont en train d'effacer cette confrontation, de l'éloigner, de la dissoudre dans une bulle agréable et protégée, médiée et filtrée par la technique. Et mes assauts technophobes, parfois, mes bouffées technophobes, viennent de là : du sentiment qu'on anthropise à l'excès nos vies quotidiennes, qu'on les enveloppe dans une carapace d'intercafes qui coupent et empêchent un rapport direct et secouant au monde, à l'autre et même à soi-même. D'où une perte de vitalité. L'homme est fondamentalement ce qui, sur une base à peu près stable et sécurisante, doit sans cesse être percuté, électrifié, secoué, mis en face de ce qui n'est pas lui : c'est ainsi qu'il se dresse, pense, crée, s'ouvre, devient un humain respectable.

Alors oui, peut-être suis-je un réac de gauche en ça : je reste un vrai Nietzschéen, quelqu'un qui croit que l'homme peut devenir plus noble que ce qu'il est, qu'il peut tendre vers une surhumanité où les forces de vie domineraient sur l'instinct réactif et la facilité du confort, des fatigues (on oublie à quel point le racisme est avant tout fatigue, fatigue devant l'effort de comprendre l'autre et sa culture). je suis réac au sen soù je me méfie des enthousiasmes forcés d'une technologie qu'on nous impose non parce qu'elle enrichit nos vies, mais parce qu'il faut alimenter la croissance et vendre. Apple est extraordinaire à ce petit jeu là !

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Divad
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Médiocrité

Message par Divad » ven. oct. 08, 2010 9:52 am

Salut Alain,

Moi être très grand fan! Donc je n'ai pas envie de parler de tes bouquins mais plutôt de tes opinions (a)politiques...

Sur le forum j'ai remarqué ton appel pour la lecture de philosophie ou autres livres de sociologie. Mais ne crois-tu pas qu'il s'agit la d'un manque d'objectivité? Je m'explique:
le roman est bien plus distractif, plus facile à aborder. D'où la question suivante, n'y a t-il pas selon toi une médiocrité massive de la société? Il y a dans ma question une grande part de désespoir quant à l'avenir d'une société toujours plus léthargique. Son réveil ne pourra ainsi avoir lieu qu'après des évènements de grandes ampleurs (écologique, identitaire...) et à mon avis violents.
La démocratie fascisante nous dirigeant n'est que le reflet d'une société toujours plus replié sur elle même. Et voici ma dernière question: comment vois-tu l'avenir? Local, global? Penses-tu qu'une minorité puisse renverser la majorité en place ou voulant la place?!

Merci de tes réponses!

Alain Damasio
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Message par Alain Damasio » ven. oct. 08, 2010 10:43 am

Le_navire a écrit :Salut Alain !
J'imagine que tu vas nous parler de tes projets, mais je voulais savoir où en était celui d'une version audio de la Horde ? J'ai une gamine qui attend ça avec impatience...
Salut Navire,

Ma réponse n'étant pas passé, je la refais : oui, il y a un projet bien avancé de livre audio sur la Horde, avec une dizaines de comédiens pour individualiser les voix. J'attends aussi ça avec beaucoup d'impatience ! Ça devrait sortir en 2011 !

Alain Damasio
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Message par Alain Damasio » ven. oct. 08, 2010 10:50 am

marypop a écrit :Par contre quand tu parles de ce que tu as voulu faire avec le lien, si je comprends bien ta motivation, tu voulais montrer que le groupe plus fort que l'individu va sacrifier ses éléments les plus faibles si besoin ?
Ce n'est pas du tout ce que j'ai ressenti à la lecture, l'analogie la plus flagrante qui me soit venue à l'esprit étant un pack de rugby, où les "gros" (1 à 8) ne peuvent finalement pas se passer des "fragiles" (9 à 15). Et même si un seul réussit à passer pour marquer l'essai, c'est toute l'équipe qui gagne.

As-tu pensé à cette analogie avec le rugby (est-ce un sport que tu connais / as pratiqué ?) Est-ce contraire au message que tu voulais faire passer d'égoisme / individualisme en utilisant le groupe ?
Oui, je suis et connais un peu le rugby, même si je préfère de très loin le foot. Dans la horde, chaque personne est nécessaire, sinon le groupe ne peut pas fonctionner correctement — et même parfois plus fonctionner du tout. Sans feuleuse, vous pouvez crever de froid et ne plus cuire les aliments. Sans sourcière, crever de soif. Sans combattant-protecteur, vous êtes à la merci de la Poursuite, des meutes d'animaux, des attaques. Sans géomaître, vous pouvez vous perdre. Il n'y a pas réellement de forts et de faibles puisque les forts physiquement (les piliers par exemple) ne sont rien sans les forts en intelligence (Oroshi). Oroshi sauve le pack des centaines de fois dans la vie d'une Horde. Donc ce n'est pas le problème de sacrifier un faible ou non, c'est celui de porter la horde ENTIÈRE aussi haut que possible et que c'est ce que cherche Golgoth. Seule exception : la flaque de Lapsane où Callirhoé menace le groupe. Mais même là, Golgoth accepte qu'on la soutienne, il ne la condamne pas et d'ailleurs le reste de la Horde ne l'accepterait pas. Le massage ici est que le lien sauve.

Alain Damasio
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Re: Médiocrité

Message par Alain Damasio » ven. oct. 08, 2010 11:12 am

Divad a écrit :D'où la question suivante, n'y a t-il pas selon toi une médiocrité massive de la société? Il y a dans ma question une grande part de désespoir quant à l'avenir d'une société toujours plus léthargique. Son réveil ne pourra ainsi avoir lieu qu'après des évènements de grandes ampleurs (écologique, identitaire...) et à mon avis violents.
La démocratie fascisante nous dirigeant n'est que le reflet d'une société toujours plus replié sur elle même. Et voici ma dernière question: comment vois-tu l'avenir? Local, global? Penses-tu qu'une minorité puisse renverser la majorité en place ou voulant la place?!
Salut Divad,

Parfois je partage ton intuition, à savoir qu'aucun sursaut n'est à attendre face à la léthargie rampante sans une guerre, une catastrophe climatique, un choc ultra-violent.
Et parfois, le plus souvent, j'essaie d'être attentif aux bruissements, aux frémissements des alternatives et à la façon dont, individuellement ou collectivement, la nouvelle génération parvient à se ménager des vacuoles de liberté et à déployer une vie intense, riche.

Nous traversons, comme l'avait dit Guattari, des années d'hiver depuis 1980, après la très belle période des 30 glorieuses et la vitalité magnifique des années soixante et soixante-dix qui se lit au dynamisme politique, à la fréquence des expérimentations, à la qualité de la production littéraire ou musicale, etc. C'est en tout cas ce que je ressens.

J'ai la chance de vivre dans un milieu assez militant et artiste (ma femme est syndicaliste, toute ma belle-famille milite au NPA, à la Ligue des droits de l'homme, mes amis du Vercors sont des activistes engagés) et forcément, mon regard est différent parce que je vois beaucoup de luttes se faire et d'expérimentations artistiques très intéressantes se mettre en place, se déployer. Je pense que l'avenir, en occident, se jouera sur la capacité des mouvements de fond (écologie, art engagé, alternatives urbaines et rurales, décroissance, errorisme, boboisme pourquoi pas…) à contaminer la société.
Je ne crois pas que ça passera par un événement violent parce que le pacifisme est très ancré — en tout cas pas par un événement violent endogène (que j'appelle pourtant dans la Volte). Je crois que ce sera viral, alternatif, à côté, en dessous ou en dehors des réseaux de pouvoir. La nouvelle génération militante est très intelligente, elle est née dans le capitalisme et elle le connaît du dedans. Elle connaît son pouvoir extraordinaire de récupération. Elle saura un jour faire un trou de taupe dedans, s'en libérer et revenir à l'échange non-marchand, au pari de la générosité sur la réussite individuelle. Ça se fait déjà, ça et là.

Quand au système global, l'enjeu n'est pas le pouvoir, de le prendre ou de le remplacer : l'enjeu est de se libérer du pouvoir, et de libérer les forces de vie partout où elles sont emprisonnées, contraintes, édulcorées, anesthésiées. Il y a de grandes chances que ça se passe hors des systèmes politiques et hors du jeu électoral, par des créations à part. Le Tiqqun dirait des Communes, oui, pourquoi pas, c'est-à-dire des associations libres de gens portant des valeurs et des rêves communs.

En gros, je suis assez optimiste parce que toutes les conditions sont là pour la liberté. Ma grande angoisse est qu'on ne perçoive pas à quel point cette liberté est menacée par nos propres peurs endogènes et par une demande frénétique de contrôle et de gestion qui vient, en partie, de l'incapacité des gens à acter et à agir ces conditions de la liberté. C'est cette demande de contrôle, d'autocontrôle, qui appelle un tel développement de l'enveloppe techno autour de nous et favorise une anesthésie générale. Le peuple est liberticide, parfois…
Modifié en dernier par Alain Damasio le ven. oct. 08, 2010 11:15 am, modifié 1 fois.

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Le_navire
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Message par Le_navire » ven. oct. 08, 2010 11:15 am

Alain Damasio a écrit :
Le_navire a écrit :Salut Alain !
J'imagine que tu vas nous parler de tes projets, mais je voulais savoir où en était celui d'une version audio de la Horde ? J'ai une gamine qui attend ça avec impatience...
Salut Navire,

Ma réponse n'étant pas passé, je la refais : oui, il y a un projet bien avancé de livre audio sur la Horde, avec une dizaines de comédiens pour individualiser les voix. J'attends aussi ça avec beaucoup d'impatience ! Ça devrait sortir en 2011 !
Ah, merci, tu es un chou !

Je suis assez loin de ta conception des rapports technologiques (on le sait bien, je suis très forums et très facebookienne, j'y trouve d'une part la possibilité d'un contact permanent avec le monde qui est aussi source d'information, et d'autre part une façon différente d'aborder la relation humaine : on y est, par essence en contact avec des gens qu'on ne choisirait pas spontanément comme compagnons dans la vie "réelle" - j'aime pas, mais je simplifie - et qui se révèlent souvent d'une richesse qui nous élève. Ils ne suffisent pas, ces rapports virtuels, mais ils sont la trame sur laquelle on peut construire à mon avis des échanges plus complexes et plus déstabilisants à la fois.) mais du coup je m'interroge sur ce que t'inspire le changement majeur que le rapport à la connaissance par l'internet est en train de construire dans les esprits.

Est-ce que ça te pose problème, par exemple, d'envisager une mode de réflexion qui s'écarte de la structure de pensée traditionnelle de la philosophie ? Et qu'on puisse imaginer que la révolution informatique se révèle encore plus conceptuelle que pratique, et puisse changer autant les manières de penser que celle de communiquer ?

Est-ce un thème qu'il te plairait de traiter, que tu la souhaite ou que tu la redoute, cette "révolution conceptuelle" ?
"Ils ne sont grands que parce que vous êtes à genoux"

Alain Damasio
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Message par Alain Damasio » ven. oct. 08, 2010 11:30 am

Est-ce que ça te pose problème, par exemple, d'envisager une mode de réflexion qui s'écarte de la structure de pensée traditionnelle de la philosophie ? Et qu'on puisse imaginer que la révolution informatique se révèle encore plus conceptuelle que pratique, et puisse changer autant les manières de penser que celle de communiquer ?

Est-ce un thème qu'il te plairait de traiter, que tu la souhaite ou que tu la redoute, cette "révolution conceptuelle" ?
Oui, c'est un enjeu passionnant, la façon dont le web modifie notre cognition, notre façon d'apprendre et de raisonner, notre façon de mémoriser et d'oublier, de relier et de naviguer dans le savoir. Elle modifie notre type de concentration, d'assimilation de l'info, elle suscite une certaine forme de vitesse parfois, d'éclair, de sauts. La révolution informatique EST mentale et conceptuelle parce que les outils même d'accès au savoir et de manipulation du langage sont neufs, différents du papier-crayon. L'écriture d'un livre sur un clavier avec un traitement de texte a modifié le style, la syntaxe, le vocabulaire accessible, le rythme, ça change tout, je peux te le dire, j'ai débuté sur cahier !

Pourtant, ceci esquissé, je ne pense pas qu'internet soit un bon support de développement de l'intelligence pour des gens qui n'auraient pas déjà la faculté de penser, d'articuler, de relier. Les éclats, le fragment, l'information émiettée, disséminée, ne sont des matériaux précieux que pour ceux qui ont déjà la capacité de tisser. Le lien hypertexte ne remplace pas la faculté à articuler, qui est abstraite. C'est une faculté "traditionnelle", celle de la synthèse, quand le net surdéveloppe l'approche analytique dissociée.

Si tu prends les articles wiki, par exemple, il y en a d'excellents mais il y en aussi beaucoup qui se contentent d'aligner sur un plan analytique (1,2,3) des informations d'un niveau hiérarchique parfaitement dissemblable. On va marier l'anecdote sur un auteur avec les thèmes développés dans ses livres, c'est de la pure bouillie intellectuelle et plus grand-monde ne s'en rend compte.

Moi j'ai peur qu'on se retrouve dans un monde où très peu de gens auront la faculté de comprendre un ensemble social, une histoire, des tendances de fond parce que la fragmentation du rapport à l'info et à la culture sera telle qu'on n'aura plus l'aptitude à rassembler, à traverser ça sous une même unité d'intellection, bref plus l'aptitude à penser réellement. Et ça, c'est du billard pour tout pouvoir établi, c'est la chance des pouvoirs, cette dispersion de la compréhension, cet apolitisme qui en naît logiquement.

Peut-être que j'écrirai une nouvelle un jour sur ce que devient la cognition soumise au net !

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Divad
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Message par Divad » ven. oct. 08, 2010 11:35 am

J'ai moi aussi la chance d'avoir des amis engagés dans leurs textes et actions :

http://www.myspace.com/lafibre12100

Bien sur c'est du rap, donc peut être pas ton kif! Mais du rap antirapitaliste sauvage. Ecoute un peu ça vaut le détour. Donc les squats, les intentions non pourris pas l'argent je connais mais m'interroge toujours plus sur l'efficience de tels petits groupes isolés. Comme tu dis dans la zone, on fait parti de leur plan!
Ce qui est intéressant aussi c'est la théorisation de Bey dans T.A.Z.. Des espaces de libertés réduits à l'éphémère, tu as lu ce bouquin? Internet me semble pour cela le meilleur moyen d'assembler les forces.

Alain Damasio
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Message par Alain Damasio » ven. oct. 08, 2010 11:59 am

Divad a écrit : Ce qui est intéressant aussi c'est la théorisation de Bey dans T.A.Z.. Des espaces de libertés réduits à l'éphémère, tu as lu ce bouquin? Internet me semble pour cela le meilleur moyen d'assembler les forces.
J'ai lu TAZ, c'est très bien. C'est une très bonne piste d'action et de rapport à l'espace.

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Message par Le_navire » ven. oct. 08, 2010 12:07 pm

Alain Damasio a écrit :
Peut-être que j'écrirai une nouvelle un jour sur ce que devient la cognition soumise au net !
Je prends !


Par contre, je pourrais faire gaffe à mon orthographe, moi. J'ai le matin diffcicile, pfff...
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Message par Alain Damasio » ven. oct. 08, 2010 12:51 pm

J'ai moi aussi la chance d'avoir des amis engagés dans leurs textes et actions :

http://www.myspace.com/lafibre12100
Oui, ça tape, c'est pas mal !! J'ai rien contre le rap, j'en écoute parfois !

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Message par Sand » ven. oct. 08, 2010 1:28 pm

Le_navire a écrit :
Alain Damasio a écrit :
Peut-être que j'écrirai une nouvelle un jour sur ce que devient la cognition soumise au net !
Je prends !


Par contre, je pourrais faire gaffe à mon orthographe, moi. J'ai le matin diffcicile, pfff...
je ne trouve plus le lien, mais il y a eu récemment un article présentant une expérience dans une école : on a donné un devoir à faire, en recherchant les informations uniquement dans des livres, ou uniquement sur internet.

Si je me souviens bien, il y a eu à peu près autant d'enfants qui ont été "meilleurs" dans la recherche livresque que d'enfants "meilleurs" dans la recherche internet, une petite proportion d'enfants aussi "bons" dans les deux supports, et une petite proportion "pas douée" dans tous les cas.

L'un des buts étant de repérer quels enfants auraient besoin de plus d'aide pour appréhender le support livre ou le support internet, en fonction de leurs facilités préalables.

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Don Lorenjy
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Message par Don Lorenjy » ven. oct. 08, 2010 2:06 pm

Bonjour Alain,

Je voulais poser une question sur ton contact avec les lecteurs et ton ressenti (si ressenti il y a) quant à certains débats vigoureux mais heureusement anciens sur le caractère lisible ou illisible de La Horde... Et puis, bof, ce n'est pas du niveau des échanges ici.

Donc rien, bravo, et pour le style de tes réponses que quelqu'un rapprochait de ton style d'écriture, eh bien on a l'impression d'entendre ta voix.
Les marques Don Lorenjy et Don Lo sont retirées des rayons

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